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River Phoenix : portrait d’une comète sombre du cinéma

River Phoenix : portrait d’une comète sombre du cinéma

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Par Manon Marcillat

Publié le , modifié le

Retour sur le destin tragique de l’acteur, disparu à l’âge de 23 ans.

Il y a d’abord un étrange patronyme. Prénom : River, en référence au fleuve du roman Siddhartha de Hermann Hesse. Nom : Bottom (“en bas”, “au fond”), mais que ses originaux de parents transformeront en Phoenix. Il y a ensuite une étoile montante du cinéma américain à la gueule d’ange. Puis un destin brisé comme seul Hollywood sait en écrire, auquel succéderont Heath Ledger, Brittany Murphy, et tous les autres.

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Mort le 30 octobre 1993 à l’âge de 23 ans, River Phoenix aurait eu 51 ans le 23 août dernier. Et celui qui, toute sa courte vie, prendra soin d’éviter les écueils de la célébrité décédera de la plus clichée des morts : des suites d’une overdose à la sortie d’une boîte de nuit sur un trottoir de Sunset Boulevard.

Une mort presque conventionnelle pour un espoir de Hollywood, mais une vie bel et bien hors du commun. Aîné d’une fratrie de cinq enfants, River n’a que deux ans lorsque sa famille quitte l’Oregon pour s’installer au Venezuela et rejoindre la secte des Enfants de Dieu – au sein de laquelle Rose McGowan a également grandi –, réputée notamment pour des rites sexuels auxquels étaient conviés les enfants. Plus tard, River révélera en interview avoir été victime d’abus sexuels lors de cette période. Sa famille quitte la secte en 1977, rentre aux États-Unis et prend le nom de Phoenix.

Wil Wheaton et River Phoenix dans le magnifique <em>Stand by Me</em> de Rob Reiner.

L’aîné de la famille n’ira jamais à l’école et c’est sur les trottoirs de la Cité des anges, où la fratrie faisait la manche, puis sur les plateaux de télévision, qu’il foulera dès l’âge de huit ans, et sur les bancs de Hollywood qu’il usera ses fonds de culottes. Rain, Liberty, Summer et Joaquin lui emboîteront rapidement le pas. Mais ce n’est que huit ans plus tard, à seize ans, que le jeune River se fera véritablement remarquer, grâce à son rôle dans Stand by Me (1986), le meilleur film de Rob Reiner.

La filmographie d’une vie

Tourné dans son Oregon natal, ce film fait étrangement écho à sa vie. Il y incarne Chris Chambers, le chef de bande d’un petit groupe de jeunes garçons têtes brûlées qui, au cours d’un long été d’ennui, partent à la recherche du corps d’un enfant de leur âge récemment disparu. Par cette petite escapade qui deviendra l’aventure d’une vie, Chris tente de fuir une famille dysfonctionnelle et un père alcoolique.

Dans le film, il est le plus vieux et le plus expérimenté de la bande, à la fois impétueux et responsable, sorte de caïd au grand cœur et au sang froid. Il en impose mais endosse également le rôle de grand frère et confident de la bande. Dans la vie, River a également été érigé en chef du clan Phoenix malgré lui, à la place d’un père irresponsable et souffrant d’alcoolisme. L’acteur appelait ses frères et sœurs “mes enfants” et, au début des années 1990, alors qu’il commence à dépérir, sa famille essaie de l’éloigner de la machine hollywoodienne. L’adolescent insiste toutefois pour tourner un dernier film – peut-être celui de trop – pour subvenir aux besoins de sa famille et assurer les frais de scolarité de sa jeune sœur.

“J’aimerais pouvoir aller là où personne ne me connaît”, confie Chris à son meilleur ami Gordie. Et face au grand cirque de Hollywood, le hippie River n’en pensera certainement pas moins. Cinq ans avant sa mort, les points communs entre River Phoenix et le fictif Danny Pope d’À bout de course sont également si nombreux qu’on pourrait croire que Sidney Lumet a écrit le film pour lui. Danny, son petit frère sous le bras, sera transbahuté de ville en ville par ses parents, devra changer de nom, n’ira jamais à l’école mais héritera d’un talent artistique inné.

