La street c’est lui : rencontre avec Mac Tyer pour la sortie de son dixième album

La street c’est lui : rencontre avec Mac Tyer pour la sortie de son dixième album

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Mac Tyer / Facebook

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Par Henri Margueritte

Publié le

“J’ai toujours parlé de la rue parce que je n’ai connu que ça. C’est mon cadre de vie, je ne peux rien y faire.”

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(© Fifou)

Un porte-drapeau à la mentalité guerrière. En 2001, celui qu’on appelle Socrate déboulait enragé au mic aux côtés de Mac Kregor, son binôme de l’époque avec qui il formait le duo Tandem. 18 ans plus tard, Mac Tyer est aujourd’hui une pointure dans le game, devenu une référence indéniable de tout amoureux du rap. C’est la street mon pote, le dixième album de Mac Tyer, sort ce vendredi 30 novembre.

Un rap rugueux, pas forcément hospitalier mais porteur d’un message, et c’est là que le rappeur d’Aubervilliers diffère d’avec la nouvelle génération. Sa musique est le passeport pour “the real street knowledge”.

Pour clôturer l’année en beauté, et histoire de parachever sa récente signature au sein du label DefJam (où se trouve son jeune ami Rémy), le rappeur vient de sortir son dixième projet, C’est la street mon pote. Une street contée différemment de celle de Jul, qui sortira bientôt La zone en personne, mais qui va dans le même sens, sans trop d’artifices.

Difficile donc de ne pas retracer une bonne partie de sa carrière et d’en profiter pour le questionner sur sa vision du rap actuel. À l’occasion de la sortie de son dixième album C’est la street mon pote, rencontre avec Mac Tyer, rappeur fier, homme d’affaires ambitieux et grand frère du 93.

Konbini | Salut Mac Tyer, ça fait quoi de sortir son dixième album ?

Mac Tyer | Je ne m’étais même pas rendu compte que c’était le 10e tu vois… Ça fait plaisir d’être encore là au bout de dix albums, d’avoir toujours cette envie de transmettre. Avec du recul je me dis : “Putain, j’ai traversé tellement de choses.” Quand t’as la tête dans le guidon, tu construis ton truc sans vraiment faire exprès.

Il y a 18 ans, tu sortais ton premier album avec Tandem. Qu’est-ce qui a changé depuis ?

Tandem c’était un groupe des années 2000. À cette époque tout fonctionnait déjà par castes. La chance des groupes des années 90, c’est que la société était beaucoup plus ouverte que quand nous on a commencé à rapper. Les gens arrivaient à réaliser beaucoup plus de choses. Dans les années 2000, Tandem, la Mafia K’1 Fry, etc., faisaient du rap ghetto, les parisiens faisaient du rap de parisien, il n’y avait plus de passerelles.

À ce propos, qu’est-ce que tu écoutais quand tu étais petit ?

Si je rappe, c’est grâce à IAM. Je m’en rappellerai toute ma vie. Quand ils ont sorti L’École du Micro d’Argent, j’ai compris ce qu’il fallait que je fasse de ma vie. Mais le milieu était trop fermé… Il y avait encore la notion de “il a baissé son froc”. Dans les années 2000, j’aspirais à plein de choses et on me prenait pour un fou. Je m’étais fait connaître par ma colère, sauf que j’étais aussi très éclectique. À cette époque personne ne sortait vraiment de sa zone de confort, mais moi si.

À quel moment as-tu senti que ta carrière prenait une réelle ampleur ?

Je ne m’en suis pas rendu compte. J’étais en mode banlieusard donc je croisais toujours les mêmes gens qui étaient habitués à me voir. Il faut que tu sortes du quartier pour vraiment te rendre compte que t’as passé une étape.

En 2004 vous sortez votre 2e projet, Tandematique Modèle Vol. 2, d’autres suivront… Était-ce important pour toi de te développer dans un groupe avant d’entamer une carrière solo ?

Non, je n’ai rien calculé. Je pensais même qu’on resterait en groupe, et si c’était en solo, qu’on le ferait comme Outkast avec des doubles albums. On pensait qu’on allait se développer comme ça, mais la vie n’en pas décidé ainsi, ça s’est passé autrement.

Dans votre album C’est toujours pour ceux qui savent, on retrouve l’inévitable “93 Hardcore”. Est-ce que vous avez senti le potentiel énorme de ce morceau à l’époque où vous le prépariez ?

