Shaïn Boumédine, la fracassante révélation de Mektoub, my love

Shaïn Boumédine, la fracassante révélation de Mektoub, my love

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Par Mehdi Omaïs

Publié le

Il incarne Amin, le héros matriciel de Mektoub, my love: canto uno (qui sort ce 21 mars), premier volet du diptyque d’Abdellatif Kechiche, librement adapté du livre de François Bégaudeau, La Blessure, la vraie. Arrivé au cinéma par accident, Shaïn Boumédine ne compte pas interrompre cette enthousiasmante sortie de piste. Portrait.

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D’ordinaire, quand il va en soirée, c’est lui qui entame la discussion, qui se dirige vers les autres, les sonde, les interroge pour mieux les connaître et, peut-être, les dompter. C’est son dada. Avec son sourire solaire et son aura baignée de grâce, Shaïn Boumédine est de ceux à qui l’on donnerait le bon Dieu sans confession. Rien d’étonnant, si l’on en juge par sa capacité d’écoute et d’adaptation, à ce qu’il puisse tirer les vers du nez à ses multiples interlocuteurs.

Quand il est question de se livrer, le jeune comédien semble en revanche plus vulnérable, plus pudique. Une retenue qu’il dissimule en souriant, tout en sirotant son jus d’orange, avant de retracer pour nous la trajectoire inattendue qui l’a mené, il y a deux ans, dans les bras du cinéaste Abdellatif Kechiche, Palme d’or en 2013 pour son chef-d’œuvre, La Vie d’Adèle. “Vas-y, je suis prêt !”, lance-t-il, un peu joueur, avec son accent du Midi.

Son premier cri, Shaïn Boumédine le pousse à Montpellier le 25 mars 1996. À l’époque, ses parents et son grand frère vivent dans la commune voisine de Fabrègues (environ 6 700 habitants recensés en 2015). Quatre ans après sa naissance, un troisième garçon vient agrandir la famille. Leur mère, d’origine marocaine, s’occupe de la maisonnée et des enfants. Elle deviendra un peu plus tard directrice adjointe d’un centre aéré.

Son père, aux racines algériennes, est régulateur transport à la TaM (Transports de l’agglomération de Montpellier). “On n’était pas vraiment cinéma chez nous. Mon papa m’a en revanche refilé son amour du football. Et ma mère, tout le reste, sûrement.” Shaïn va au lycée à Montpellier et se coltine deux heures de trajet par jour, entre le bus, le tramway et la marche. “J’en profitais pour me reposer, j’écoutais de la musique. En fait, je suis un grand dormeur [rires].”

Dissipé mais concentré

De temps à autre, il arrive en retard et se fait recaler par ses professeurs. Direction la permanence. “Pour cinq malheureuses minutes, tu te rends compte ?” Shaïn rejette cette rigidité : “Je détestais l’injustice et le fait qu’on nous prenne pour des gosses. Rien que des copies mal corrigées, même pour d’autres, ça me mettait dans des états de folie.” En classe, il squatte le dernier rang, écoute les cours distraitement mais assure que ses “notes passent”, sans savoir par quel miracle.

Il aime mettre son grain de sel partout, évitant toutefois de se mouiller totalement, ce qui lui vaut d’être régulièrement choisi comme délégué de classe suppléant. S’il s’épanouit dans les matières scientifiques, c’est bel et bien le sport qui régit son quotidien scolaire et extrascolaire, et qui agit comme un baume − au même titre que sa fidèle bande de potes −, quand survient, alors qu’il n’a que 11 ans, le divorce de ses parents : “Ça m’a fait mûrir, je me suis beaucoup occupé de mon petit frère et j’ai continué à pratiquer des activités physiques.”

Shaïn grandit, fait de l’athlétisme, multiplie les dribbles et arpente, en bon spectateur du Montpellier Hérault Sport Club, le fameux stade de la Mosson. Certains professionnels le repèrent, mais la possibilité d’une carrière footballistique s’éloigne finalement, brisant ses espoirs : “Je me suis blessé… Une fissure du ménisque, très exactement, qui est allée de mal en pis. Mon père préférait de toutes les façons que je me concentre sur mes études.”

À la maison, il regarde des films. De son enfance, il garde surtout un souvenir vivace et émerveillé d’Azur et Asmar, le film d’animation de Michel Ocelot sorti en 2006. Il se rappelle également de Toy Story, du Roi Lion, du Livre de la jungle et de l’humour d’Alain Chabat, dans lequel il se retrouve… mais aussi de sa lecture enthousiasmante de la série de romans Cherub, signée Robert Muchamore. Avec le temps, ses goûts changent. L’animation laisse place aux films de Martin Scorsese (Les Affranchis, Raging Bull…).

Musicalement, il alterne entre les chansons de Jacques Brel et Georges Brassens (“Lui, je l’adore, écris-le, s’il te plaît”) et les beats d’Eminem et Lil Wayne. “Il faut aussi que t’écoutes Demi Portion, un rappeur de Sète qui sera à l’Olympia le 19 mai prochain !”

