Tangerine : ça change quoi, un film entièrement tourné à l’iPhone ?

Tangerine : ça change quoi, un film entièrement tourné à l’iPhone ?

photo de profil

Par Ariane Nicolas

Publié le

Sorti fin 2015, le film de Sean Baker a la particularité d'avoir été tourné entièrement avec un iPhone.

Prix du jury au festival de Deauville 2015, Tangerine raconte les déboires de deux prostituées transsexuelles à Los Angeles lors d’une folle journée de Réveillon de Noël. Avec l’aide de son amie Alexandra (Mya Taylor), Sin-Dee Rella (Kitana Kiki Rodriguez) part en chasse de la jeune femme avec qui son petit ami a couché quand elle était en prison. Rythme frénétique, dialogues qui fusent, personnages détonnants : Tangerine est un film remonté à bloc qui nous plonge dans un Los Angeles méconnu.

À voir aussi sur Konbini

Une des particularités de ce film indé, chaudement accueilli à Sundance, c’est d’avoir été tourné entièrement avec un iPhone 5s. Si d’autres films ont déjà été tournés avec des téléphones ou des mini-caméras, c’est la première fois que la caméra-iPhone est équipée d’un adaptateur anamorphique, qui permet de donner un rendu “scope” plus cinématographique.

Image réaliste, parfois saturée

Dès les premières secondes de Tangerine, passée la belle image d’intro (une table de café jaune griffée par les clients), on prend conscience du dispositif pas tout à fait banal. Les deux actrices, prises dans une conversation animée, sont filmées face à la fenêtre. La lumière pénètre largement au centre du cadre. Chose surprenante, le blanc est saturé, presque “cramé”, comme si Sean Baker voulait nous dire : voilà à quoi vous attendre.

De fait, les capteurs du smartphone ne permettent pas (encore) d’avoir un premier plan lumineux avec un arrière-plan lui-même baigné de lumière. Mais c’est à peu près la seule grosse singularité remarquée au cours du film, qui lui donne un côté Do It Yourself et réaliste assez sympa.

Pour le reste, les couleurs sont vives, le grain de l’image de qualité, les contrastes agréables, le plan stable quand il faut. Grâce à l’adaptateur, les lignes sont légèrement incurvées, ce qui permet de donner un plus bel effet de profondeur. Quant au son, comme Sean Baker l’explique à AlloCiné, il est impeccable, car capturé selon un procédé traditionnel :

“Mon ingénieur du son pouvait parfois mettre des micros sur tout le monde, ou utiliser une perche. Nous avions un équipement professionnel à ce niveau. Puis la synchronisation a été faite en post-production, donc nous avons enregistré le son de le même manière que, je ne sais pas, Spielberg le ferait [rires]. Il n’y avait pas de différence dans ce secteur”. 

Nouvelles libertés, nouvelles contraintes

Le choix de l’iPhone n’est justifié ni par un coup marketing, ni par une lubie artistique, mais par des contraintes budgétaires. Sean Baker avait du mal à trouver les financements pour monter son film. Après avoir vu une campagne KickStarter pour l’entreprise MoonDog Labs, qui produit les adaptateurs, il entre en contact avec la boîte, qui lui fournit trois prototypes. Les essais se révèlent concluants, le projet est finalisé et le tournage bouclé en 23 jours.

Kitana Kiki Rodriguez et Mya Taylor ont été castées dans un centre LGBT de Los Angeles. Sans expérience dans le monde du ciné, mais désireuses de jouer les actrices depuis longtemps, elles ont beaucoup improvisé lors du shooting. La liberté de mouvement de l’iPhone, objet plus discret qu’une grosse caméra numérique, participe de l’élan global du film. Sean Baker résume ainsi :

“Nous n’étions pas intimidés et nous avons pu capturer la vie de la rue sans avoir besoin de l’annoncer. C’est comme si nous tournions notre vidéo amateur”.

Cette nouveauté technologique s’accompagne quand même d’une contrainte technique avec laquelle bon nombre de réalisateurs refuseraient sans doute de composer : sur le plateau, l’écran de l’iPhone ne permet pas de voir la totalité de ce qui sera ensuite rendu à l’image. “On voit l’image telle qu’elle apparaîtra au cinéma seulement quand on rentre chez soi et qu’on dérushe”, explique Sean Baker dans cette vidéo.

Une contrainte de taille pour le cinéaste, mais qui passe inaperçue côté spectateur dans Tangerine, œuvre moins cadrée à la Ozu qu’à la façon d’un clip de rap. Au final, cet aspect “transgenre” dans la technique colle bien à l’esprit de Tangerine, à la fois documentaire et fiction, drame et comédie, fresque sociale et vaudeville.