Y’a une anecdote à ce sujet. À la base, c’est moi qui avais trouvé le sample de “93 Hardcore”, j’étais à l’initiative de ce titre. Le sample, je l’ai écouté dans un film qui s’appelle Bound. C’est un film sur César, un mafieux, et c’est la musique jouée pendant la présentation de son personnage que j’ai samplée. J’envoie ce sample à Jo le Balafré, je lui dis de faire un morceau avec ça et qu’on va en faire l’hymne du 93. On fait le morceau, il apparaît sur une compilation, il n’est pas clippé, et du coup il ne sort pas vraiment du lot.

Alors quand on fait Tandematique Modèle Vol. 2, je décide de mettre “93 Hardcore” dans le best of et de le clipper. Histoire de finaliser mon idée de base, à savoir : sampler Bound, faire cet hymne pour le 93 et faire son clip.

Tu penses qu’il s’inscrit dans la suite de “Seine-Saint-Denis Style” ?

Oui je pense. À la base NTM était un groupe très hip-hop. “93 Hardcore” était un peu le premier hymne racaille socialement parlant, où l’on dévoilait le malaise et les problèmes sociaux du 93. C’est pour ça que ce titre est difficilement remplaçable.

En 2005, tu sors donc l’énorme mixtape Patrimoine du ghetto, tu peux me raconter la naissance de ce projet et le souvenir que tu en gardes ?

J’étais à l’initiative du projet. Tous les invités étaient des artistes que je respectais beaucoup. Je n’aspirais qu’à fédérer, et je portais le projet en total indé à l’époque. Y’avait Kery James par exemple, il m’a inspiré pour rapper. J’étais en prison à l’époque d’Ideal J, j’étais jeune, je les ai beaucoup écoutés. J’étais un rappeur de la rue qui avait envie de réaliser ses rêves, j’avais appelé Akhenaton, Booba, 113, Ekoué de La Rumeur, Lino, Nessbeal, Mac Kregor, Despo Rutti, (et bien d’autres)… On aimait le même rap, on aimait le rap.

J’ai réussi à faire ce projet super fédérateur alors que je devais avoir 24-25 ans. Aujourd’hui, encore je porte Patrimoine du ghetto dans mon cœur.

Tu penses que le rap est plus individualiste aujourd’hui qu’à l’époque ?

La nouvelle génération collabore plus qu’avant, mais elle est plus individualiste. 

“Dans le game ils ont l’air unis, mais ça n’est qu’une façade.”

Tu regrettes l’âge d’or des mixtapes ?

Pour un jeune artiste, c’était le moyen de se faire connaître. Maintenant ça passe par YouTube, donc tu n’as plus besoin d’être validé par un milieu pour exister. À l’ancienne, celui qui se retrouvait dans une mixtape ou une compil, c’est qu’il avait déjà fait le parcours du combattant et qu’on pouvait dire : “Lui c’est un bête de rappeur.”

“Aujourd’hui ‘bête de rappeur’ ça ne veut plus rien dire. Regarde 6ix9ine aux États-Unis…”

C’était important pour toi d’être sur 93 Empire de Sofiane du coup ?

Oui bien sûr ! C’est pas du fake, c’est réel. C’était important de montrer mon soutien au projet. Je pense que c’est une bonne initiative de Fianso, il a réussi à fédérer toute la jeune génération du 93 avec des anciens comme NTM, Alpha 5.20, etc. Je trouve ça bien, parce qu’à une époque les différents rappeurs du 93 avait beaucoup de mal à s’entendre. Aujourd’hui le 93, c’est peace.

En parlant de 93 Empire, dans “Hasard” tu dis : “On se concerte avec Fianso pour savoir si je dois rentrer dans le cercle”, t’as pris ta décision ?

Pas encore. J’aime pas faire comme tout le monde. Donc si je le fais, il faut que ça se fasse de manière folle.

En 2006, dans la foulée de Patrimoine du ghetto tu sortais ton premier album solo Le Général, un projet super caillera avec une pastille qui sort du lot : “Petits frères, petites sœurs”. Tu peux expliquer le message de ce morceau ?

Moi ce que je raconte, c’est des choses vraiment street, mais c’est pas pour faire partir en couilles. Quand quelqu’un qui n’est pas forcément de la rue m’écoute, il doit se dire : “J’aimerais pas avoir cette vie là”, parce que c’est pas marrant. Je ne suis pas dans l’apologie de Tony Montana. Même dans “93 Hardcore” je disais : “Imbécile, tu fais une mère déçue quand tu niques la justice.”