Il est la l'album du fréro @demiportionofficiel ! Go go go c'est une tuerie

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Après sa seconde générale, Shaïn Boumédine enchaîne sa première et sa terminale, en série STI2D, spécialité Architecture et construction :

“Je voulais être architecte. De manière générale, j’ai toujours trouvé l’action de construire hyperfascinante. Ériger un bâtiment comme on dessine un T-shirt. J’aurais rêvé d’élaborer ces habitations sous forme de kit à monter, un peu comme le ‘Ikea de la maison’. Je guette les détails, partout, toujours, comme cette salle de bains d’hôtel au Maroc que j’aimerais trop faire chez moi.

Quand je suis à Paris, je garde la tête en l’air tout le temps. C’est trop beau. J’aime les églises, les monastères, les cathédrales, les mosquées… L’inspiration orientale à Séville, qui nous fait nous sentir entre Marrakech et l’Europe, me plaît beaucoup également.”

Le baccalauréat en poche, il rate hélas son inscription à un BTS en alternance, n’ayant pas réussi à trouver une entreprise pour l’accueillir. S’ensuit une année blanche, celle de la bascule, celle de tous les possibles. Il en profite pour occuper un poste de plagiste et serveur au Carré Mer, un restaurant situé sur la plage de Villeneuve-lès-Maguelone.

À cette période, il traîne beaucoup à Montpellier, sa ville de cœur :

“J’en suis absolument fan et j’en connais les moindres recoins. Il s’y passe toujours un truc ; j’aime chiller dans ses rues avec tous mes amis. C’est idéal d’y vivre, d’y faire ses études… Et la mer n’est pas loin !”

Un après-midi, il accompagne un de ses copains à un casting pour un rôle de figuration à la télévision, “une série obscure”, se souvient-il. “La femme m’a tendu une feuille et, j’ignore pourquoi, je l’ai remplie alors que je n’en avais pas spécialement l’envie.”

Naïf, Shaïn ne sait pas encore qu’il vient d’enclencher un hallucinant alignement des planètes. Il poursuit tranquillement son bonhomme de chemin, s’installant à Nîmes à la rentrée suivante pour un BTS dans les travaux publics, en vue d’intégrer une école d’ingénieur. Il trouve un appartement, vit seul, apprécie d’être enfin débarrassé du carcan scolaire et d’être pris pour un adulte. Il devient même l’exemple de la classe.

Mais à l’instar de ses ambitions sportives déchues, ses projets d’architecture vont à leur tour s’effondrer, façon château de cartes, quand il reçoit le coup de fil fatidique.

À la rencontre de Kechiche

En effet, deux ans après qu’il a déposé, sans conviction, sa fiche pour une figuration, Stéphanie Ladet, la directrice de casting du nouveau Kechiche, le contacte. Elle aimerait lui faire passer un essai, pour un rôle quasi figuratif. Aujourd’hui encore, Shaïn Boumédine ignore comment son profil, d’abord destiné à un projet télévisé anonyme, est arrivé jusqu’à cette professionnelle aguerrie.

“J’y suis allé. C’était à Sète. Je devais dragouiller une fille sur la plage, et je me suis trouvé nul à chier.” On le rappelle pourtant pour un autre essai. Il y va “la tête dans le cul”, au lendemain d’une nuit agitée passée avec des amis.

On lui demande justement de jouer une séquence où il débriefe sa soirée. “J’ai mélangé le vrai et le faux.” Son naturel se révèle payant, les tests se poursuivent, et on finit par lui annoncer qu’il aura un petit rôle dans le film. Par conséquent, il doit prendre une décision lourde : arrêter tout pour être davantage disponible. Sans réelle garantie. C’est ce qu’il fait.

Shaïn met alors sa vie d’étudiant entre d’énormes parenthèses, pour accueillir ce projet tombé du ciel. Et comme la dernière pièce d’un implacable rouage, Abdellatif Kechiche est rentré dans la danse.

“Je l’ai rencontré dans un pub de Sète. Il y avait des voitures de flics, avec des sirènes hurlantes, autour de nous. Tout ça m’a perturbé. Il m’a posé des questions sur moi, sur ma vie, comme une interview, comme ce que tu fais là avec moi [sourire].

Shaïn se prête au jeu sans pression, sans se laisser dévorer par ce grand cinéaste qui lui fait face et dont il aime le travail. “J’ai stressé pendant trois heures à cause d’un couscous”, lâche-t-il en évoquant le souvenir du film La Graine et le Mulet. “J’adore le jeu de Sara Forestier et d’Osman Elkharraz dans L’Esquive.”

Le flegme du jeune homme, mâtiné de candeur et de je-m’en-foutisme, plaît au maestro. “Je crois que ça n’aurait pas marché autrement.” Immanquablement, Kechiche finit par le convier à un dîner, aux côtés de la comédienne Hafsia Herzi − qu’il qualifie aujourd’hui de “grande sœur” −, et lui annonce qu’il lui confie le rôle principal de sa nouvelle réalisation : le diptyque Mektoub, my love, librement inspiré de La Blessure, la vraie, de François Bégaudeau. “Je me souviens avoir dit simplement : ‘Ok, qu’est-ce qu’il faut faire ?'”

