Comment la sorcière a évolué au cinéma, entre fascination et répugnance

Comment la sorcière a évolué au cinéma, entre fascination et répugnance

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Par Lucille Bion

Publié le

Indépendante, monstrueuse, maléfique, fascinante : comment la sorcière s'est imposée dans le cinéma ? Explication en 5 points.

Lorsque l’on parle de sorcières, on convoque parfois l’image de la féministe persécutée, parfois celle d’une horrible créature maléfique. Figure complexe mais très présente dans notre culture, la sorcière a fait peau neuve en France avec l’aide de Mona Chollet, journaliste au Monde diplomatique, et son ouvrage Sorcières : La puissance invaincue des femmes (Éditions La Découverte) en 2019.

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Cette année, la documentariste Sophie Peyrard derrière Divas des 90s ou encore Pin-Up, la revanche d’un sex-symbol s’empare de ces personnages alternatifs et puissants par le prisme du cinéma dans son nouveau film Les Sorcières à Hollywood. Ce documentaire retrace l’évolution de ce symbole fascinant à travers différents films produits à Los Angeles, du siècle dernier à nos jours.

De la sorcière au chapeau pointu et au nez crochue à la séductrice irrésistible, cette magicienne déclinée sur le grand et le petit écran en a vu de toutes les couleurs au fil des années. Voici 5 sorcières iconiques pour comprendre comment la créature maléfique est devenue un modèle pour les femmes et les petites filles.

Les Sorcières à Hollywood - bande annonce from Wichita Films on Vimeo.

1. Blanche-Neige

Une pomme, un rire maléfique, et un miroir qui répond aux désirs : en 1937 naît la sorcière la plus populaire du cinéma avec la sortie de Blanche-Neige et les sept nains chez Walt Disney. Jusque-là, Hollywood représentait les sorcières comme des êtres diaboliques et sauvages, en se basant sur la littérature, les contes, la peinture ou même les récits bibliques, soit des représentations bien antérieures au cinéma.

Selon Sophie Peyrard, la sorcière de Blanche-Neige (appelée aussi “La Reine”), qui peut changer d’allure à sa guise, révolutionne l’image de ces personnages :

“Jusqu’à ce film, réalisé en 1937, l’iconographie liée à la sorcière la montre généralement comme une vieille femme hideuse, connaisseuse de potions, qui vît seule reculée dans les bois.

Avec la Méchante Reine, Disney garde cette image de la sorcière mais l’enrichit. La sorcière devient double. Elle peut aussi revêtir les traits d’une femme belle, mature, glaciale, en pleine possession de ses pouvoirs. Cela va radicalement changer l’image que le grand public va se faire des sorcières”.

La sorcière brouille ici les pistes en jouant sur les deux facettes de sa personnalité, sexualisée d’une part et repoussante de l’autre. Si la sorcière de Blanche-Neige est très solitaire, elle incarne la femme superficielle et vaniteuse par excellence, puisqu’elle ne supporte pas la fraîcheur juvénile de l’héroïne, et la voit moins comme une enfant sans défense qu’une ennemie trop belle à éliminer.

2. Le Magicien d’Oz

Deux ans plus tard, Hollywood compose avec le technicolor, un procédé capable de créer des couleurs naturelles. Grâce à cette technique révolutionnaire, Victor Fleming s’amuse à travers Le Magicien d’Oz à donner un nouveau look à la Sorcière de l’Est, qui entend récupérer les fameuses chaussures rouges de Dorothée. Outre sa longue robe noire et son chapeau pointu, elle se voit attribuer une peau verte qui deviendra l’archétype de l’effrayante sorcière de nos Halloween.

À ses côtés, dans le film, on trouve, pour la première fois au cinéma, une gentille sorcière : Glinda. Un passage joue même sur l’étonnement de Dorothée, et la prise de liberté des scénaristes qui s’amusent avec les codes culturels et sociaux. Le public peut ainsi commencer à se faire une toute autre idée des sorcières.

3. Carrie au bal du Diable

Après la Seconde Guerre Mondiale, la naissance des mouvements féministes, comme les militantes W.I.T.C.H. (Women’s International Terrorist Conspiracy from Hell), et surtout la fin du code Hays, la voie est libre pour les sorcières dans le cinéma d’horreur. Le cinéma s’introduit dans leur quotidien d’une manière presque voyeuriste. En 1976, Brian de Palma se laisse tenter avec Carrie au bal du Diable.

