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Cannes : Petite Nature est la pépite discrète et ambitieuse dont le Festival avait besoin

Cannes : Petite Nature est la pépite discrète et ambitieuse dont le Festival avait besoin

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Par Manon Marcillat

Publié le

Pour son second long-métrage, le réalisateur de Party Girl s’attelle à un sujet difficile et relève le défi haut la main.

Au cours du Festival de Cannes, Konbini vous fait part de ses coups de cœur.

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Petite Nature, c’est quoi ?

Pour son second long-métrage, l’acteur et réalisateur Samuel Theis a choisi d’offrir un prequel à Party Girl, son premier film inspiré de la vie de sa mère. Avec Petite Nature, présenté à la Semaine de la Critique, il retourne à Forbach en Lorraine pour filmer une nouvelle autobiographie qui imaginerait la vie de sa mère plus jeune, sorte de diptyque en réponse à Party Girl.

Mais ici, le personnage principal n’est plus sa mère et la “petite nature”, c’est Johnny, un enfant de 10 ans aux cheveux longs. En réalité, l’enfant est tout sauf une petite nature et lutte de toutes ses forces pour échapper à sa condition. Dans sa cité HLM en Lorraine, il s’occupe de sa petite sœur, observe avec curiosité le monde des adultes et la vie sentimentale agitée de sa jeune mère. Cette année, il intègre la classe de CM2 de Monsieur Adamski, un jeune titulaire qui croit en son potentiel et l’ouvre à un nouveau monde. Attiré par son savoir, ses connaissances et son statut social, Johnny va s’éprendre de cet instituteur.

Pourquoi c’est bien ?

Filmer les quartiers populaires et les territoires oubliés de France est un exercice jalonné de pièges. Y apposer le récit de l’éveil sexuel chez l’enfant l’est d’autant plus et avec ce nouveau film, Samuel Theis a fait un pari audacieux et courageux. En ces temps de libération de la parole autour du tabou de l’inceste et de la pédophilie, filmer cette histoire d’amour, bien qu’à sens unique, était une entreprise périlleuse. Mais en plaçant son film à hauteur d’enfant, en racontant l’histoire par ses yeux, et non en portant un regard sur lui, cela lui permet de traiter ce sujet épineux avec une infinie délicatesse.

Et surtout, Samuel Theis filme avec responsabilité, répond très clairement à la question morale que pose son film et fait le pari de la pudeur, puis du refus catégorique. Ainsi, jamais un moment de malaise ne menace de rompre le charme qui opère dès les premières minutes du film.

ll choisit également de nuancer l’amour que porte Johnny à Monsieur Adamski. Ici, l’attirance de l’enfant pour l’adulte est surtout sapiophile. Johnny étouffe dans son quartier, dans son milieu et du haut de ses dix ans, il souhaite s’y arracher et voit en son professeur un levier d’ascension sociale. De son côté, l’instituteur voit en Johnny un enfant intelligent que l’école républicaine peut sauver. Sa seule méprise : avoir pris l’enfant sous son aile, peut-être un peu plus que les autres élèves de sa classe.

Ce petit Eddy Bellegueule est interprété par Aliocha Reinert, immense découverte et atout principal du film. Observateur du monde des adultes parfois inquiétant, enfant parfois condescendant avec sa famille qu’il aime mais méprise en même temps, amoureux désespéré prêt à tout pour s’attirer les faveurs de son professeur, c’est un personnage ambivalent que le jeune acteur interprète à la perfection. Dans une séquence saisissante, cet aspirant transfuge de classe perd pied et envoie tout valser, la malbouffe, le nouveau petit ami de sa mère et le déterminisme social.

(© Ad Vitam)

Pour entourer Aliocha Reinert, Samuel Theis a choisi des acteurs non professionnels, habitants de sa Lorraine natale, comme pour Party Girl. Sonia, la mère de Johnny, est interprétée par Mélissa Olexa, qui est parfois dure et sans pitié, parfois amante et maternelle, n’hésite pas à montrer les dents pour défendre sa progéniture comme une louve. C’est elle qui enseigne à ses enfants à ne pas être “des petites natures” et à user de leurs poings pour lutter pour leur place, tandis que Johnny, lui, préfère lutter contre sa classe. 

Les deux seuls acteurs professionnels du film sont Antoine Reinartz et Izïa Higelin, l’instituteur de Johnny et son épouse, conservatrice dans un musée, qui incarnent cette autre classe sociale que Johnny idéalise et cet ingénieux choix de casting offre une nouvelle lecture au film. C’est d’ailleurs dans une séquence au centre Pompidou-Metz, où le couple amène Johnny un samedi après-midi, que tout va se jouer. La limite sera franchie de la part de l’instituteur qui acceptera de passer du temps avec son élève en dehors des heures de classe et de la part de l’enfant qui assumera sa fascination pour son professeur dans les dédales du musée.

Après Party Girl, réalisé en trio avec Claire Burger et Marie Amachoukeli, Samuel Theis prend son envol en solo en même temps que son jeune héros. Avec Petite Nature, il est définitivement à la hauteur du sujet.

Qu’est-ce qu’on retient ?

L’acteur qui tire son épingle du jeu : Aliocha Reinert, une révélation

La principale qualité : Son ambition, sa pudeur et sa moralité

Le principal défaut : Ne pas avoir été sélectionné en Compétition officielle

Un film que vous aimerez si vous avez aimé : Party Girl, Gueule d’Ange, Moi, Daniel Blake, Florida Project et Fish Tank

Ça aurait pu s’appeler : La relève d’Eddy Bellegueule

La quote pour résumer le film : “Une petite nature qui va faire du bruit”