Le tournage commence en septembre 2016, à Sète, où Shaïn vivra pendant sept mois avec la comédienne qui incarne sa mère à l’écran. Là encore, le plateau ressemble à un centre d’expérimentation, un work in progress. La méthode Kechiche se met en place. Les discussions fusent autour de la teneur du rôle du personnage central, Amin, un Parisien d’adoption qui retourne en 1994 dans le Midi, où résident sa famille et ses amis :

“Il y a un peu de Kechiche chez Amin, dans le sens où ça peut être une représentation de ce qu’il aurait aimé être ou faire. Mais il y a de moi aussi, de Bégaudeau… Ce personnage a muté constamment. On s’est tout dit sur lui, on a construit sa date de naissance, ses souvenirs, ses goûts, sa façon de se mouvoir…

Abdellatif voulait qu’il plaise à tout le monde, aux garçons, aux filles, aux adultes, aux adolescents, qu’on ait envie d’être avec lui, de le rencontrer, d’être séduits par sa bienveillance, par son amour de la vie…”

C’est un fait : Abdellatif Kechiche accorde très peu d’interviews, surtout après les polémiques qui ont accompagné la sortie de La Vie d’Adèle. Il s’exprime pourtant dans le dossier de presse de Mektoub, my love: canto uno, ne tarissant pas d’éloges sur sa révélation masculine, lui qui, jusque-là, avait surtout mis en orbite des actrices (Hafsia Herzi, Sara Forestier, Adèle Exarchopoulos…) :

“Shaïn Boumédine a une telle présence, il met une telle intensité dans chaque geste, dans chaque regard… Il possède en lui quelque chose de profondément romantique. J’ai pensé au Frédéric Moreau de L’Éducation sentimentale, au Lucien des Illusions perdues.”

Pour l’aider à mieux incarner Amin, un jeune homme qui lutte contre ses désirs et qui s’épanouit dans le cinéma – il a écrit un scénario de science-fiction – et la photographie, il conseille à son poulain un paquet d’œuvres : Les Mains sales de Jean-Paul Sartre, Le Cycle des robots d’Isaac Asimov, Siddhartha d’Hermann Hesse, Les Valseuses de Bertrand Blier, Arsenal d’Alexandre Dovjenko, Le Voyage dans la Lune de Georges Méliès, ou encore 2001, l’Odyssée de l’espace de Stanley Kubrick.

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À l’écran, Shaïn impressionne par sa luminosité, par la façon aussi dont Kechiche parvient à le rendre attachant. Amin fascine et touche. Son insaisissabilité est comme un miroir tendu à la jeunesse, sur lequel elle peut facilement entrevoir une part d’elle-même :

“Abdellatif recherche le naturel par tous les moyens possibles, par la force de sa patience, de sa persévérance… Ces deux derniers mots résument à eux seuls son cinéma.”

Mais alors, pas trop difficile de tourner sous la houlette d’un homme dont la réputation veut qu’il soit exigeant envers ses acteurs et très dur vis-à-vis de ses techniciens ?

“Rien ne m’a choqué sur le tournage. Je me fais mon propre avis sur les gens. Si des choses ne m’avaient pas plu, je l’aurais dit directement. Je n’ai aucun filtre avec qui que ce soit et je n’avais pas peur de perdre ma place. Je ne me suis pas laissé dévorer par les enjeux.”

Shaïn trône ainsi, en prince, au cœur de cette production qui célèbre la vie, la fougue des jeunes gens, et dépeint leurs éclats comme leurs estafilades : “Le film dit qu’il faut être libre, penser par soi-même, profiter du moment présent, ne jamais s’arrêter sur les critiques et les commérages… Juste laisser couler !”

Alors que le sublime premier opus de Mektoub, my love sort donc ce 21 mars, il gravite au-dessus du second volet un océan de secrets. “J’ai hâte que tu voies la suite”, lance le jeune acteur. C’est à peu près tout ce qu’il semble en droit de dire, tenu à la confidentialité afin de ne rien dévoiler quant à l’avenir de son personnage.

Il se murmurerait en tout cas que quelques plans restent à tourner et que l’essentiel des rushs soit déjà en salle de montage. Pour une potentielle sélection à Cannes en mai prochain ? Allez savoir !

D’ici là, Shaïn savoure ses allers et retours entre Montpellier et Paris, plus que jamais décidé à s’installer dans la Ville Lumière pour voir les Neymar et autres Cavani jouer au Parc des Princes, mais surtout pour commencer une longue carrière. L’un des agents les plus en vue de la place l’aurait d’ailleurs déjà pris sous son aile.

“Je veux me cultiver, voir des films. Ce sont mes priorités !” Son avenir idéal ? “Rencontrer un max de gens, travailler dans un max de pays, parler un max de langues. Je ne vais pas citer de cinéastes avec qui j’ai envie de tourner car tout le monde peut potentiellement m’intéresser.” À bon entendeur, salut !