“On sait comment on vit, mais ce que l’on dit c’est plus un constat qu’une incitation.”

Comment avait été accueilli ce premier album solo ?

Les gens de ma génération l’ont très mal accueilli, parce que les sonorités que j’abordais n’existaient pas. Toi, t’as 21 ans, t’es pas conscient de ça. À l’époque, quand je fais cet album et notamment “93 tu peux pas test”, les gens m’ont pris pour un fou quand ils ont entendu l’instru. Tout ce qui était dans l’univers trap avait du mal à passer auprès de ceux de ma génération. Mais les plus jeunes, eux, ils aimaient déjà.

Tu as perdu ton frère Bigou en février 2015, ou est-ce que t’as puisé la force nécessaire pour ne pas abandonner et pour écrire ton projet Banger 3 sorti en 2017 ?

Banger 3 m’a servi à me prouver que je ne devais pas poser un genou à terre. Ma vie dans la musique, c’est moi et mes frères. J’ai toujours fait de la musique et ils ont toujours été liés à ce que je faisais dans la musique. La perte de mon frère fut une grosse épreuve, c’était très dur de devoir continuer à faire de la musique sans lui. Mes frères sont toujours avec moi, Bigou chantait avec moi, c’est avec lui que je montais sur scène, je partageais tout avec lui.

Quand on retrace le fil de ta carrière on se rend compte que t’as toujours été très régulier dans tes sorties de projets. De 2006 à 2012, tu sors un projet tous les deux ans, de 2012 à aujourd’hui, t’en as presque fait un tous les ans, quand est-ce que tu te reposes ?

Je ne me repose pas. Je fais de la musique mais j’ai aussi les vêtements, d’abord avec ma première marque, Untouchable. Je charbonnais, je faisais mon rap indé, j’avais mon showroom, tout le monde venait acheter des t-shirts, des casquettes, j’avais créé mon éco-système.

J’ai voulu mettre fin à ma carrière en 2012. Puis j’ai fait un morceau avec Niro et Joke (Scorpion Remix). Et d’un coup je n’avais plus l’impression de me sentir seul. J’avais de l’avance, mais eux étaient dans le même délire artistique que moi. Ce featuring m’a mis un électrochoc.

Est-ce que tu t’es mis plus de pression que d’habitude pour réaliser ce 10e album ?

Non pas du tout. J’ai fait cet album tranquillement. Aujourd’hui, je suis le grand frère qui fait “La rentrée pour tous”, qui a lancé le jeune Rémy, qui est dans la mode. Pendant tout le temps où je n’ai pas sorti d’albums ou de sons, etc., je me suis occupé de ce qui me plaisait, de vraiment réussir à lancer un artiste.

Comme son titre l’indique, l’album est super street mais il commence d’une manière très douce, qu’est-ce qui explique ce choix ?

Cet album a toutes les valeurs du rap que j’écoutais quand j’étais petit. À l’époque, quand t’écoutais Tupac ou Biggie, y’avait toujours des chanteuses qui rentraient dans le morceau. Le deuxième album de Capone-n-Noreaga, il commençait comme ça !

Quand tu vois le film New Jack City, c’est l’histoire de Nino Brown qui découvre l’existence du crack. Le film commence avec des chanteurs, ça c’était street !

“Les valeurs que je porte aujourd’hui, elles sont culturelles.”

T’as toujours apporté une grande importance à l’authenticité dans tes paroles et dans tes clips, est-ce que tu as l’impression que le rap perd de son authenticité avec le temps ?

Beaucoup restent authentiques, mais ils n’ont pas forcément la forme musicale que j’aime. Il y a plein d’artistes qui se suffisent à eux-mêmes, ils restent dans leurs quartiers, ils font leurs carrières, ils sortent des disques quand ils en ont envie… Les deux frères de PNL, par exemple qui restent fidèles à eux-mêmes, Rémy il reste à Auber, Jul à Marseille, un mec comme Soprano il est très authentique aussi. Moha la Squale ! Il est authentique, il reste fidèle à son quartier.

Dans “Hype” tu dis : “Ils ont volé nos codes pour faire les mecs de la mode”, tu parles des codes de la rue ?

Oui. Aujourd’hui, un jean large c’est stylé de fou. Une paire de requins c’est hype. Une bourgeoise peut mettre une paire de requins alors que c’était une paire de voleur/bicraveur de cité à l’époque ! Avant, quand tu mettais un survêt’ Lacoste, tu n’étais pas fréquentable, aujourd’hui un mec du 16e peut très bien porter un petit survêt’ Lacoste.