Film d’horreur culte, le cinéaste dépeint à son tour un portrait intéressant de l’adolescence, comme le précise Sophie Peyrard : 

Carrie au Bal du Diable est un exemple parfait du sous-genre qu’est la sorcière adolescente. Comme le montre la première scène iconique, les pouvoirs magiques de la jeune femme se manifestent dès qu’elle a ses premières règles.

Et comme souvent chez les ‘teen witches’, elle finit par semer le chaos autour d’elle. On a là une métaphore évidente de la puberté, de la sexualité féminine qui se réveille, et de la peur de la sexualité adolescente dans nos sociétés, notamment celle des jeunes femmes”.

Si Carrie est la plus célèbre des sorcières adolescentes, elle interroge davantage le corps féminin, en ébullition, et prouve que depuis la nuit des temps, la sorcière est souvent perçue comme un monstre sanguinaire et dépravé. Une autre lecture présente l’héroïne comme une femme en âge de procréer, soit “le tour de magie le plus fort que le corps humain puisse réaliser”, ajoute la critique de cinéma Peg Aloi.

4. Les sorcières d’Eastwitch

Dans les années 1980, les sorcières ont droit à leur propre blockbuster avec Les Sorcières d’Eastwitch (réalisé par George Miller) dans lequel Michelle Pfeiffer, Susan Sarandon, Cher et Jack Nicholson se donnent la réplique. Au départ, les héroïnes sont dépourvues de pouvoir magiques.

D’un point de vue strictement scénaristique, ce sont des femmes, elles ont 30 ans, s’emmerdent royalement et fantasment sur des hommes imaginaires. Les pleins pouvoirs ne leur sont donnés que lorsqu’elles couchent avec le Diable, comme l’explique Sophie Peyrard :

“Elles ne deviennent sorcières qu’une fois qu’elles ont couché avec le Diable, et c’est cette relation qui leur confère des pouvoirs magiques. Ceci est un élément très classique de la narration liée aux sorcières.

Là où le film innove en revanche c’est dans sa position radicale contre les mœurs sexuelles puritaines de l’époque aux États-Unis. On nous présente une sorte de quatuor polyamoureux où les femmes ne se battent pas entre elles pour garder un partenaire”.

Grâce à la représentation donnée par George Miller, les sorcières deviennent à nouveau fréquentables. Pour l’époque, le film apporte également une vision plutôt progressiste en célébrant la solidarité féminine.

5. Hermione Granger dans la saga Harry Potter

Après la série révolutionnaire Buffy contre les vampires, qui fait apparaître la première sorcière queer à l’écran, les années 2000 vont faire de la sorcellerie un phénomène mondial avec la saga Harry Potter. Avec Hermione Granger, la sorcière devient intelligente et fait de la sorcellerie un art, à manier avec beaucoup de précaution.

Comme le souligne la cinéaste Sophie Peyrard, J.K. Rowling a donné naissance à une toute nouvelle figure de la sorcière :

“L’autoproclamée féministe J.K. Rowling a créé la sorcière « intello ». Étudiante zélée, Hermione suit avec succès, son apprentissage des sorts et de la magie. Elle nous montre que même si elle n’est pas née d’une famille moldue (ses parents n’ayant pas de pouvoirs magiques), son intelligence, son travail et sa compassion lui permettent de se hisser au même niveau que les autres et même de les surpasser”.

Outre le fait qu’elle soit une étudiante soigneuse et acharnée, la jeune Hermione trouve aussi sa singularité dans le fait qu’elle n’est jamais sexualisée ou objectivée, précise Sophie Peyrard :

“Elle s’intéresse à l’amour et elle des béguins ici et là, mais ce n’est pas son principal intérêt contrairement à beaucoup de films mettant en scène des teen witches. Hermione n’utilise jamais ses pouvoirs pour assouvir ses désirs ou sa sexualité, elle a de plus grandes ambitions comme aider les autres et combattre le mal. C’est un personnage fantastique et jusque-là inédit”.

Si Hermione Granger est célébrée dans la fiction par ses professeurs, elle est, dans la réalité, devenue une icône pour toute une génération.

Un film de Sophie Peyrard, produit par Wichita Films, disponible le 12 avril sur OCS – 54 minutes