Rencontre avec les créateurs du film Pride, la Queer Palm de Cannes

Rencontre avec les créateurs du film Pride, la Queer Palm de Cannes

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Par Constance Bloch

Publié le

Fictionnaliser une histoire vraie

K | Quand avez-vous découvert l’histoire que raconte Pride ?
S. B. | On m’a raconté l’histoire il y a environ vingt ans. À l’époque, j’avais 21 ans et avec mon petit ami, on se disputait au sujet de l’engagement politique des gays. À ce moment-là il y avait de nouveau une grève des mineurs en Angleterre, mais beaucoup plus petite que celle décrite dans le film… De mon côté je me disais : “Pourquoi je soutiendrais les mineurs, alors qu’eux ne me soutiennent pas ?” Ce à quoi mon copain m’a répondu : “Bon, laisse-moi te raconter une histoire…” C’est à ce moment-là que je l’ai entendue pour la première fois. Mais ça a mis vingt ans pour que les gens la prennent au sérieux pour mon projet de film.
Cette histoire m’a touché, car elle est tellement incroyable ! Ces jeunes gens ont été tellement courageux, de s’affirmer en tant que gays en soutien à une communauté très différente. Je me suis dit que je voulais que le film fasse la même chose, qu’il soit projeté dans les mêmes salles que Transfomers, aux côtés de Vin Diesel… c’est là où est sa place. Ça a mis du temps à ce que les gens soient d’accord avec cette idée.
K | Comment avez-vous fait pour fictionnaliser une histoire vraie ?
S. B. | Ça a été dur. Il y avait tellement de bonnes choses dans l’histoire que le plus difficile a été de choisir ce que nous allions mettre dans le film, et donc ce que nous laissions de côté. Les gens me racontaient toujours plein d’histoires, et je me disais toujours : “Oh mon dieu, j’aimerais pouvoir mettre ça dans le film !” Mais j’ai appris à ne pas raconter aux acteurs toutes les histoires que je connaissais, sinon ils me disaient : “Mais pourquoi ce n’est pas dans le film ? Je pourrais jouer cette scène ! Laissez -moi la faire !(rires)
Mais ce qui était bien, c’est que l’histoire avait dès le départ une structure : elle commence par une gay pride et finit par une gay pride. Donc pour le déroulé, ce n’était finalement pas si difficile, même si on avait une lourde responsabilité en racontant cette histoire. C’est ce qui était motivant, quelque part.
K | La plupart des personnages sont basés sur des personnes ayant vraiment existé, comment avez-vous fait les recherches ? Avez-vous rencontré les familles ?
S. B. | Oui j’ai dû les retrouver. J’ai beaucoup cherché, et lorsque j’ai reussi à en retrouver un, le mot s’est répandu. Ils ont d’abord eu à se rendre compte que le projet était sérieux car depuis des années, beaucoup de gens les ont sollicités, notamment Mike Jackson (qui est interprété par Joe Guilgon dans le film). Il a été le secrétaire du groupe, donc il a gardé tous les documents. Il savait donc beaucoup de choses. Quand on s’est rencontré, il m’a relaté les événements d’il y a trente ans, beaucoup de gens avaient frappé à sa porte en disant : “Je veux faire un documentaire, un film, une pièce…” et finalement rien ne se passait. Donc quand je suis arrivé, ils étaient sceptiques.
Ils se disaient : “Comme s’ils allaient en faire un grand film…” Ils n’y croyaient pas vraiment. Mais ils étaient si généreux que même en y croyant peu, ils continuaient à me raconter des choses et à m’aider. Certains d’entre eux m’ont même montré des textos et des e-mails qu’ils avaient échangés durant cette période. Quelques-uns étaient très drôles, du style : “Ce mec s’est pointé chez moi en me demandant des choses sur LGSM, il pense qu’il va faire un gros film mainstream. Bonne chance !” Ils ne croyaient pas que l’on y arriverait. Maintenant c’est moi qui ris !

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“La tristesse ne vous change pas. Le rire, oui.”

K | De par son sujet, Pride est un film engagé. Pensez-vous que ce soit important que le cinéma fasse passer des idées engagées par le biais du divertissement, en faisant rire les gens ?
S. B. | Pour moi c’est essentiel. Il n’y a pas de meilleur moyen de parler de gros sujets compliqués qu’en les rendant amusants et touchants. Si je vois un film sur un sujet très tragique et sérieux, à la fin je vais ressentir beaucoup de choses, mais je n’aurais pas changé. Parce que la tristesse ne vous change pas. Le rire, oui.
M. W. | Je suis d’accord. Par exemple, si de prime abord vous aviez pensé que le film était sur le socialisme, et que vous n’aviez pas envie de voir de la politique, vous l’auriez évité. Idem si vous pensiez que c’était sur l’activisme gay, et que cela ne vous intéressait pas. Et si ça avait été un film sur la tolérence et la compassion, vous auriez pu croire que c’était un conte de fée. Mais ce qui arrive quand on en fait une comédie, et que l’on joue habilement avec le politiquement correcte, et c’est ce qui rend le film universel. Il peut ainsi parler à tout le monde.
K | Aviez-vous plus de pression en adaptant une histoire vraie ?
S. B. | Oui, il y avait une forme de pression c’est sûr. Mais encore une fois, la pression peut-être bonne. Ici, c’était un bon mélange. Le fait que l’histoire soit vraie lui donne de l’autorité. C’est très important quand les gens regardent.
K | Qu’avez-vous ressenti quand le film a gagné la Queer Palm ?
M. W. | On a eu la nouvelle [de la sélection à Cannes, ndlr] deux jours après la fin du montage. J’étais épuisé depuis huit mois, et à ce moment-là j’étais au-delà de l’épuisement, tout était un peu trouble. Je n’étais jamais allé au Festival de Cannes auparavant. Mais la chose la plus importante concernant ce prix, c’est surtout que les gens peuvent avoir des préjugés sur la réalisation cinématographique. Ils peuvent être condescendants lorsqu’il s’agit de la valeur artistique d’un film populaire. Pride est un film populaire, le sujet est simple quelque part.
On peut penser que pour avoir de la reconnaissance artistique, un film doit être douloureux, sérieux, difficile d’une certaine façon. Du coup, être accepté à Cannes était très encourageant. Car ce que nous espérions, c’est être tout cela à la fois, en un film. On a travaillé dessus de manière intelligente je crois, pour réunir tout ça dans Pride. Et l’expérience de Cannes a validé ce que nous pensions.
Propos recueillis avec Naomi Clément.
Publié le 16 septembre 2014 à 19h21.