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Sofia Kappel, future grande actrice, et véritable rescapée

Sofia Kappel, future grande actrice, et véritable rescapée

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Par Arthur Cios

Publié le

Elle est à l’affiche de Pleasure, un film choc sur le monde du porno.

Si l’on vous demande de nous citer une actrice suédoise, les plus cinéphiles d’entre vous parleront de la grande Ingrid Bergman. Certains, aimant plus les blockbusters hollywoodiens, parleront peut-être d’Alicia Vikander ou de Noomi Rapace – voire, pour les plus malins, de Rebecca Ferguson. Sans doute, dans les années à venir, que le nom de Sofia Kappel sera lui aussi reconnu.

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On sait qu’on peut très (trop ?) facilement s’emporter face à une prestation marquante, surtout de la part d’un·e inconnu·e au bataillon qui frappe fort dès son tout premier rôle au cinéma. Mais l’on met au défi quiconque de nous dire honnêtement que l’on peut facilement deviner que Kappel, star du grand Pleasure, est une débutante.

On vous a déjà clamé notre amour pour ce film, que ce soit à travers une critique lors de sa présentation à Deauville, ou dans une interview de sa réalisatrice, Ninja Thyberg. On est impressionnés par le propos et la mise en scène de ce script bien ficelé sur cette jeune actrice porno qui déménage à Los Angeles pour devenir une grande, mais force est de reconnaître que toute l’entreprise repose sur les épaules de cette dernière.

Si son histoire vaut le coup d’être racontée, c’est que nous aurions pu ne jamais connaître cette jeune Suédoise de 23 ans, qui parle avec beaucoup d’aisance de son passé. Mais c’est aussi parce que ce film lui a, littéralement, sauvé la vie. Une histoire qui mêle un papa prêtre, un trouble psychologique guéri par le cinéma et du porno – beaucoup de porno.

“Une question de vie ou de mort”

De son propre verbe, Sofia Kappel a une enfance somme toute assez banale. En dehors d’une séparation de ses parents à six mois, rien à signaler. Trois grands frères, une sœur qui débarquera dans sa vie alors qu’elle a 9 ans. La banlieue tranquille de Stockholm, en somme. Bon, et un papa devenu prêtre – “c’est vrai que c’est un peu la seule partie étrange de ma jeunesse”, reconnaît-elle, avant de préciser qu’il a beaucoup aimé Pleasure et qu’il est son plus grand fan, “même s’il dit avoir beaucoup fermé les yeux”.

Le tableau n’est néanmoins jamais tout blanc ou tout noir. Et dans cette présentation, un élément vient perturber la douce vie de la jeune Sofia : la dépression qui l’a touchée, et avec laquelle elle a dû vivre à partir de 8 ans. Plus tard, elle témoigne être atteinte d’un mal qu’elle présentera comme une dysmorphophobie, qui apparaîtra autour de ses 14 ans.

(© Louis Lepron)

Elle décrit cette maladie ainsi :

“C’est un peu pareil que l’anorexie dans le sens que ce que je vois dans le miroir n’est pas la même chose que ce que les autres voient. Et mon vrai problème a toujours été mon visage.”

Un trouble psychique qui a hanté son quotidien pendant toute son adolescence, et plus tard encore. Après des années de lutte, elle décide de commencer une nouvelle thérapie qui, selon ses propres mots, est alors une “question de vie ou de mort”. Une tentative d’aller mieux, qui l’amènera droit devant la caméra de Ninja Thyberg.

“Au cours de cette thérapie, tu faisais une liste de situations où tu te sentais en danger ou vulnérable. Ensuite, tu devais les classer par niveau de difficulté. En haut, j’avais par exemple ‘aller au travail sans maquillage’. J’avais mis, niveau difficulté, 200 %. Je préférais mourir plutôt que de faire ça. Et le but de la thérapie était de se forcer à le faire justement, pour te prouver que tu n’allais pas en mourir.

Un jour, je raconte ça à un ami qu’on a en commun avec Ninja, et il me dit qu’il a une amie qui a pour projet de réaliser un film. Elle cherchait quelqu’un qui me correspondait. Il m’a demandé si je voulais auditionner, et ma première pensée a été ‘absolument pas, je ne vois rien de plus difficile pour moi que de passer une audition’. C’est pour ça que je l’ai fait. Je ne voulais pas connaître l’ampleur du film, je pensais que ce serait pour un court-métrage indé que personne ne verrait pour lequel je n’aurais pas le rôle. C’était juste pour la thérapie, pour me sentir mieux.”

Autant dire que la surprise a été importante quand elle s’est rendu compte que les auditions étaient énormes : Ninja Thyberg explique avoir passé un an et demi à rencontrer plus de 600 jeunes femmes, et avoir été en contact avec 2 000 personnes au total pour trouver la perle. Elle commence à flipper devant la file d’actrices et une directrice de casting qui passe son temps à donner des coups de fil pour rameuter encore plus de monde. Elle flippe, donc.

C’est Ninja, la voyant trembler comme une feuille, qui va la rassurer comme elle peut. En lui demandant de choisir une scène dans laquelle elle se reconnaît le plus. Autant dire que la jeune Sofia, encore souffrante, ne va pas piocher dans les scènes les plus dures ou violentes, mais une plus accessible. La magie opère alors :

“J’ai pris un bout dans une scène qui n’est pas au montage mais c’était une scène où Bella [le nom du personnage qu’elle incarne dans le film, ndlr], retrouvait son frère en Suède, alors j’ai pensé à mon propre frère et j’ai vécu une expérience hors du corps. Je n’étais plus moi, j’étais Bella, ce qui était très agréable, parce que je souffrais tellement avec ma santé mentale que ça faisait du bien de ne plus avoir mes problèmes.

