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Je suis allé voir Flight avec un pilote d’avion

Je suis allé voir Flight avec un pilote d’avion

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Par Louis Lepron

Publié le

“Un film qui manque de réalisme”

2 heures et 30 minutes plus tard, la séance prend fin. Au sortir de la salle, la première réaction de Brice est sans équivoque : le film, selon lui, manque cruellement de réalisme, s’emmêle les pinceaux et profite d’une mise en scène efficace qui cache des incohérences scénaristiques.
Une scène en particulier l’a marqué, au début du film, lorsque l’avion décroche :

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Au niveau des procédures et des manipulations, il y a des illogismes. La plus grossière se situe lorsque Denzel Washington et son co-pilote décident, alors que les deux moteurs sont en feux, de les isoler des circuits hydrauliques, électriques et de l’arrivée d’essence. En percutant les extincteurs, il n’y a donc plus de possibilité de les utiliser. Pourtant, lorsque que l’avion est retourné et qu’il plane, Denzel Washington demande à la chef de cabine de mettre pleine puissance pour à nouveau le faire pivoter.

Brice n’y va pas par quatre chemins et enfonce le clou : “Sortir un train d’atterrissage et toutes les trainées pour ralentir un avion, je ne sais pas si un pilote d’avion aurait pris une telle décision : les trappes de train peuvent être arrachées et taper sur des parties de l’avion”.

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La scène en question (en VO)

J’insiste et essaie de continuer à croire en l’héroïsme tout américain de Denzel Washington, présenté de cette manière par Robert Zemeckis. D’où ma question : si un avion est retourné, ce qui est déjà peu probable, peut-il être remis sur le ventre par la seule force d’un moteur ?

Non.

La réponse est claire : Hollywood m’a flouté, Hollywood m’a berné. En même temps, Flight est pour le grand public, pas pour des commandants de bord qui savent de quoi ils parlent. Pour autant, le scénariste de ce film, John Gatins (Real Steel, Coach Carter), s’est inspiré de faits réels pour expliquer la cause du crash :

Un stabilisateur bloqué par une vis usée, c’est déjà arrivé.

Mais le verdict de Brice est catégorique : “Les feux moteurs, c’est un peu gros, tout comme prendre la décision de retourner l’avion. Il y a beaucoup trop d’action en si peu de temps, même si dans une telle situation d’urgence, ça peut se passer comme ça : la prise de décision doit être très rapide”.
Il rajoute, évoquant à nouveau la prise de risque de Denzel Washington de décider, au détour d’une micro-sieste, de mettre sur le dos sa machine : “C’est sûr que ce n’est pas bête. Peut-être qu’on apprendra ça aux futurs pilotes !”.

C’est possible de retourner un avion en 2013 ?

J’ai en tête mes quelques voyages en avion. Désireux d’en savoir plus sur la question d’un tel retournement de situation, j’aimerais comprendre les marges de manoeuvre d’un pilote :

Aujourd’hui, les ordinateurs bloquent. Il y a plusieurs modes sur les avions par rapport à leur contrôle : des modes sécurisés qui ne te permettent pas de dépasser une certaine inclinaison, ou des modes dégradés. Avec ce dernier, tu peux avoir 100% de la maîtrise de la machine, mais elle est alors incontrôlable.

Mais j’ai déjà vu sur YouTube des petits avions qui, avec facilité se retournaient, changeaient de côté et piquaient du nez.

Un petit avion, ok, tu peux le mettre sur le dos. Là, on a à faire à un MD-80, un McDonnell Douglas, un avion de ligne, un Boeing 717. C’est pas la même chose.