Keanu Reeves et River Phoenix dans <em>My Own Private Idaho</em> de Gus Van Sant. (© Warner Bros Inc.)

Mais l’acteur restera gravé dans la mémoire cinéphile pour son interprétation de Mikey Waters, un vagabond narcoleptique, homosexuel et toxicomane dans My Own Private Idaho de Gus Van Sant, aux côtés de Keanu Reeves. C’est pour se préparer à ce rôle que River passera plusieurs semaines dans un squat de marginaux, expérimentera l’héroïne et mettra le doigt dans un engrenage qui, deux ans plus tard, lui sera fatal.

Lors d’une très belle déclaration d’amour autour d’un feu, il avoue à son partenaire à l’écran : “Si j’avais eu une famille normale et une bonne éducation, j’aurais été une personne intégrée. Mais je n’ai jamais eu de chien ou un père normal. Et c’est OK. Je ne m’apitoie pas sur mon sort. Moi, je me sens comme une personne intégrée.”

Puis dans une séquence finale quasi prophétique, Mikey demeure étendu, seul et inconscient, sur le bitume d’une route américaine, avant de s’endormir deux ans plus tard, pour de vrai et pour l’éternité.

Sa filmographie est comme un livre ouvert sur sa vie. En seulement quatorze films, ses rôles résonnent avec son étrange vie et esquissent aujourd’hui un portrait sombre de l’acteur qui, de sa présence magnétique, a marqué à jamais le cinéma américain. “River Phoenix, c’est toujours la même histoire. Un enfant, un adolescent, puis un garçon manipulé par ses rêves, ses idéaux, ses parents, ses clients. Un qui suit, un gentil, un brillant, pas rebelle, pas violent, juste innocent”, analyse Laetitia Masson dans un épisode de Blow Up en hommage à l’acteur.

Deux destins liés

Il est nommé en 1989 pour l’Oscar du Meilleur second rôle à 18 ans, suite à sa performance dans À bout de course, mais c’est son frère Joaquin qui obtiendra la prestigieuse statuette 31 ans plus tard, à l’âge de 46 ans, pour son interprétation glaçante du Joker en 2020. Dans son discours de remerciements, l’acteur – pourtant très peu enclin à parler de son grand frère et qui, comme lui, méprise à demi-mot la cérémonie – lui rendra hommage sur la scène du Dolby Theater, à la toute fin d’un discours très politique :

“Cours après l’amour et la paix suivra”, c’est par les mots de River que Joaquin conclut un discours notamment engagé en faveur des animaux. Végan dès l’âge de 7 ans, le défunt acteur est l’une des premières célébrités à s’engager pour l’association de défense des droits des animaux PETA et devient l’un des principaux porte-parole de cette cause. Son petit frère en assure aujourd’hui la relève à Hollywood. Car, depuis que River est décédé dans les bras de son cadet devant le Viper Room de Johnny Depp il y a 28 ans et que l’appel à l’aide de Joaquin a fait le tour des médias du monde entier, leurs destins restent inextricablement liés.

Maintenant que River n’est plus, la trajectoire de son petit frère esquisse à son tour un portrait de l’acteur prodige. En effet, Joaquin Phoenix s’applique à prendre le contre-pied du parcours de son aîné en cultivant son aura d’acteur sombre, troublant, malaisant. Et avant d’accéder à la notoriété, qui est tombée trop tôt sur son grand frère à la gueule d’ange et qui lui a brûlé les ailes, lui prendra tout son temps.

River Phoenix dans <em>À bout de course</em> de Sidney Lumet. (© Lorimar Films)

Juste avant de décéder, River Phoenix apparaît brièvement une dernière fois à l’écran, dans Even Cowgirls Get the Blues, de Gus Van Sant, qui est dédié à sa mémoire. Deux ans plus tard, en 1995, Joaquin révèle son talent d’acteur aux yeux du monde chez le même réalisateur, dans Prête à tout, face à Nicole Kidman. Récemment devenu papa, l’interprète peu superstitieux du Joker a donné le nom de son défunt frère et modèle à son fils, en ultime hommage.