Rencontre avec ADAMJK, un créateur en plein bras de fer avec Zara

Rencontre avec ADAMJK, un créateur en plein bras de fer avec Zara

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Par Colette McIntyre

Publié le

Il y a un mois, des stylistes indépendants se réunissaient pour créer un site répertoriant leurs créations que la marque Zara s’est appropriées. Konbini a interviewé l’un d’entre eux.

Après avoir travaillé pour plusieurs agences en tant que graphiste, Adam J. Kurtz a commencé à produire sa propre ligne d’accessoires. Ses pin’s, patchs thermocollants et autres porte-clés au design kitsch disent tout haut ce que beaucoup d’entre nous pensent tout bas. Son style est d’une sincérité rafraîchissante qui rend son travail unique, et laisse peu de doutes quant au plagiat de ses modèles par le groupe Zara.

Konbini a interviewé Adam J. Kurtz, plus connu sur internet sous le pseudo ADAMJK, à propos de son travail et de sa bataille contre les grosses entreprises qui s’approprient le travail de créateurs indépendants.

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Konbini | Raconte-nous ta passion pour les pin’s et comment l’aventure de ta boutique en ligne Gift Shop a commencé.

Adam J. Kurtz | Le design est juste un moyen de communication, on travaille avec du texte et des images pour raconter des histoires. En tant que graphiste, j’avais les outils et les connaissances pour faire passer des messages sous différentes formes. Créer des objets simples qui évoquent quelque chose à ceux qui les achètent était juste une extension de ce que je faisais déjà. Dans ma boutique en ligne, on trouve autant de choses utiles que ridicules. Étant mon propre patron, je suis libre, je n’ai pas de limites. Je me concentre principalement sur des objets avec une valeur sentimentale. C’est pour ça que j’ai choisi, notamment, de faire des pin’s. J’étais un peu en avance mais, du coup, dès que la mode est revenue en 2014, j’ai pu me lancer la tête la première.  Porter un T-shirt très original demande une certaine personnalité. Mais un pin’s est plus discret. J’ai réalisé que je pouvais aller plus loin avec cet accessoire parce que les gens sont moins intimidés à l’idée de porter un pin’s avec une blague ou une vérité un peu trop sincère écrite dessus.

Où trouves-tu ton inspiration ? 

Une grande part de mon inspiration vient de situations et de sentiments vécus. Ce n’est même pas vraiment subtil ! La majorité de mon travail est basée sur les injonctions que je me fais à moi-même : “du calme“, “souris“, “concentre-toi“, etc. Mes conversations intérieures permettent aussi apparemment aux gens de trouver leur voix. Ça fait un peu pompeux pour parler de pins à 7 euros, je sais.

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D’où vient cette folie pour les pin’s et les patchs selon toi ? C’est de la nostalgie ? Ou la joie de collectionner ?

C’est vrai que c’est un peu fou, surtout quand on voit que même les grandes marques de prêt-à-porter surfent sur cette vague. Je pense que c’est un mélange de plusieurs choses. Le côté collection, oui, mais aussi une extension de cette habitude que nous avons pris d’utiliser des petites icônes pour nous exprimer. Les pins et les patchs sont quasiment des emojis pour nos vêtements. C’est aussi une façon de soutenir les artistes. Internet permet de découvrir le travail de beaucoup de gens, de se connecter à eux. Quand vous suivez des gens suffisamment longtemps sur les réseaux sociaux, vous avez presque l’impression de les connaître. Alors pourquoi ne pas leur acheter 10 euros de marchandises pour avoir des produits uniques que vous ne trouverez nulle part ailleurs ? C’est gagnant-gagnant.

“C’est plus facile pour moi de trop travailler que pas assez”

En tant qu’artiste indépendant, comment restes-tu motivé et concentré ?  Raconte-nous ta journée type.

C’est difficile d’être son propre patron ! J’ai construit ma carrière en travaillant les nuits et les week-ends pendant plusieurs années. Ça fait maintenant deux ans que je travaille en free-lance à plein temps. Cela demande une bonne dose de self-control pour que tout soit fait à temps. Il faut gérer la boutique en ligne, plus les commandes que j’ai signées avec des éditeurs, des collaborations avec des marques, du travail en free-lance, et toutes les petites choses auxquelles je m’engage à côté, pour des amis par exemple. Honnêtement c’est plus facile pour moi de trop travailler que pas assez. Ma fiancée essaye de me pousser à me détendre, mais je ne sais pas comment faire.