Les pilotes, ces rock star qui peuvent boire, ou pas

Pour son retour à la réalité (c’est à dire sans capture de mouvement 3D), Robert Zemeckis nous offre dans Flight une première scène “rock’n roll”. Denzel Washington, gueule de bois, se réveille. A côté de lui, une femme, nue. Il s’agit d’une hôtesse de l’air. Un rail de coke plus tard, voilà Denzel parti, en mode rock star, sur une chanson des Rolling Stones, Sympathy for the Devil.
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Mais selon Brice, ce genre de profil, qui voue un certain culte à la figure du commandant de bord, n’existe plus :

Le mythe du pilote de ligne est tombé. On n’est plus dans les années 80 avec le pilote rock star qui a 50 hôtesses derrière lui. Dans le milieu, c’est évident que certains prennent de la drogue, boivent et ont un style de vie décadent. Il y en a qui s’autorisent des petits verres parce qu’ils estiment que leur vol est long, qu’ils sont en pilote automatique, que ça fait 30 ans qu’ils font ça et qu’ils connaissent leur avion et leur trajet.

Mais Flight force le trait jusqu’à la caricature :

A l’hôpital, le co-pilote affirme que Denzel sentait le gin. Première erreur : tu ne laisses pas partir un avion en sachant que le commandant de bord a bu. C’est pas parce qu’il est commandant qu’il a tous les droits. Et il y a aussi la chef de cabine qui semble être au courant des travers de Denzel Washington. C’est absurde qu’elle ne réagisse pas.

Ses dires vont de pair avec un article publié dans The Daily Beast. Patrick Smith, un contributeur, n’a pas du tout apprecié l’image véhiculée par le personnage de Whip Whitaker, “parce des gens vont tout prendre au sérieux”. Comme le disait Brice, confirmé par Patrick Smith, les pilotes sont soumis à des dépistages de drogue imprévus. “Whitaker n’aurait pas survécu deux minutes dans le monde de l’aviation” souligne t-il.
Brice rajoute :

Aujourd’hui, on ne va pas vers plus de dénonciation au sein des compagnies aériennes, mais quand même. Les gens ont plus conscience des dangers de l’alcool et des conséquences sur la sécurité d’un vol. Même un passager qui a trop bu, on le débarque.

Un passager bourré, ça peut occuper le temps et l’attention d’un équipage et ça peut faire détourner un vol ou causer un accident. Un ami a par exemple dû poser son avion parce qu’un de ses passagers faisait une crise cardiaque. La cause : une overdose.

Justement, parlons-en des accidents.

Les accidents : environ 90% sont nouveaux

Brice est passionné par tout ce qui concerne les avions, incluant les statistiques autour des accidents. Formé à Saint-Cyr-l’École, il a poursuivi par une licence canadienne et américaine. Puis il est revenu en Europe, au Bourget, en freelance. “Il faut être très disponible” m’explique t-il. Jusque-là, il n’a connu aucun incident grave.
Mais il sait de quoi il parle lui qui a été un joueur professionnel de poker :

Entre 90 et 100% des accidents sont nouveaux. On a été formé à quelque chose qui y ressemble, mais on n’est jamais vraiment préparé à une situation : chacune est unique. Après le vol Rio-Paris qui s’était crashé dans l’Océan Atlantique le 1er juin 2009, Airbus a remis le décrochage dans sa formation. Parce que le constructeur disait de ses avions qu’ils ne pouvaient pas décrocher. Il s’avère qu’ils peuvent .

Les pilotes suivent, en général, une formation généraliste. C’est lorsqu’ils travaillent sur une machine en particulier qu’ils acquièrent un lot d’informations propre à maîtriser ses procédures dans des situations d’urgence. Mais ce n’est pas tant un imprévu que le train-train qui est dangereux.
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Crash test d’un Boeing 727
Lors des vols, la “routine est l’ennemi du pilote” :

Suite aux études des bureaux d’enquêtes, ils se sont rendus compte que les facteurs humains forment une large part des incidents. Dans les facteurs humains, il y a la relation avec l’autre. Si vous prenez l’habitude de travailler avec quelqu’un, même à une échelle assez faible, il y a moins de rigueur.

Comme dans Flight d’ailleurs, le commandant de bord et le co-pilote ne se connaissent pas. Une froideur, une absence d’intimité qui permet de fournir un meilleur boulot, une plus grande concentration.