Sarah Gavron nous donne la recette de Rocks, un film collectif et instinctif

Sarah Gavron nous donne la recette de Rocks, un film collectif et instinctif

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(© Haut et Court)

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Par Manon Marcillat

Publié le

Sororité et cinéma français font partie de la liste des ingrédients.

Nous connaissions la réalisatrice britannique Sarah Gavron pour Les Suffragettes, un drame historique qui mettait en lumière le combat des femmes pour le droit de vote en Angleterre, porté par un casting cinq étoiles, de Carey Mulligan à Meryl Streep en passant par Helena Bonham Carter.

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Cinq ans plus tard, la mue est radicale : Sarah Gavron revient à l’écran avec Rocks, entourée d’une bande d’adolescentes survoltées et sillonne avec elles les rues du quartier multiculturel d’Hackney dans un Londres actuel.

De l’Angleterre du XXe siècle au Londres du XXIe siècle, d’actrices multi-récompensées à des adolescentes inexpérimentées, nous nous sommes entretenues avec Sarah Gavron pour comprendre son cheminement.

“Quand j’ai réalisé ‘Les Suffragettes’, j’en ai fait la promotion dans de nombreux cinémas du pays et j’ai eu de nombreuses conversations avec des jeunes femmes sur leur relation avec le film et plus largement, sur ce que signifie grandir en tant que femmes dans le monde actuel. C’est comme ça que j’ai eu envie de raconter une histoire contemporaine sur le sujet, sur les dilemmes et les challenges que rencontrent les jeunes femmes d’aujourd’hui.”

Un projet collectif

Sarah Gavron insiste pour répondre à nos questions avec Anu Henriques, sa coréalisatrice. Dès lors, on comprend que Rocks est un projet fondamentalement collectif, ce qu’elle nous répétera à plusieurs reprises au cours de l’interview. “Le film a été réalisé par Anu Henriques et moi-même, mais il a été écrit par Theresa Ikoko et Claire Wilson”, soulignera la réalisatrice.

Collectif surtout, car il a été pensé en étroite collaboration avec une trentaine de collégiennes d’une école pour filles du centre de Londres qui, ensemble, ont travaillé l’univers, le script et les personnages de Rocks.

Ce sont celles qui s’intéressaient le plus au jeu et qui semblaient à l’aise avec le travail d’improvisation qui sont restées pour passer devant la caméra. “Nous savions que pour faire ce film, nous devions collaborer avec des adolescentes, car notre adolescence est loin derrière nous.”

“Dans la fiction, on peut davantage dire la vérité”

La recette Gavron semble efficace, car si Rocks est un beau film sur le lien entre un frère et une sœur qui tentent d’échapper ensemble aux services sociaux suite à la disparition de leur mère célibataire à la santé mentale instable, le plus beau, selon nous, demeure la sororité qui unit Bukki Bakrai, alias Rocks, à sa bande de copines.

Sincères, énergiques, justes et spontanées, elles brillent devant la caméra de Sarah Gavron et sont définitivement l’atout principal du film.

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Mais comment, après avoir filmé un monument du 7e art comme Meryl Streep, parvient-on à diriger si justement de jeunes actrices débutantes qui, pour la plupart, n’étaient pas spectatrices de cinéma avant cette première expérience ?

“J’adore travailler avec des acteurs et actrices expérimenté·e·s et j’espère continuer à le faire, mais ce film était un film sur la jeunesse. Et c’est très rare de trouver des acteur·rice·s à la fois adolescent·e·s et expérimenté·e·s. Je savais que j’allais devoir travailler avec des débutant·e·s. C’était même le concept du film”, nous répond Gavron.

Au-delà de l’implication des actrices dans la fabrication du film, la clé de leur justesse et de leur spontanéité à l’écran est sans doute la suivante : toutes se retrouvent dans leur personnage et dans sa trajectoire. Leur origine et leur personnalité sont similaires à celles de leur personnage et les amitiés qui se sont liées pendant la phase d’écriture sont celles qui ont été transposées à l’écran.

“Au cours des ateliers, nous étions attentives aux échanges qui émergeaient naturellement entre elles. L’amitié de Bukky (Rocks) et Kosar (Sumaya) dans la vie est devenue centrale dans le film. Kosar est d’origine somalienne, Bukky d’origine nigériane. Elles ont noué un lien très fort. Kosar est instinctive, drôle, avec une grande intelligence de l’improvisation, elle était parfois difficile à suivre, mais c’était l’objectif : créer des accidents.”

Dès lors, pourquoi avoir préféré la fiction à la forme documentaire pour raconter ces enfances délaissées ? “Dans la fiction, ironiquement, on peut davantage dire la vérité”, analyse très justement la réalisatrice. “Et c’était aussi un moyen de protéger ces jeunes filles. Elles jouent des personnages proches d’elles, mais elles ne jouent pas leur propre vie, ce qui aurait été très difficile émotionnellement.”

Sororité devant et derrière la caméra

Pour offrir aux jeunes actrices un espace de liberté et de confiance, Sarah Gavron s’est entourée d’une équipe presque entièrement féminine, de la coréalisatrice, aux scénaristes, en passant par la directrice de casting, la productrice, la cheffe opératrice ou la compositrice de la bande originale.

“Ça m’a semblé naturel de ne travailler qu’avec des femmes pour ce film […]. Souvent, sur les plateaux, il y a des femmes devant la caméra et uniquement des hommes derrière. Nous voulions que l’équipe soit au plus près de la vie des filles que nous filmions, donc jeune, féminine et d’origines plurielles.”

Un moyen supplémentaire de donner envie à cette joyeuse bande, très éloignée du petit milieu du cinéma, de poursuivre dans cette voie. “Nous voulions qu’elles voient au-delà et qu’elles puissent se dire qu’un jour, elles pourront être scénaristes, productrices ou cheffe opératrices.”

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Hasard du calendrier : quelques semaines auparavant, était sorti en France Mignonnes, de Maïmouna Doucouré, qui présente de nombreuses similitudes avec Rocks : une adolescence défavorisée, une histoire familiale pesante et l’émancipation par le pouvoir du groupe et de la sororité, loin de tout misérabilisme.

Sarah Gavron n’a pas vu le film, mais nous promet d’y jeter un œil. L’occasion pour nous de l’interroger sur ses influences pour son dernier film car si Le Guardian compare Rocks à “un Ken Loach au féminin”, pour nous, ses influences sont ailleurs. “Le cinéma britannique a effectivement une tradition de réalisme social. Nous avons Ken Loach, Andrea Arnold ou encore Shane Meadows.”

En termes de destins féminins, Sarah Gavron nous confie avoir été davantage influencée par Mustang, de Deniz Gamze Ergüven, Divines, de Houda Benyamina ou encore Bande de filles, de Céline Sciamma.

“Quand j’étais adolescente, il n’existait pas de films de ce genre, mais ces dernières années, de nombreux films merveilleux sur des femmes par des femmes ont été réalisés. Lorsqu’on a réfléchi au genre de film que l’on voulait faire avec ‘Rocks’, mon équipe et moi avions le regard résolument tourné vers le cinéma français.”

Cocorico !