Qui est Ruth Bader Ginsburg, cette grande figure féministe méconnue en France

Qui est Ruth Bader Ginsburg, cette grande figure féministe méconnue en France

photo de profil

Par Arthur Cios

Publié le

Alors que le génial film Une Femme d’exception raconte l’une de ses grandes affaires, revenons sur cette célèbre juge américaine devenue depuis peu tout un symbole.

À voir aussi sur Konbini

Ruth Bader Ginsburg, 2017, Washington, DC. (Photo by Matt McClain/The Washington Post)

De manière générale, on connaît assez peu ceux qui font partie des plus grandes institutions nationales. En France par exemple, en dehors des anciens présidents qui y sont membres d’office (et encore, tous n’y siègent pas), quasiment personne ne connaît les membres de la Cour constitutionnelle, une des plus hautes instances juridiques. Alors imaginez ceux de son équivalent américain, la Cour suprême…

Parmi ces quelques visages inconnus, même pour la grande majorité des citoyens américains, vous connaissez peut-être Brett Kavanaugh, dont on a beaucoup entendu parler ces derniers mois (un juge nommé par Trump, surtout connu pour avoir été accusé d’agression sexuelle). Mais la véritable rock star de la CS est une vieille dame, assez petite, répondant au nom de Ruth Bader Ginsburg, qui y siège depuis 1993 (pour rappel, ce poste n’est pas révocable et n’est pas lié à une élection quelconque, si ce n’est que le président désigne les nouveaux juges). Peut-être que vous ne la connaissez pas mais cela ne va pas durer longtemps.

Depuis 5 ans environ, RBG est une rock star outre-Atlantique. On crée des mèmes, et même des Tumblr sur la juriste, qu’on surnomme sur la Toile et partout désormais (en référence à un célèbre rappeur) “Notorious RBG”. Au point que désormais, il y a des milliers de produits dérivés en rapport avec cette dernière et qu’elle a été au cœur d’un opéra comique, de plusieurs sketchs dont un déjà culte du Saturday Night Live, de diverses biographies, d’un superbe documentaire sorti il y a quelques mois, de livres pour enfants sur elle, d’un caméo dans Futurama… On la retrouve même dans des morceaux de rap.

Le point culminant de cette célébrité est sans doute la sortie en salles ce 2 janvier d’Une Femme d’exception, le premier biopic se penchant sur cette grande dame. Un film puissant, porté notamment par la prestation impressionnante de son actrice principale, Felicity Jones, et par la force de son message.

Une question alors : comment une juge de la Cour suprême a pu devenir une icône de la pop culture ? Réponse : grâce à son combat. Féministe. Depuis toujours.

Un véritable modèle

En vérité, RBG est tout sauf une icône sortie de nulle part. Depuis près de 50 ans, elle mène un combat juridique pour le droit des femmes, sa spécialité, aux États-Unis. Depuis 1993 donc, elle siège à la Cour suprême — pour rappel, seules quatre des centaines des personnes ayant travaillé pour cette Cour ont été des femmes, RBG est la deuxième de l’histoire, derrière Sandra Day O’Connor qui a été nommée en 1981. Plus récemment, elle s’est fermement opposée à Trump, ce qui a fait du bruit car les juges se font discrets habituellement et ne portent pas vraiment de jugements.

Mais revenons un peu en arrière. Ruth Bader est née à Brooklyn en 1933, et a tout de suite eu une sorte d’admiration pour les institutions, le droit, la politique. À l’âge de 13 ans, elle écrit un article sous forme de tribune en hommage à la charte des Nations unis. Le ton est donné.

Ses excellentes notes lui permettent d’être l’une des premières femmes à avoir intégré l’école de droit d’Harvard (elle leur était interdite avant 1950). Forcément, la concurrence se fait plus dure pour elle que pour le reste des étudiants, dont fait partie l’homme qui est déjà son mari, Martin Ginsburg. Si elle brille, et réussit à se faire un petit nom, elle n’est acceptée dans aucun cabinet new-yorkais, à cause en grande partie de son genre.

Alors qu’elle est devenue professeur de droit, une affaire va la projeter sur le devant de la scène. Le cas “Moritz v. Commissioner of Internal Revenue”. C’est sur celui-ci que se concentre Une Femme d’exception. Il ne s’agit pas de l’affaire la plus connue, mais bien de celle qui pose la base de ce contre quoi elle va lutter pendant de longues années, à savoir la discrimination fondée sur le sexe dans les lois et les jugements.

Un jugement compliqué, qu’on vous laisse découvrir en salles, mais qui pour faire simple, fut la première fois où les juges ont admis qu’il y avait un biais sexiste dans les lois, ici pour un homme qui n’a pas eu accès à la même réduction fiscale pour payer une infirmière à sa mère malade (réduction autorisée aux femmes, aux veufs ou personnes divorcées). Cela a ouvert une brèche pour le reste des biais sexistes dans les lois, majoritairement à l’encontre des femmes.

Un cas important, car il fut le premier d’une fournée d’au moins six affaires que RBG va défendre devant la Cour suprême (5 des 6 furent des succès pour la juriste). Mais l’actrice Felicity Jones, nous explique pourtant que ce n’est pas celui que la concernée préfère :

“Quand son neveu est venu la voir en disant : ‘j’aimerais écrire un scénario basé sur cette affaire’, elle a répondu : ‘oh tu sais, ce n’était pas vraiment mon meilleur procès’ [rires]. Ce qui traduit bien son sens de l’humour. Mais c’était le plus adapté pour un film, parce qu’il montre vraiment à quel point elle inspire et influence les gens autour d’elle.

Et puis, c’est le premier et unique cas où Ruth et Marty ont plaidé ensemble.”

Car Marty a eu son importance dans ce cas, et surtout dans la vie personnelle et professionnelle de la juriste. Déjà, parce que c’est lui qui a ramené le cas de Moritz à RBG. Mais surtout parce qu’il a fait son possible pour l’aider à poursuivre son combat, prendre son rôle de mari et de père à bras le corps. Cela semble un peu ahurissant d’écrire ses mots, mais il faut se rappeler que les faits remontent au début des années 1990.

C’est encore Armie Hammer, l’acteur vu récemment dans Call Me By Your Name et prochainement dans Sorry to Bother You, et qui joue ici Marty, qui raconte cela le mieux :

“Leur mariage est un partenariat équilibré. On ne voit pas de mariage comme ça à l’écran. On ne voit jamais de mari qui fait ce qu’il faut faire pour laisser le temps à sa femme de changer le monde, s’occuper de la maison, des repas, des enfants. On ne voit jamais de mari se dire ‘je crois tellement en ce que ma femme fait que je vais faire mon possible pour l’aider comme je le peux’. C’est un homme qui était bien différent de ceux des années 1960.

J’espère que certaines personnes comprendront que c’est possible. Surtout qu’il n’a pas sacrifié sa carrière pour elle. Il a une incroyable carrière en soi, c’est un des meilleurs avocats fiscalistes au monde. Ce qui ne l’empêchait pas d’être un incroyable mari, un incroyable père, et un très bon cuisinier.”

Changer le monde, cela n’a jamais vraiment été l’ambition de RBG. Et pourtant, c’est plus ou moins ce qu’elle fit, en toute discrétion. Après le cas Moritz, la juriste a enchaîné les succès, permettant aux femmes d’être mieux défendues. Et c’est sans parler de son combat pour l’avortement, de son rôle dans la création d’une loi pour l’égalité salariale, etc.

Autant dire qu’on comprend assez bien pourquoi les jeunes générations l’admirent, et que le film Une Femme d’exception est plus que nécessaire.