Cuisine tradi et antichambre du pouvoir : bienvenue Chez Françoise, la cantine des députés

Cuisine tradi et antichambre du pouvoir : bienvenue Chez Françoise, la cantine des députés

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© Agathe Hernandez pour “Cantine générale”

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Par Konbini Food

Publié le

Entretien avec le directeur de ce restaurant emblématique, à retrouver dans Cantine générale.

Konbini Food publie les bonnes feuilles de Cantine générale, premier ouvrage pop culturel (bilingue) dédié à la cantine sous toutes ses formes et à la manière dont elle nous accompagne tout au long de notre vie en société. Un livre imaginé par les Magasins Généraux-BETC et Phamily First que vous pouvez vous procurer en librairie ou en ligne.

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Situé idéalement à 400 mètres de l’Assemblée nationale dans l’ancienne aérogare d’Air France, le restaurant Chez Françoise est plus connu en tant que “cantine des députés”. Une véritable institution empreinte d’histoire (et de petites histoires) pourtant aujourd’hui menacée de fermeture. Une “antichambre du pouvoir” comme son directeur Pascal Mousset nous le raconte.

Club Sandwich | Il paraît que l’avenir de Chez Françoise serait compromis ?

Patrice Mousset | C’est vrai. J’ai la chance de gérer depuis 25 ans le restaurant Chez Françoise aux Invalides qui est une institution créée en 1949 pour la compagnie Air France. L’endroit est devenu de par sa situation géographique la “cantine des députés”. Ou alors l’annexe, quand ils ne veulent pas aller au septième étage [là où se trouve le restaurant d’entreprise de l’Assemblée, ndlr].

C’est une concession de la ville de Paris donnée à Air France en 1949, mais comme l’aérogare est mal entretenue, la ville la lui retire et va mettre en compétition des promoteurs immobiliers. À presque 70 ans, il y a peu de restaurants à Paris qui peuvent se vanter d’avoir cet âge-là, cette clientèle, cette histoire. Donc je me bats pour convaincre les pouvoirs publics que ça a du sens de conserver Chez Françoise.

Avez-vous une clientèle uniquement constituée de parlementaires ou servez-vous un personnel politique plus large ?

C’est un restaurant ouvert au public. La clientèle parlementaire ne représente que 20 % de notre activité. On reste une grande brasserie ouverte au plus grand nombre. Les politiques aiment bien venir chez nous parce qu’on a le côté confidentiel, au sous-sol, un peu club… Et le lieu est très grand. Donc on peut échanger, se rencontrer, se réunir. On y croise aussi beaucoup de personnel du Quai d’Orsay. Les diplomates viennent. Ça en fait un carrefour d’échanges privilégiés entre administration publique, privée, média…

“La plupart des députés viennent de province, donc ils aiment la cuisine de terroir, les produits de qualité, cuisinés sans trop de chichis”

La grande question : quel genre de gastronomie aiment les politiques ?

C’est une question qu’on me pose souvent. Ils aiment les choses simples. La plupart des députés viennent de province – 500 sur 577 –, donc ils aiment la cuisine de terroir, les produits de qualité, cuisinés sans trop de chichis. Aujourd’hui, ils veulent de moins en moins de matières grasses, pas de sauces… Surtout pas quelque chose de trop gastronomique, de trop riche ou de trop compliqué.

Donc pas de poisson entier parce que c’est embêtant à manger. Ils préfèrent les coquilles Saint-Jacques, ou un gigot rôti avec des haricots verts frais ou un gratin dauphinois, des poissons marinés, des poireaux vinaigrette, une salade d’artichauts et en dessert une tarte aux fruits de saison. Ils veulent être reconnus aussi et servis rapidement parce que leur agenda ne permet pas de rester trois heures à table non plus.

© Chez Françoise

Est-ce qu’il y a un plat emblématique du restaurant ?

Nos plats signatures sont issus de la cuisine traditionnelle française. Le foie gras de canard fait maison, la sole meunière, les crêpes Suzette. Ce sont les trois plats qui n’ont jamais quitté la carte depuis 1949. Après, il y a toujours une terrine de saison au menu, parce que c’est vraiment dans le registre “cuisine du terroir”.

Et puis des plats de champignons, des asperges, des choses de saison… c’est vraiment le genre de plats que les clients attendent de Chez Françoise parce que ça rappelle la cuisine de maman. On vient ici se ressourcer, pas chercher des créations impossibles. Il y a des chefs étoilés pour ça. Et puis s’il y a encore quelques bistrots qui défendent la cuisine tradi, on n’en trouve plus tant que ça dans le paysage culinaire parisien. On est un peu le village d’Astérix dans un paysage gastronomique qui s’aseptise.

