On a discuté avec les jeunes réal’ des courts-métrages sélectionnés aux César

On a discuté avec les jeunes réal’ des courts-métrages sélectionnés aux César

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(© Louis Lepron)

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Par Manon Marcillat

Publié le

Elie, Jimmy, Julien, Maxime et Saïd sont venus dans les bureaux de Konbini pour nous parler de leur vision du court-métrage.

De l’autre côté de l’Atlantique, afin de dynamiser sa cérémonie, l’Académie des Oscars a pris la décision de ne plus retransmettre en direct les remises de huit de ses trophées, dont celle du court-métrage documentaire, animé et de fiction. À la veille de la 47e cérémonie des César, nous avons donné la parole à Élie Girard, Jimmy Laporal-Trésor, Julien Gaspar-Oliveri, Maxime Roy et Saïd Hamich Benlarbi, les cinq jeunes réalisateurs sélectionnés pour le César du meilleur court-métrage de fiction.

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Ensemble, ils ont évoqué la légèreté bienfaitrice du court dans un système qui asphyxie souvent les envies d’écriture de ses auteurs, le dynamisme et l’ambition de l’industrie du court-métrage en France, leurs aspirations et leurs envies futures. César ou pas César.

Konbini | Pouvez-vous présenter votre court-métrage en trois mots ?

Jimmy Laporal-Trésor | Pour Soldat noir, je dirais “86”, “racisme” et “combat”.

Maxime Roy | Pour Des gens bien, ça serait “chômage”, “rêves”, “couple”.

Saïd Hamich Benlarbi | Pour Le départ, “enfance”, “exil” et “Maroc”.

Élie Girard | Pour Les Mauvais garçons, “amitié”, “garçons” et “intimité”.

Julien Gaspar-Oliveri | Et pour L’âge tendre, je dirais “adolescence”, “sexualité” et “désir”.

Konbini | Quelles libertés offre la réalisation d’un court-métrage ?

Jimmy | Il y a peu de contraintes économiques dans le court-métrage, bien qu’on ait un temps plus court pour travailler. On peut donc expérimenter sans avoir la sanction des entrées, ce qui permet une plus grande liberté de ton ou de sujets. C’est aussi l’occasion de sortir de l’ordinaire côté mise en scène. Sur les longs-métrages, les équipes sont plus importantes, il faut donc être efficace et parfois, on doit se censurer pour ne pas proposer des choses trop compliquées.

Élie | En court, il n’y a que des enjeux artistiques et créatifs. Le seul endroit où l’on peut réussir ou bien se planter, c’est sur la qualité du film puisqu’il n’y a pas d’enjeux d’industrie. Mais c’est aussi une grande responsabilité car on est moins expérimenté et l’équipe qui nous entoure aussi. Il y a donc une fraîcheur qui peut soit décupler les forces, soit nous ralentir.

On pourrait penser qu’écrire un court-métrage est plus facile qu’écrire un long. Est-ce que vous appréhendez leur écriture différemment ?

Julien | Écrire, c’est difficile et ce n’est pas une question de format. C’est très long et ça peut être pénible. Mais je ne pense pas que l’écriture du long s’oppose à celle du court car tant qu’on écrit, on cherche.

Jimmy | C’est comme si on comparait la nouvelle au roman. Je pense que c’est un faux calcul de se dire “j’ai un projet de long que je vais raccourcir en court” ou “j’ai un court que je vais rallonger en long”. Ce sont deux façons de s’exprimer très différentes, chacune à ses limites et ses espaces de liberté et je les conçois comme deux exercices très différents.

Maxime | Pour moi, il s’agit de rechercher ce que j’estime nécessaire de raconter. J’ai travaillé mon court en étant très rectiligne, en allant droit au but et en laissant peu d’espace à ce qui ne sert pas l’histoire. C’est en ça que le court-métrage a été un grand apprentissage et on devrait faire le même exercice avec un long-métrage.

Jimmy | Ce qui est important, c’est la relation avec le spectateur et les liens qu’on tisse entre lui et le film pour parvenir à garder son attention et qu’il ait envie de suivre la vie d’un protagoniste, pendant 20 minutes ou pendant deux heures.

C’est quoi, un bon sujet de court-métrage ?

Élie | Avant, un peu comme au théâtre, on disait qu’il fallait une unité de lieu, de temps et d’action et, si possible, une chute. Mais nos cinq films sont très longs pour des courts-métrages et ils ne respectent pas cette règle. J’ai l’impression que les narrations de courts sont en train de muter car les formats que les gens regardent diminuent en durée. Les courts-métrages ne s’inscrivent donc plus du tout dans cette mode du sketch amélioré. Il y a une aussi une grande importance de la singularité et de la mise en scène car ce sont des films qui sont souvent regardés dans un continuum, avec d’autres courts-métrages proposés avant ou après. Ce n’est pas le même geste que celui d’aller au cinéma.