Dès que je suis devenu Bella, tout a disparu. Je ne pensais plus du tout à moi de la même manière que dans la vie de tous les jours. Ça m’a fait beaucoup de bien, j’étais très excitée à l’idée de pouvoir revivre ça, et Ninja m’a dit qu’elle voudrait que j’en fasse une deuxième.”

La machine est lancée, et l’espoir nourri par la possibilité de guérir par le jeu lui fait un bien fou. “J’étais malade depuis vraiment longtemps, […] je n’aurais pas pu survivre très longtemps comme ça”, raconte-t-elle, fière d’elle. Car elle le dit : ce rôle l’a guérie, entièrement.

Le jeu comme remède

Il faut dire que Pleasure est centré sur sa personne. Sofia est omniprésente tout au long du film, filmée de très près. Souvent sans maquillage d’ailleurs, ce qui n’a pas été sans douleur pour l’intéressée. Mais justement. C’est sans doute l’intensité du rôle et de la proposition qui ont forcé l’actrice à se faire violence, et qui l’ont aidée à reprendre confiance en elle.

Ninja a fait en sorte que tout se passe de la meilleure des manières. Outre les six mois passés à Los Angeles pour rencontrer des acteurs de l’industrie du porno, Sofia a pu apprendre énormément de choses sur ce secteur, et mieux savoir où placer ses limites. Dès le début, il a été par exemple décidé que toutes les scènes seraient simulées :

“La plus grande priorité de Ninja a toujours été moi et si j’étais bien. Dès que quelque chose n’allait pas, on trouvait un autre moyen, une solution.”

(© Louis Lepron)

Cela passe par beaucoup de discussions, beaucoup de préparation, beaucoup de répétitions. Mais surtout du dialogue sur les limites de ce que chacun veut ou peut faire. Un environnement sain, contrairement à celui dépeint dans le film, qui lui a permis de dépasser sa maladie, et de trouver une vocation :

“Je n’ai pas juste trouvé quelque chose que j’aimais faire, ni pour laquelle j’étais assez douée, mais aussi quelque chose qui me faisait énormément de bien. Et m’a aidée plus que tout le reste.”

Reste que la fin du film a été douloureuse pour cette dernière. L’expérience a duré près de deux ans, et à la sortie, la confiance a fait son retour, lui permettant de dépasser les troubles vécus jusque-là. Mais alors se pose la question : que garde-t-on d’un rôle ? Pendant de nombreux mois, Sofia Kappel a “donné” son apparence et son corps au personnage. “Sofia n’existait plus”, lui permettant de ne plus penser à tout ce qui la hantait quotidiennement. Mais qu’en est-il quand tout se termine ?

“Qu’est-ce qui était Bella et qu’est-ce qui était Sofia ? Parce qu’elles ont été mélangées pendant plus de deux ans, c’était dur de couper. Surtout que c’était mon premier film. Après, je suis un peu contente que ça ait été dur mine de rien, parce que ça m’a permis d’avoir un peu d’espace pour garder un peu de Bella avec moi. Sa confiance, surtout.

Je n’avais jamais joué, donc c’était dur, mais je ne suis vraiment pas traumatisée par ce tournage, c’est plutôt l’inverse : je suis bien plus forte et confiante, et j’ai trouvé quelque chose que je veux faire jusqu’à la fin de ma vie. Donc je suis heureuse. Il m’a sauvé la vie.”

Une fois la séparation bien établie, reste une dernière étape : la sortie du film. Et là aussi, la crainte était élevée. Les critiques sont unanimes concernant la qualité du long-métrage. La preuve, s’il en faut, son Prix du jury au Festival du cinéma américain de Deauville. “Deauville aura toujours une place particulière dans mon cœur”, explique d’ailleurs l’actrice.

Elle raconte, tout émue, l’avant-première suédoise, où pendant la standing ovation d’une foule de 700 personnes, elle a cru qu’elle allait vomir sur les pieds de son producteur, avant de pleurer et de faire un black-out. Comme si elle refusait de voir le succès en face. Elle avait beau scruter de très près le nombre d’entrées des salles chez elle, ce déni reste une protection comme une autre.

“Pour te protéger, tu t’imagines le pire en te disant que c’est ce qui va arriver. Donc je me disais que j’allais être nulle, que les gens allaient détester le film et que, pire scénario possible, j’allais juste me retrouver nue sur Internet jusqu’à la fin de ma vie. Et quand j’ai vu le film, j’étais rassurée par le fait que je n’étais pas si nue, que la concentration n’était pas sur mon corps et que mon jeu n’est pas si mal [rires].”

Au point de se dire qu’elle a bel et bien trouvé sa vocation. Elle qui a fait des études d’économie de droit, qui a bossé chez Zara, et qui continue, quand elle ne fait pas des tapis rouges, à travailler dans une entreprise de vente et à passer ses journées devant des tableaux Excel (“ouais, j’aime les chiffres [rires]”), compte bien tout lâcher pour le jeu.

D’ailleurs, elle a déjà joué dans deux autres projets. Des projets bien différents, car ils contiennent des dialogues très écrits, là où Pleasure n’était qu’à 90 % que de l’improvisation. Mais elle est sereine :

“Au moins, grâce à ‘Pleasure’, j’ai fait le plus dur : j’ai déjà fait mes premières scènes d’émotions très dures, de l’impro, un projet très long et mes premières scènes de sexe. Le reste sera forcément bien plus simple en comparaison.”

Avec son agent américain sur le qui-vive et son agent suédois qui reçoit de nombreuses propositions, une chose est sûre : Sofia Kappel va se faire un nom. Et elle le mérite énormément.