AccueilArchive

L’architecture bionique, une nouvelle manière de concevoir la ville

L’architecture bionique, une nouvelle manière de concevoir la ville

avatar

Par Arnaud Pagès

Publié le

Écologique et visionnaire, l’architecture bionique pourrait bien bouleverser notre quotidien.

À voir aussi sur Konbini

Immeubles en forme de galet, tours végétalisées… Bien plus qu’une simple fantaisie d’architectes amoureux du vert, l’architecture bionique, qui entend respecter des principes naturels, bouscule les schémas établis dans ce domaine. Née grâce au talent d’une nouvelle génération d’architectes, conscients de la nécessité de trouver des solutions au dérèglement climatique, l’architecture bionique s’inspire de travaux “organiques” de visionnaires comme Zaha Hadid ou Frank Lloyd Wright. Objectif : rendre nos villes non polluantes et écofriendly.

Cette révolution verte va bien plus loin qu’un simple combat écologique. Son but est de redéfinir entièrement notre rapport à la nature. Pour en apprendre davantage, nous avons interviewé Vincent Callebaut, architecte belge basé à Paris dont les travaux innovants commencent à prendre forme à travers le monde.

Konbini | D’où vient cette nouvelle architecture plus “naturelle” ?

Vincent Callebaut | C’est un concept qui est récent, il a quelques années tout au plus. Cette nouvelle architecture s’inspire des 3,8 milliards d’années de développement qui se sont effectuées dans la nature. Depuis l’apparition de notre Terre, la nature fait le tri entre les espèces les plus efficientes du point de vue de leurs matériaux, de leur structures et de leur formes.

En plein boom du développement durable, où l’homme se rend compte qu’il a complètement détraqué la planète, les architectes bioniques cherchent des solutions pour ne plus construire en opposition à la nature mais en harmonie avec elle.

Du coup, la façon de concevoir des bâtiments et de penser la ville change radicalement ?

Le principe est de mettre en place une économie urbaine circulaire qui permette de faire en sorte que tout ce qui est produit et consommé soit recyclé dans une boucle vertueuse. Le but est de quitter le concept de la ville hyper-énergivore, qui emmagasine un maximum de ressources naturelles et régurgite déchets et pollution.

En tant qu’architecte, mon fantasme ultime est de transformer la ville en un véritable écosystème vivant, ou chaque quartier serait une forêt et chaque bâtiment un arbre habité qui utiliserait la photosynthèse comme seule source d’énergie. Et que tout déchet soit traité comme une ressource naturelle recyclable et recyclée !

“Nous sommes réellement en train de réinventer l’architecture”

Mais on dépasse ici le simple cadre de l’architecture ! Vous travaillez avec des laboratoires et des instituts de recherche ?

La grande différence avec mes prédécesseurs, c’est que je fais partie de cette nouvelle génération d’architectes sensibilisée par les films d’Al Gore, de Nicolas Hulot ou de Yann-Arthus Bertrand. Nous avons été formés avec les nouvelles réglementations européennes sur le développement durable et influencés par le Grenelle de l’environnement. Avec tous ces éléments nouveaux dans notre logiciel, et sans vouloir faire preuve de prétention, nous sommes réellement en train de réinventer l’architecture.

Mais pour cela il faut avoir des idées “out of the box” et travailler de façon transversale avec les universités du monde entier, pour prendre le meilleur dans chaque culture. C’est le challenge de la génération Y.  Mettre à profit cette prise en compte du dérèglement climatique avec la mondialisation et l’open data pour travailler de façon globale avec des experts d’autres disciplines, afin de véritablement construire demain des villes et des bâtiments intelligents.

À quelles disciplines pensez-vous ?

Nous travaillons beaucoup avec les scientifiques qui sont en train d’élaborer les matériaux du futur. Par exemple, des façades d’algues vertes capables d’utiliser le rayonnement solaire pour dégrader les déchets organiques solides et liquides qui sont rejetés par les habitations. Ou des doubles vitrages qui intègrent des pigments végétaux pour que les façades d’un bâtiment fonctionnent comme une feuille d’arbre capable de recycler le CO2 en oxygène et de générer grâce à la photosynthèse de l’électricité.

L’architecture devient donc un moyen concret de lutter contre le réchauffement climatique ?

C’est le but. Avec l’université de Singapour, qui est spécialisée dans les larges structures flottantes, nous développons un projet d’île artificielle qui s’appelle Lilypad. Ce projet a pour but de fournir un abri aux premiers réfugiés climatiques qui seront au nombre de 250 millions en 2050.