La case du moyen-métrage existe-t-elle toujours ?

Élie | Non, pas vraiment. Si ton projet dure 60 minutes, on va t’inciter à l’amener jusqu’à 90 minutes, voire 1 h 40. Il y a beaucoup de films de cette longueur et on sent bien qu’ils ont été étirés. Pourtant, moi, j’adorerais faire des films d’1 h 10 ou 1 h 20.

Jimmy | Juridiquement parlant, “moyen-métrage”, ça ne veut rien dire. En dessous de 60 minutes, c’est un court-métrage. Mais au-delà de 30 minutes, c’est compliqué d’être sélectionné en festival. Pour cela, l’idéal est de réaliser un film de moins de 15 minutes.

Saïd | La notion de temps au cinéma est très relative. Il peut y avoir des longs-métrages qui se passent en deux heures d’action et des courts-métrages qui se passent sur 10 ans. Moi, j’ai réalisé un long métrage qui dure 1 h 07 mais je ne voulais rien couper ou rajouter car artistiquement, la question de la durée est très importante.

En France, le court-métrage semble soutenu et visibilisé. Quel est votre sentiment ?

Saïd | Effectivement, le court-métrage bénéficie d’un environnement économique structuré et vertueux en France. C’est le seul pays au monde où il y a des sources de financement véritablement stables, grâce au CNC, à Arte, à France Télévisions ou à Canal+ et les courts réalisés sont quasi-professionnels, voire professionnels. Il y a une grande ambition formelle et narrative. Il y a aussi beaucoup de festivals et de boîtes de production qui génèrent un certain nombre de films de mieux en mieux produits. Une société comme Kazak Productions, qui a produit la Palme d’or, produit également des courts-métrages. On bénéficie tous d’un système de fabrication, de production et de diffusion très en place.

Jimmy | Mon seul regret, c’est qu’il n’y ait plus de séances de cinéma avec un ou plusieurs courts-métrages avant, comme dans les années 1980 ou 1990. Moi, j’aimais bien.

Élie | Si Paul Thomas Anderson faisait des films moins longs, on aurait le temps de caler des courts-métrages avant…

Certaines boîtes de production produisent des longs et des courts. En revanche, il est plus rare que des réalisateurs de longs-métrages ne reviennent ensuite au court-métrage…

Maxime | Avec Saïd, on est des contre-exemples, on a tous les deux déjà réalisé des longs-métrages…

Saïd | Oui, mais comme je disais, mon long-métrage dure 1 h 07… Mais effectivement, le court-métrage reste une porte d’entrée sur le cinéma et le schéma classique, c’est donc de commencer par le court pour aller vers le long. D’un point de vue économique, pour gagner sa vie en tant que réalisateur, il faut également que nos films sortent en salles et soient vus. Les choses ont une cohérence entre elles et passer du court au long n’empêche pas au premier d’exister en tant que tel.

Maxime | Pour ma part, il est possible que plus tard, je revienne aux courts-métrages. Je me sens heureux sur ces tournages, c’est léger, c’est simple. On peut également débloquer des aides après tournage qui nous permettent de prendre des risques en production, sans attendre cette industrie qui est très lourde et qui tue souvent l’envie d’écrire chez les auteurs qui passent parfois trois ou quatre ans à développer un long-métrage. À force de réécrire notre histoire, elle finit par nous échapper, on ne sait plus si c’est vraiment nous. Le court-métrage permet de former notre regard, notre intériorité et d’arriver au long en étant plus fort.

Saïd | C’est très vertueux pour le cinéma d’avoir une industrie du court-métrage vivante, elles se nourrissent mutuellement. D’un point de vue artistique, les courts alimentent beaucoup ce qui se fait ensuite en long et font également émerger de nouveaux talents.

Comment avez-vous pensé votre casting ? Vous êtes-vous orientés vers des comédiens déjà identifiés ou au contraire, vous avez privilégié les nouveaux talents ?

Élie | Il faut savoir que la profession repère les acteurs avant que le grand public ne les identifie. On sent les comédiens autour desquels il se passe quelque chose. Quand j’ai tourné Les Mauvais garçons, Raphaël Quenard avait déjà tourné dans plusieurs longs-métrages mais ce n’est pas pour ça que j’ai été vers lui. C’est facile de trouver des comédiens pour des courts-métrages, il y a pléthore de possibles. Comme nous, les acteurs ont besoin de s’entraîner mais eux, ils ont aussi besoin d’image pour exister dans ce monde ultra-concurrentiel du cinéma.

