Daryl Seitchik, la dessinatrice qui a tout compris à l’ennui adolescent

Daryl Seitchik, la dessinatrice qui a tout compris à l’ennui adolescent

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Par Colette McIntyre

Publié le

Un beau dessin, une ligne épurée et des histoires d’incommunicabilité : bienvenue dans votre adolescence.

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On ne peut pas vraiment rompre avec les amis qui ont connu votre Skyblog, ou votre page Myspace. Même si ces pages ne contiennent plus de secrets trépidants, l’ennui, la mauvaise poésie, et les fautes d’orthographe qui le composent, dessinent un portrait de vous peu flatteur : l’adolescent que vous avez été.

Pouvez-vous imaginer que des milliers d’inconnus puissent s’intéresser à vos pensées les plus intimes de cette époque, à vos moments de tristesse et de dépression ? Plutôt terrifiant, non ?

C’est ce que semble penser la dessinatrice Daryl Seitchik, dont la carrière a commencé de cette façon.

Sa série Missy est tirée de ses propres journaux intimes. Elle s’inspire des débuts de son journal qui remonte à l’école élémentaire, et qui ne s’arrête qu’en 2014.

Missy n’est pas l’histoire personnelle à laquelle vous vous attendez. Tout est plus petit, plus calme et plus intime. La dessinatrice s’intéresse avant tout aux ratages dans les relations humaines. Elle n’a pas peur de laisser le silence, les images et l’encre s’imposer dans la narration. Elle capture ainsi à merveille les zigzags émotionnels et l’ennui constant propre à l’adolescence. On retrouve dans Missy le souvenir de nos années collège, des mots écrits dans la marge des livres, de cette pâte dont le passé est fait.

Pour fêter la sortie de la nouvelle bande dessinée de Daryl Seitchik, Exits, nous nous sommes entretenus avec l’artiste. Comment trouve-t-elle l’inspiration dans la vie quotidienne ? Qu’est-ce que ça fait d’être le personnage principal de son œuvre ? Comment étaient ses années collège ? Tout est à découvrir dans l’interview ci-dessous.

Konbini | Comment t’es-tu mise au dessin ? Qu’est-ce qui t’a attirée dans la bédé ?

Daryl Seitchik | Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours écrit et dessiné, mais c’étaient des activités séparées. Parfois, je les combinais pour des devoirs à l’école.

Je me souviens qu’en sixième, le prof nous a demandé d’écrire une histoire de trois pages avec une morale à la fin et de la lire devant la classe. Je me suis laissée emporter par la construction du cadre, et ça a fait 16 pages. J’avais envie de le lire devant la classe mais l’image de cette énorme liasse de papier a fait grogner tout le monde. J’ai eu une mauvaise note parce que je n’avais pas de morale.

Je n’ai commencé à dessiner de la bande dessinée qu’à partir de mes premières années de fac. J’avais trop peur de dessiner mes propres histoires, mais à la fin, j’ai eu le courage de faire une rubrique dans le journal de la fac. Je m’en suis occupé chaque semaine pendant un semestre, et même si c’était assez mauvais, toute ma vie tournait autour de ça.

Comment décrirais-tu ton style ? Quels dessinateurs t’ont influencée ?

Je n’aime pas trop décrire mon style parce qu’il a été trop figé et que maintenant c’est en train de changer. Ce que je veux garder c’est cette voix off en minuscule et sa tension avec les images.

Je suis influencée par de très nombreux artistes mais beaucoup ne sont pas dessinateurs. J’ai trouvé cette voix off, par exemple, après avoir écouté Colossal Youth des Young Marble Giants, qui est aussi tranquille et timide que le rock peut l’être sans perdre son attitude.

Ceux qui me connaissent savent que je suis accro au groupe My Bloody Valentine. J’aimerais réussir à décrire avec des mots ce que leur musique m’apporte. C’est comme une thérapie, plus que de la musique.

Dans la série Missy, tu utilises tes véritables journaux intimes. Pourquoi as-tu voulu commencer avec des histoires si personnelles ?

Missy, mon journal intime, a plus de 19 ans. Il fait plus de mille pages et si je voulais, je pourrais passer le reste de ma vie à dessiner des cases sur mes 25 premières années. Mais j’ai pas trop envie.

J’ai décidé de transformer Missy en bédé après ma licence, j’avais envie de rassembler ma vision assez fragmentée de moi-même, ou du moins de donner du sens à ces fragments.

Lorsque j’ai quitté la structure de l’école, et n’ai plus bénéficié de l’aide financière de mes parents, j’ai été submergée par l’âge adulte. Cela a remis en question mes certitudes à propos de moi-même, du monde et de ma place dans ce monde.

La seule chose certaine, c’était que j’étais redevenue une petite Daryl et que j’avais envie de dessiner.

Chaque épisode de Missy m’a demandé de revenir à l’état d’esprit dans lequel j’étais en écrivant. J’ai fait la plupart des planches sur le collège en écoutant Green Day par exemple.

Souvent, j’ai choisi des entrées qui correspondaient à mon état d’esprit du moment. Mais en dessinant, je distançais le souvenir. L’épisode ressemble autant à ce qu’il s’est produit que mon alter ego me ressemble. C’est-à-dire très peu.

Pour faire de la bédé, il faut garder un niveau de simplicité dans l’information et, tout en me poussant à garder des nuances émotionnelles dans la planche, je devais aussi jeter tout ce qui était superflu. Le truc pour réussir à se dessiner, c’est d’habiter la page, et pas de s’identifier à l’image.

On critique souvent les dessinatrices femmes parce qu’elles sont plus dans une écriture autobiographique. Tu penses que le fait d’être une femme a influencé la réception ou l’interprétation de ton travail ?

Il y a un stigmate attaché à la bande dessinée autobiographique dans la communauté. Mais ça n’a pas grand chose à voir avec le genre, plutôt avec cette croyance (idiote) que la fiction est plus artistique.

Ce qui est vraiment dommage avec cette croyance, c’est qu’on dévalue l’expérience vécue, non seulement en tant que réservoir artistique mais aussi qu’histoire potentielle.

Je ne me suis jamais sentie enfermée dans la catégorie des dessinatrices autobiographiques, mais j’ai intériorisé beaucoup d’interprétations qui accompagnent cette étiquette : être autocentrée, être une fausse artiste. Je me suis auto-enfermée.

Quels conseils donnerais-tu à ceux qui dessinent mais ne savent pas comment trouver leur public ?

Continuez à faire vos trucs. Si vous n’aimez pas ce que vous faites, ne le montrez pas. Si vous aimez ce que vous faites, mettez-le sur Internet. Peut-être que ce sera un peu comme parler dans le vent pendant un bout de temps, mais même une fois que tu as trouvé ton public (ou plutôt, qu’il t’a trouvé), tu continues à parler dans le vent.

Le premier roman graphique de Daryl Seitchik, Exits, est disponible à l’achat. Pour découvrir son travail, rendez-vous sur son site

Traduit de l’anglais par Sophie Janinet