“Tous les habitués ont leur table. Dominique Bussereau, Marine Le Pen, Bruno Le Roux, Claude Bartolone, Patrick Ollier, Jean-Paul Delevoye… ils ont tous leur table favorite”

Est-ce qu’il y a – ou il y avait – un homme ou une femme politique avec une demande, un plat, une anecdote, quelque chose qui a marqué l’histoire de l’établissement ?

Tous les habitués de Chez Françoise ont leur table. Dominique Bussereau, Marine Le Pen, Bruno Le Roux, Claude Bartolone, Patrick Ollier, Jean-Paul Delevoye… ils ont tous leur table favorite. Certains veulent être vus, d’autres pas. Par exemple, Marion Maréchal Le Pen, quand elle venait faire ses déjeuners de presse, c’était systématique, elle voulait tourner le dos à la salle. Elle veut pouvoir se concentrer sur son travail et si elle fait face à la salle, à un moment donné, on va venir la voir ou la croiser du regard et ça va perturber son déjeuner.

Les Saint-Jacques de Chez Françoise. (© Chez Françoise)

Et puis il y a des jeux de rôle. Monsieur Balkany, quand il venait chez nous, il voulait être vu. C’est important de s’afficher Chez Françoise. C’est un jeu de rôle, c’est du théâtre et moi, mon rôle, c’est de faciliter ça et de répondre aux besoins du client. Finalement, Chez Françoise, c’est “l’antichambre du pouvoir”. Quand on souhaite accéder au pouvoir, à un poste, ou gagner des élections, on vient ici. Quand ils accèdent au poste en question, je ne les vois plus et puis dès qu’ils perdent ou quittent le poste, ils reviennent.

Sinon, je pense à une anecdote, hors politique, mais amusante : c’est ici que Louis de Funès a pris son inspiration pour Septime dans Le Grand Restaurant. Quand vous voyez Septime faire “tatata” en regardant les garçons mal faire, ça, c’est un truc de Monsieur Rousseau, le fondateur de l’établissement. Une anecdote me revient : Michel Rocard avait sa table. La 38. Et son rituel : un petit whisky, une demi-bouteille de sancerre blanc. Un monsieur d’une grande gentillesse.

“Ce n’est pas de bon ton de mettre les gens d’un même parti les uns à côté des autres dans un restaurant”

En parlant des tables favorites : est-ce qu’il y a aussi une géographie politique à observer dans le placement ou est-ce qu’on mélange tous les bords ?

Non, contrairement à ce que l’on pense, il n’y a pas la droite d’un côté et la gauche de l’autre. Parce que si en apparence tout le monde semble copain dans un même parti, ce n’est pas toujours le cas. Quand ils sortent de l’Assemblée, la plupart des hommes politiques ne veulent pas être les uns à côté des autres car il y a une compétition. Une compétition pour accéder au pouvoir, prendre des postes dans un parti.

Et ce n’est pas de bon ton de mettre les gens d’un même parti les uns à côté des autres dans un restaurant. Parce qu’ils ne peuvent pas échanger tranquillement. C’est plus facile – sans mettre les bords opposés côte à côte – de placer un socialiste, un républicain, un “En Marche” à trois tables d’écart que de mettre des personnalités politiques du même bord. Car ils vont se neutraliser, ils ne pourront pas parler et ça va gâcher leur déjeuner. Et fréquemment, ils ne veulent pas qu’on sache, au sein de leur parti, avec qui ils déjeunent non plus.

Donc, on a des compartiments, des rideaux, paravents, banquettes, etc. pour séparer tout ce petit monde. Il faut qu’ils s’entrevoient mais pas qu’ils s’approchent. Tout ça, ça nécessite beaucoup de doigté. Et comme je le dis souvent : “Mon job, c’est 90 % de psychologie”. C’est à moi de comprendre en un regard ce que mon client attend de moi.

“Les personnalités En Marche, on a eu beaucoup de mal au début parce que ça faisait beaucoup de nouvelles têtes d’un coup.”

Vous devez impérativement vous tenir au fait de l’actualité politique ?

On est obligé. On doit connaître tous les visages, les noms de toutes les personnalités politiques. Si jamais je reçois un secrétaire d’État, même inconnu du grand public, je dois pouvoir l’appeler monsieur le Ministre. Après, je ne peux pas être au courant de tout, il y a des choses qui nous échappent, on est humains, mais on fait tout pour se tenir à la page. Et les clients viennent chez nous aussi parce qu’ils savent qu’on va les reconnaître.

Par exemple, les personnalités En Marche, on a eu beaucoup de mal au début parce que ça faisait beaucoup de nouvelles têtes d’un coup. Mais maintenant je connais toutes les personnalités importantes du mouvement parce que je dois les recevoir avec la même attention que je recevais le personnel politique des générations précédentes. Je ne dois pas faire de différences, sinon on va penser que je penche pour l’un ou l’autre et je ne peux pas me permettre. Je perdrai une partie de ma clientèle si on pense que je suis encarté.

Texte : Mathias Deshours
Photos : Agathe Hernandez
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