Julien, toi, tu as fait tourner Noée Abita. Tu as écrit ton court-métrage en pensant à elle ?

Julien | Pas du tout. Mais quand je l’ai rencontrée, elle a transformé le personnage de Diane, qui était attendu comme très volumineux. Or Noée ne veut pas faire de bruit. C’est là que se joue la rencontre entre un acteur et un projet, lorsqu’il transforme le film par sa présence. Je n’aurais jamais pensé à elle sans la rencontrer mais elle a amené le silence dans le bruit.

Comment vous situez-vous par rapport au long-métrage ?

Jimmy | De mon côté, mon producteur trouvait que le sujet de cette jeunesse française de 1984 qui évoluait dans un contexte très particulier était trop ambitieux pour un long-métrage car je n’étais pas encore assez identifié. Mais il a fini par me donner le feu vert pour Rascal, mon futur premier long-métrage, tout en me proposant de réaliser un court sur une idée que j’avais depuis un moment, celle du rite d’initiation d’un gamin qui entre dans une bande de chasseurs de skin.

Julien | Moi, je travaille actuellement sur l’écriture d’un long-métrage mais j’ai juste un thème vaguement commun, qui est celui de la famille, comment s’en sortir ou comment s’en rapprocher.

Élie | Après mon court, j’ai travaillé sur une série qui parle d’amitié, comme le long que j’écris actuellement. Mais je me dis que c’est peut-être le moment de changer de sujet…

Maxime | C’est marrant de voir les ponts entre nos différents travaux. Quand on commence à sentir qu’on ne fait pas semblant d’écrire, qu’on n’essaye plus de construire quelque chose mais que ça nous vient du ventre, je trouve ça beau. Quand on prend du recul, il y a toujours des thèmes récurrents qui sont souvent des problèmes personnels ou des choses qu’on ne digère pas.

Quelles sont les grandes leçons que vous tirez de cette expérience du court-métrage ?

Élie | J’y ai pensé récemment et pour moi, ça serait de continuer d’avoir foi en une certaine forme de sincérité. Si on est sincère avec ce qu’on a envie de raconter, ça finit toujours par se frayer un chemin jusqu’au spectateur. Avant, j’imaginais ça comme un vœu pieux mais là, j’ai vu ce processus à l’œuvre.

Maxime | Se mettre en danger. J’ai réalisé plusieurs projets et celui où je me suis mis le moins en danger, je trouve que c’est le moins fort. Par danger, j’entends l’endroit où on ne sait pas si ce qu’on est en train de faire est bien, lorsqu’on n’a pas de comparaison possible avec des films qui auraient fonctionné de cette façon. C’est assez vertigineux.

Julien | Moi, mon court-métrage m’a confirmé que mon rapport au plateau est instable. Mon désir se place dans l’instabilité et j’ai souvent envie de détruire le scénario une fois qu’il est construit.

Quels courts-métrages vous ont particulièrement marqués récemment ?

Saïd | J’ai eu un énorme coup de cœur pour Dustin de Naïla Guiguet qui, selon moi, aurait dû être avec nous aujourd’hui. C’est un film magnifique sur la nuit, l’identité, les frontières et l’assignation avec une recherche formelle comme j’en ai rarement vue, même dans des longs-métrages.

Jimmy | Moi, c’est L’Homme silencieux de Nyima Cartier. C’est le seul film vraiment radical de la sélection, dans le fond et la forme, qui sont d’ailleurs en parfaite adéquation, pour raconter la déshumanisation par le travail.

ÉlieLes mauvaises habitudes, de Hugues Perrot et Laura Tuillier. C’est un très beau film sur le voyeurisme et le cinéma.

Maxime | Moi, j’ai été bluffé par Haut les cœurs, d’Adrian Moyse Dullin. En 15 minutes, le film arrive à brasser énormément de sujets et à nous tirer les larmes alors que c’est simplement l’histoire d’un trajet en bus et d’un mec qui veut draguer une fille.

Julien | De mon côté, c’est un film lituanien qui s’appelle Atkūrimas, de Laurynas Bareiša. Je pense qu’on a beaucoup de choses à apprendre des écritures de l’Est, ce sont des narrations en creux qui disent beaucoup de la société. En 10 minutes, le format du court-métrage est totalement investi car il traite du regard de la femme sur des hommes qui débordent mais qui ne font rien de mal.

Vous citez donc plusieurs réalisatrices. Pourtant, il n’y a que des hommes nommés dans la catégorie court-métrage de fiction…

Saïd | Oui et ce n’était pas faute de bonnes réalisatrices. Les comités ont fait attention dans les présélections mais les 4 363 votants avaient peut-être un biais masculin. Il y a certainement un travail à faire sur la diversité dans le collège de votants mais ça, c’est un travail de fond.