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 Tu as travaillé pour des grandes enseignes comme Urban Outfitters, Penguin, Tumblr. Après avoir été indépendant pendant longtemps, as-tu trouvé difficile d’avoir des personnes qui avaient leur mot à dire sur tes projets ?

Être un employé-type dans le passé m’avait déjà appris à collaborer et recevoir des indications.  J’ai eu beaucoup de boulots ces dix dernières années qui m’ont appris des nouvelles techniques que je peux maintenant utiliser dans mon travail. J’ai passé quasiment deux ans dans une agence, grande et cool, qui avait gagné des prix : Barton F. Graf. Mes patrons étaient des légendes dans l’industrie. Moi, je n’étais pas grand-chose à l’époque. Il a fallu apprendre à obéir aux ordres et à réagir vite, tout en restant créatif. Maintenant que le patron c’est moi, le plus dur finalement, c’est de rester concentré et de m’assurer que mon travail reflète qui je suis, qui je veux être.

Lorsque j’ai collaboré avec Urban Outfitters, il y avait beaucoup d’idées qui circulaient. Certaines d’entre elles auraient été d’excellents moyens de faire beaucoup d’argent. On a notamment eu une réunion pendant laquelle quelqu’un m’a dit : “Ne me déteste pas mais… tu sais, les gens adorent les chats.” Je sais que les gens adorent les chats. Moi aussi, je les trouve mignons. Mais il n’y avait pas moyen que je crée un mug avec un chat dessus. Quand je dessine pour des livres, j’essaye toujours de faire des choses utiles, un peu mignonnes, mais surtout honnêtes. Est-ce que je pourrais gagner plus d’argent avec des cahiers de coloriages de chat ? C’est possible. C’est juste que je n’en ai pas envie pour le moment. Est-ce que ce paragraphe donne l’impression que je déteste les chats ? Je ne déteste pas les chats.

“Je ne vais pas tout laisser tomber parce que Zara a ‘apparemment’ volé trois de mes modèles”

Parle-nous du site que tu as créé avec l’illustratrice Tuesday Bassen, Shop Art Theft (le magasin de l’art volé).
 
En seulement quelques semaines, un certain nombre d’artistes ont réalisé que Zara avait volé leurs créations. Je suis tellement occupé, je ne m’en étais pas rendu compte. Tuesday Bassen est mon amie. Elle a un côté agressif , mais de la plus charmante des façons. C’est l’une de ses plus grandes qualités. C’est pour ça qu’elle s’est lancée dans une procédure judiciaire contre Zara.

Leur réponse était incroyable. [L’entreprise a répondu qu’il y avait selon elle une “absence de style manifestement distinctif” dans ses créations qui empêche de prouver le plagiat, ndlr]. Une fois qu’elle l’a publiée sur Twitter, leur lettre est devenue virale, ça a tout révélé au grand jour. Nous avons échangé des textos toute la nuit qui a suivi. Le lendemain, j’avais entièrement créé le site Shop Art Theft sur lequel j’ai ajouté d’autres modèles copiés pour prouver le fait que ce n’était pas une erreur, mais bien un choix systématique qu’ils ont fait.

Nous sommes tout un groupe à appuyer les déclarations de Tuesday Bassen maintenant, et nous sommes très reconnaissants de l’attention que nous avons reçue. Les internautes ont interpellé Zara sur les réseaux sociaux et ils nous soutiennent en achetant nos modèles directement plutôt que les copies. Je voulais créer une source d’information et esquisser le début d’une solution. S’énerver ne sert à rien.

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Même après que ton travail a été volé, tu as toujours de l’espoir pour le travail des artistes indépendants comme toi ?

Je ne vais pas tout laisser tomber parce que Zara a “apparemment” volé trois de mes modèles. Ce qu’ils ont fait n’est pas tolérable, mais ils n’ont pas volé mon cerveau. Mon travail est personnel et il commence avec moi. Je suis toujours là.

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Traduit de l’anglais par Sophie Janinet