Avec l’université de Berkeley,  où des chercheurs imaginent comment intégrer les algues vertes dans la production d’énergie, nous sommes en train de créer des épidermes de façades d’immeubles qui seront vivants.

Enfin, avec les industriels, nous travaillons à améliorer le coût des énergies renouvelables pour les rendre moins chères. Le but, à terme, est de se passer des énergies fossiles. Les villes de demain seront post-carbone, post-fossile, et aussi post-nucléaire !

“L’ immeuble de demain produira sa propre chaleur en hiver et sa propre climatisation en été”

Est-ce que ce mouvement est également une composante de la troisième révolution industrielle, dont on parle beaucoup en ce moment ?

Tout à fait. Cette troisième révolution industrielle, qu’on appelle aussi TRIA, a été théorisée par l’économiste américain Jeremy Rifkin. Aujourd’hui, grâce à la fusion des technologies de l’information et des communications alliée aux énergies renouvelables, on peut produire sa propre énergie. L’architecture bionique s’empare de ces innovations et de ces évolutions pour concevoir de nouveaux modèles architecturaux. L’immeuble de demain produira sa propre chaleur en hiver et sa propre climatisation en été.

On se dirige donc vers des immeubles totalement autonomes, voire autogérés ?

Oui. Et si je végétalise la façade de mon bâtiment avec des fruits et légumes, je pourrais le transformer en une ferme verticale qui proposera à ses habitants de devenir les cultivateurs de leur propre agriculture biologique. Cette révolution propose une décentralisation du système énergétique, c’est-à-dire que l’on va tous se débrancher du réseau EDF-GDF.

En faisant cela, on pourra alors tisser une “Smart Greed”, un réseau intelligent qui connectera tous ces bâtiments entre eux et qui créera, grâce à internet, un Facebook de l’énergie. Chaque bâtiment pourra échanger en temps réel les énergies produites grâce à ce réseau intelligent.

C’est une vraie révolution !

Ce qui est super excitant pour le moment, c’est qu’on nous parle constamment de la crise mais cette crise appartient à un monde qui n’existe déjà plus vraiment. On est en train de passer du capitalisme du XXe siècle, fondé sur l’accumulation des biens et construit sur un modèle vertical, à un “solidarisme” basé sur l’accumulation des innovations sociales. On bascule tout le poussiéreux modèle vertical vers un modèle horizontal complètement neuf, accessible et démocratisé pour tous, où finalement chacun pourra reprendre le pouvoir sur son mode de vie et réinventer un nouveau modèle de société globale.

On parle beaucoup des “smart cities” en ce moment avec des villes gérées entièrement grâce à une super-intelligence artificielle. Ce schéma s’oppose à celui que vous décrivez ?

Cette opposition existe surtout en Europe. Il y a d’un côté le mouvement “high-tech”, basé uniquement sur le développement de l’intelligence artificielle et de l’autre celui du “low-tech”, centré sur l’innovation sociale et humaine. Il faut prendre le meilleur dans chacun de ces courants et ne pas les mettre nécessairement en opposition. C’est ce qu’on appelle le modèle “bottom up”.

L’urbanisme contemporain se fera à l’intersection de ces deux courants, en inventant de nouveaux prototypes d’architecture mais aussi de nouveaux modèles pour mieux vivre ensemble. On va réellement inventer de nouvelles façons de vivre ! Je suis persuadé que l’homme restera aux manettes de la ville. Il y a quand même très peu de chances qu’un super-ordinateur doté d’une intelligence artificielle surpuissante puisse un jour contrôler entièrement la ville.

Selon vous, à quoi ressemblera Paris dans cinquante ans ?

Je parlais précédemment de la solidarité énergétique, du bioclimatisme et des énergies renouvelables. Eh bien, c’est exactement cela. Les immeubles haussmanniens, aussi beaux soient-ils, sont de véritables passoires thermiques ! Pour qu’ils deviennent sobres en carbone, il va falloir les équiper de greffes d’architecture contemporaine qui produiront l’énergie nécessaire. Cela vaut aussi pour les immeubles plus récents, qui datent du XXe siècle.

Comme cela, tous les bâtiments de la ville seront alignés sur le même principe de pollution zéro et d’autosuffisance énergétique. On va construire un Paris intelligent. Il est également prévu de rééquilibrer le rapport campagne-ville. Paris intégrera l’agriculture du futur, qui se passera alors essentiellement dans les villes grâce aux fermes urbaines. Paris va se végétaliser ! Et son aspect général n’aura plus rien à voir avec le Paris que nous connaissons.