J’ai passé cinq jours avec des activistes à l’assaut d’une mine de charbon

J’ai passé cinq jours avec des activistes à l’assaut d’une mine de charbon

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Par Jérôme G.

Publié le

Où suis-je?

Servir concrètement à quelque chose

À chaque fois que des gens ont voulu se battre pour une minorité, pour un groupe oppressé qui n’avait pas le pouvoir en leurs mains, il fallu enfreindre la loi.

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Ouais, ça me parle. Aller au charbon, dans tous les sens du terme, pour se faire entendre, pour s’unir face à l’injustice qui permet à RWE (l’EDF allemand, en somme) d’exproprier des agriculteurs à des prix dérisoires sous peine de les exproprier à des prix encore plus dérisoires. Instinctivement, j’allais parler de sauvagerie, mais cette pratique est tout sauf sauvage : même si elle est brutale, il d’agit de la destruction systématique d’un territoire à des fins économiques.

Des flics en civil sont très certainement dans l’assemblée

Le soir, une réunion proposée par les délégations nous informe des détails de l’action du lendemain. On nous conseille de nous coucher tôt, le bar sera d’ailleurs fermé ce soir-là. La rigueur allemande est à l’œuvre, l’ambiance est militaire, calme, une petite dizaine de traducteurs sont là pour faciliter la compréhension de tous, à l’aide de radios portables distribuées à qui veut, que l’on règle sur la langue de notre choix. Vous voyez à l’ONU tous ces types qui écoutent attentivement ce qui est traduit dans leur drôle de casque ? Eh bien on était à l’ONU, mais les pieds dans l’herbe près du chapiteau principal, à la nuit tombée, et sans délégation gouvernementale.
C’est calme, la moitié des activistes, dont moi-même, devons rester concentrés pour être capable de comprendre ce qu’on nous dit à l’oreillette. Déjà que ma présence sur le camp ne date que d’un jour et que je ne sais franchement pas où j’ai foutu les pieds, j’ai plutôt intérêt à savoir pourquoi et comment on va me réveiller dans quelques heures. De plus, quand je comprends qu’on ne peut pas nous dire l’heure précise du réveil car des flics en civil sont très certainement dans l’assemblée, j’ai comme l’impression qu’il faut que je prenne cela avec un peu de sérieux.
Quatre colonnes sont formées (des fingers : doigts), au sein desquels agiront des groupes formés par affinités. Ces groupes sont nécessaires pour des raisons pratiques. Afin que l’action soit coordonnée sur le vif, les activistes ont formé des groupes à leur initiative. Le mien est composé de cinq personnes, nos intentions sont pacifiques, elles consistent à aller le plus loin possible jusqu’à notre arrestation éventuelle. Nous souhaitons tous garder l’anonymat et si l’occasion se présentait, servir d’appât pour la police, faire diversion pendant que “l’ongle” (the nail) en tête du finger passerait au travers des lignes formées par les policiers.
Avoir un groupe, et un binôme dans son groupe, permet aux uns et aux autres de se surveiller, de prendre soin des éventuels blessés, de ne pas se perdre. Lors de l’organisation des colonnes, un élan me pousse à ne pas être à l’arrière de l’action mais, un peu comme dans le public d’un concert, je cherche à voir le spectacle de plus près en mettant vers l’avant.

Chassé-croisé avec la police

5h30 : J’ai mal dormi. Réveillé quelques fois par le stress et la crainte de louper le réveil. La sirène du mégaphone retentit. Les préposés au réveil alertent non sans humour le champ de tentes endormi qui s’étale autour d’eux. Pas assez bien réveillé à ce moment-là, je ne pourrais m’en rappeler. L’excitation et la fatigue se mêlent au petit-déjeuner. “On ne combat pas le ventre vide !” disent les Allemands. Personne ne sait ce qui va se produire dans les minutes à venir. On sait juste que le weekend sera long et que pour le moment, il ne pleut pas, et c’est déjà pas mal. Pour ma part, j’enchaîne les gobelets de café et j’enroule quelques galettes de blé noir avec du sucre pour donner du courage à mon estomac. Dans mon gros sac à dos, des provisions, des vêtements de rechange, des bouteilles d’eau… de quoi tenir un jour ou deux.
6h30 : Le drapeau vert est brandi, celui de ma colonne, nous sommes prêts à partir. Un hélicoptère nous survole depuis déjà quelques minutes. On se rassemble. Je cherche du regard mon ami qui m’a ramené dans ce camp, mais rien. Ça m’aurait rassuré de voir une tête connue. À ce moment-là, je ne sais pas trop ce que je suis en train de faire. Les premiers pas au dehors du camp sont rythmés par quelques mots scandés :

What do we want ? Climat justice ! When do we want it ? Now !

“Ils ont uni leurs forces pour nous bloquer”

Demandez-vous en quoi vous pouvez être utile

Je ne suis pas militant, je n’étais pas activiste à mon arrivée sur le camp, et j’ai déjà essuyé quelques gentilles moqueries (peu nombreuses, certes) quant aux perspectives d’avenir offertes par cette aventure. Bien sûr, le monde n’a pas changé grâce à 1 600 personnes. Mais il aura plus changé qu’à 200, le nombre d’individus que comptait le camp l’année passée. La mobilisation est de plus en plus forte, chaque jour, et je ne vous mettrai pas à l’abri de l’aventure fabuleuse de l’action directe.
Par mes mots, je veux vous embarquer, pour les plus audacieux, à bord d’une société nouvelle. Une société qui ne s’érige pas seulement contre le système actuel, mais qui supporte de nouvelles formes de solidarité pour la construction quotidienne d’alternatives à la violence des puissants de ce monde, à la consommation irréfléchie de nos ressources, à l’érection permanente de barrières.
Mon message aujourd’hui, c’est que des organisations sont là, des associations, des camps de militants prennent place, et il est facile d’être curieux de ces choses-là, si vous pensez que quelque chose ne tourne pas rond dans votre manière de consommer et cela malgré vos convictions. Je ne fais pas un appel à aller au front, ça c’est votre décision. J’en appelle juste à votre présence pour que vous jugiez par vous même afin que cela vous donne (peut-être ?) envie d’apprendre, et pourquoi pas d’agir en conséquence.
Participer à ces actions, découvrir ces associations, c’est vous demander en quoi vous pouvez être utile. On ne vous demandera jamais votre couleur politique, de manger vegan ou bien la facture annuelle de vos nouvelles toilettes sèches. Pour ma part, j’ai juste appris beaucoup de choses et maintenant, je veux les transmettre.
Article édité et mis en page par Theo Chapuis. Toutes les photos sont de 350.org Allemagne. Le texte est de Jérôme G.