Parlons un peu de cette collab’ avec Rémy pour “Nouvelle Époque”, comment avez-vous eu l’idée de construire ce morceau sous forme de dialogue ?

On était en studio, et pendant qu’El Profesor (le beatmaker) commençait à taper une instru, on s’est mis à gratter dessus, on a échangé une ou deux phases, et c’est parti comme ça. C’était comme une discussion privée. Il m’explique les choses qui le tourmentent, et moi je joue le rôle de son grand frère.

Ce morceau peut rappeler “L’impasse” de Kery James et Béné, sauf que Rémy qui devrait jouer Béné dans le son, est déjà très lucide. Est-ce que cette maturité t’a frappé quand tu l’as découvert ?

Oui vraiment. Rémy m’a tout de suite fait penser à Tandem, j’avais 19 ans quand j’ai écris “Imagine”, et quand je l’ai écouté pour la première fois j’ai cru qu’il avait la trentaine. Il m’a tout de suite fait penser à moi, plus jeune.

Tu lâches aussi “Il se passe quoi”, un gros banger avec Sofiane et Kaaris, est-ce que la connexion s’est faite grâce à 93 Empire ?

Non, on l’avait initiée avant la conception de 93 Empire, mais c’était Fianso qui commençait le projet. On était tous là, on parlait de l’idée de réunifier le 93, vu qu’on a tous plus ou moins rappés ensemble sur plusieurs tracks, et après voilà quoi.

“Ce morceau il est là pour certifier l’authenticité de la démarche du 93 Empire.”

Dans “Chez moi”, tu dis “La street mon pote c’est pas Les Seychelles”, si t’avais pu grandir ailleurs qu’à Auber, ou est-ce que t’aurais voulu grandir ?

J’aurais peut-être préféré grandir dans une ville moins criminogène, qui te permet d’être plus ouvert aux bonnes choses qui peuvent t’arriver.

“Quand tu viens d’un secteur très pauvre, même quand il y a de petites éclaircies, elles sont tellement polluées par l’obscurité que tu as du mal à les accepter.”

Ta vision du rap est-elle indissociable de la notion d’éducation ?

Tout est lié. Je suis le fruit d’une époque. Une époque dans laquelle le rap était quelque chose d’intelligent, qui te permettait de capter que tu devais prendre tes responsabilités. Les rappeurs d’aujourd’hui aiment bien se dédouaner du fait qu’ils sont liés à l’éducation des jeunes qui les écoutent, et se cacher derrière les médias qui encensent leur musique.

Tu es donc investi dans l’éducation des plus jeunes. Quels genres de problèmes est-ce que tu remarques par rapport à ça dans une ville comme Auber ?

Beaucoup de familles en banlieue qui n’ont vraiment pas d’argent. Auber est une ville très bizarre parce qu’elle est criminogène et chère, même pour les HLM. Les parents travaillent beaucoup et ont parfois trois-quatre enfants, c’est dur de les tenir parce qu’ils ne sont pas souvent à la maison.

“Certains enfants ont l’impression que la scolarité ne va les mener nulle part, aujourd’hui tu peux rencontrer des jeunes de 15-16-17 ans qui sont en prison et qui ne savent pas écrire.”

Qu’est-ce que tu serais devenu sans le rap ?

Je serais un mec de la rue, encore. Qui soit se ferait arrêter et irais en prison, soit ne se ferait pas arrêter et ne ferait pas de prison. Soit t’es mort, soit t’es en prison…

“Sans la musique je serais dans la rue, sans aucun doute.”

Ça fait 18 ans que tu as sorti ton premier album avec Tandem, est-ce que tu te considères chanceux de pouvoir continuer à faire ce que tu aimes et si oui, comment explique-tu ta longévité ?

Je n’arrive pas à l’expliquer. Quand on m’entend rapper, on entend toujours la ferveur, la niaque d’un challenger. On ne peut pas se dire que ça fait 20 ans que je rappe. Il n’y a pas de lassitude.

Qu’est-ce que tu espères avec ce nouvel album, et qu’est-ce qu’on peut te souhaiter pour la suite de ta carrière ?

Cet album a pour but d’annoncer que je suis en train de me relancer. Parce qu’à la base, si je suis chez DefJam, c’est parce qu’ils ont envie de développer la marque Mac Tyer.

Si j’accepte la lumière, ma plume va s’épanouir. J’ai toujours parlé de la rue parce que je n’ai connu que ça. C’est mon cadre de vie, je ne peux rien y faire.