Comment un changement typographique aurait pu sauver les Oscars

Comment un changement typographique aurait pu sauver les Oscars

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Par Théa De Gubernatis

Publié le

Tout est parti d’un bout de papier ! Après le scandale des Oscars, de nombreux internautes ont mis le mauvais graphisme des cartes en cause comme plausible explication du cafouillage.

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Rappel des faits : 26 février 2017, 21h03, au Dolby Theater de Los Angeles. Le duo mythique de Bonnie et Clyde (Warren Beatty et Faye Dunaway) sont chargés de remettre l’oscar du meilleur film. Warren Beatty, hésitant à la lecture du prix, tente d’alerter sa partenaire à coup de petits regards sur une possible erreur.

Faye Dunaway, totalement submergée par l’excitation, pose son regard sur la carte et annonce La La Land. Mais le comédien tient en fait à la main l’enveloppe de l’oscar de la meilleure actrice. Une récompense reçue quelques minutes avant par Emma Stone…

La bonne enveloppe, restée en coulisses, contenait précieusement le vrai nom du gagnant du meilleur film, Moonlight. S’ensuit alors 2 minutes et 42 secondes de cafouillage gênant qui enflammera un peu plus tard les médias et Internet, qui entrera dans l’histoire de la cérémonie.

Une hiérarchie hasardeuse

Bien que l’inversion des enveloppes est en grande partie fautive, quelques utilisateurs de Reddit ont analysé le soir même qu’une meilleure hiérarchie dans le contenu de la carte (probablement créée par l’équipe créative des Oscars, en interne) aurait pu éviter le drame. “Encore un nouveau scandale dans une cérémonie de remise de prix provoqué par un mauvais design : il aurait fallu écrire ‘Meilleur film’ et ‘Moonlight’ en bien plus grand. C’est tout. De plus, une carte utilisée en interne n’a pas besoin d’un énorme logo des Oscars”, peut-on lire sur Reddit.

“Je pense qu’un cas comme celui-ci est un parfait exemple pour démontrer à quel point un bon design est important. La carte n’était pas foncièrement mauvaise, mais tout de même pas assez réussie pour [qu’on] se dise ‘Attendez, il y a une erreur !’. N’importe qui peut faire un bon design pour des moments où tout fonctionne comme prévu, un mauvais design se révèle quand ce n’est pas le cas”, écrit un autre internaute.

Inspiré par cette problématique, le directeur artistique et journaliste Benjamin Bannister a analysé et retravaillé les cartes de remise des prix pour le site Medium, dans un avant-après simple et efficace.

On retrouve alors une hiérarchie intuitive, lisible par tous, de haut en bas. Warren Beatty aurait ainsi pu lire la catégorie en premier, “Meilleure actrice”. Dans le doute, il aurait pu confirmer le problème avec la deuxième ligne, qui indique le gagnant en gras, “Emma Stone” (et non La La Land, qui se retrouve juste en dessous, en plus petit).

“Imaginez, des millions de téléspectateurs du monde entier vous regardent à la télévision. Vous êtes un peu nerveux et devez lire une carte. Vous allez logiquement la lire de haut en bas (hiérarchie visuelle) sans questionner si la carte est la bonne !”, justifie Benjamin Bannister.

Tout en bas, on retrouve à une bien meilleur place “The Oscars”. Jusqu’à preuve du contraire et à moins d’être touché par une perte de mémoire fulgurante, Warren Beatty et Faye Dunaway sont tout à fait conscients d’être à la cérémonie et n’ont donc pas besoin d’un rappel à l’ouverture de l’enveloppe. 

Même problème, autres erreurs

Malheureusement, ce n’est pas la première fois qu’un mauvais choix de hiérarchie typographique met en péril toute une cérémonie. On se souvient de la très pénible nuit de Steve Harvey, pourtant bien accompagné ce soir-là, lors de l’élection de Miss Univers 2015.

Devant 50 millions de téléspectateurs, la moustache tremblante, il annonce la mauvaise gagnante, ruinant à jamais les rêves de strass et paillettes de Miss Colombie. Medium avait démonté point par point le design désordonné de la carte qu’il avait dû lire, rendant alors le pauvre Steve simple victime d’un mauvais graphisme.

L’élection de George W. Bush

Plus grave encore, l’affaire des “bulletins papillons”. De 1986 à 2004, l’Américaine Theresa LePore supervisait les élections présidentielles à Palm Beach, en Floride. En 2000, elle décide, en prévision des élections à venir, de simplifier le bulletin de vote pour faciliter la vie aux seniors qui pullulent dans son comté. Les noms des candidats se divisent alors en deux colonnes, séparées par un axe central contenant une lignée de trous à poinçonner.

Ces trous étaient si rapprochés les uns des autres que bon nombre de perforations tombaient entre deux noms, compliquant alors le comptage des votes. L’accession à la présidence des États-Unis de George W. Bush prit un retard de quasiment cinq semaines, et les nombreux doutes subsistants rendirent Theresa LePore en partie responsable de la défaite d’Al Gore.

Dans des événements institutionnels comme ceux-ci, un simple bout de papier peut renverser toute une situation. Il convient alors d’en faire bon usage et de penser aux conséquences d’une mauvaise lisibilité. Ici, on parle d’un design fonctionnel, centré sur l’utilisateur, et non subjectif. Il doit venir en aide au lecteur, le guider intuitivement, expliciter son fonctionnement.  À quoi bon construire un bâtiment à l’architecture sublime si on ne retrouve pas la porte d’entrée ? C’est pareil pour le graphisme.