On a déshabillé le Batman de Nolan avec sa chef costumière

On a déshabillé le Batman de Nolan avec sa chef costumière

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À gauche, la version Batman Begins et à droite, la version Dark Knight (© DC Comics / Warner Bros.)

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Par Arthur Cios

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Dans le cadre de l’exposition “L’art de DC, l’aube des super-héros” au musée Art ludique, nous avons pu discuter avec la chef costumière de la trilogie Dark Knight de Nolan.

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Une fois encore, le musée Art ludique frappe fort. Après une sublime exposition sur Disney, voilà que c’est DC Comics qui se tape l’incruste. Revenant sur les personnages principaux, Superman-Batman-Wonder Woman (en gros) à travers plusieurs salles rqui retracent les étapes importantes de la carrière de ces personnages iconiques, autant du côté des comics que des films. On peut donc admirer des dizaines de planches originales, de croquis, mais aussi des storyboards et des costumes – et même la batmoto de The Dark Knight Rises !

À cette occasion, nous avons eu la chance de discuter avec Lindy Hemming. Si ce nom ne vous dit rien, c’est qu’elle fait partie de ces gens de l’ombre pourtant indispensable sur les tournage, en l’occurrence Lindy est chef costumière. Si elle a fait ses preuves sur de nombreux films, des James Bond époque Pierce Brosnan à Tomb Raider ou encore Harry Potter et la chambre des Secrets, elle est surtout connue pour l’Oscar qu’elle a reçu en 2000, récompensant son travail sur le film Topsy-Turvy de Mike Leigh.

Pourquoi la rencontrer dans le cadre de cette exposition ? Figurez-vous que c’est cette dernière qui est aussi derrière la trilogie Batman de Nolan, et qu’elle vient de travailler sur le Wonder Woman qui sortira le 7 juin prochain. On en a donc profité pour lui parler de son parcours, de son travail sur le costume de Batman et plus encore, tout en se baladant dans la salle consacrée à la trilogie de Christopher Nolan.

Konbini | Avant de commencer, pouvez-vous me raconter un peu votre parcours ?

Lindy Hemming | J’ai toujours voulu aller en école d’art quand j’étais enfant. Mais mon père refusait. Il me disait que je devais faire quelque chose d’utile, qui touche vraiment les gens. J’ai fait des études pour être infirmière et physiothérapeute. Une fois que j’ai eu mes diplômes, je suis finalement allée dans une école d’art. Les gens de mon entourage me conseillaient d’aller à la Royal Academy of Dramatic Arts (Académie royale d’art dramatique) de Londres. Je suis allée à l’entretien, pour voir, et l’examinatrice, semblait avoir mal quelque part. Comme j’étais avant tout infirmière et physiothérapeute, je lui ai donné pas mal de conseils. Puis elle m’a dit “OK, l’entretien est fini, parce que vous êtes prise” [rires].C’est comme ça que tout a commencé.

J’ai commencé à travailler sur l’organisation d’une pièce, et en arrivant, j’ai vu les costumes pour la première fois. Et ça été immédiat : “OK, c’est ce que je veux faire.” [Rires.] Il n’y avait pas de cours à proprement parler sur les costumes, mais j’ai pris un cours de “stage management” et dès que je pouvais, je dessinais. Voilà, j’ai commencé comme ça.

Quel a été votre premier gros travail ?

Avant que de travailler pour le cinéma, j’ai évolué dans le monde du théâtre pendant 15 ans, quelque chose comme ça, pour beaucoup de compagnies, à Londres et même à Broadway. Puis, un des metteurs en scène avec qui j’avais travaillé a fait son premier film. Plusieurs personnes m’ont dit “allez, viens”. Je n’étais pas sûre d’en être capable, on me disait : “Mais quel différence peut-il y avoir ?” Ils étaient tous débutants, ils ne pouvaient pas savoir. Ça a commencé comme ça, et j’ai continué dans le cinéma. J’ai beaucoup travaillé, j’étais une acharnée, mais j’ai aussi eu beaucoup de chance, parce que si tu ne rencontres pas les bonnes personnes quand tu es jeune, c’est bien plus dur.

Comment avez-vous commencé à travailler avec Christopher Nolan sur les films Batman ?

Mon assistante m’a dit : “Il y a quelqu’un qui vient à Londres dans quelques semaines pour faire passer des entretiens, il s’appelle Chris Nolan, et je sais que tu as adoré Memento. Pourquoi tu n’y vas pas ?” Je n’y croyais pas du tout mais elle m’a dit de demander à mon agent, qui s’est renseigné, et j’ai eu le boulot [rires]. C’était un entretien très difficile, parce que ce n’est pas une personne pas facile, tu sais, mais ça l’a fait.

Je ne réalise pas trop en quoi consiste votre travail au quotidien… Quelle est est la première chose qu’il vous a demandé de faire ?

Eh bien, sur chaque film, ton travail est de lire le script s’il y en a un, au moins le synopsis, et de réfléchir ardemment à ce dernier. Si c’est un très bon script, peut-être que ça te vient à l’esprit direct et souvent, l’idée que tu as à ce moment est la bonne. Christopher Nolan m’a dit “notre travail sur ce film est de faire le costume de Batman, – il ne m’a rien dit d’autre sur le film, ni sur aucun autre personnage –, plus pratique et plus confortable”. Parce que la version précédente [avec George Clooney, ndlr] était trop rigide. Et puis, sans tétons [rires]. On sait où sont les tétons, pas besoin de les afficher ainsi, ni de le sexualiser autant. C’est ce qu’il m’a dit.

J’avais plein de grandes idées sur ce que je devais faire mais à la fin, je dois dire que tout ce qu’on a fait, c’est affiner l’ancien et rajouter des aspects technologiques au lieu de cette espère de “six-pack” imposant. C’est plus géométrique. Le problème, c’est que la technologie de l’époque ne nous permettait pas de faire ce qu’on voulait faire. Christian Bale était plus à l’aise, mais on n’a pas trop réussi à avoir assez de souplesse pour les mouvements du cou. Pendant ce film, le premier, on a fait un deuxième costume. C’est celui qu’il y a dans la batcave, sous verre, et il est différent. C’était celui qu’on essayait de faire, mais il était tellement lourd, les matériaux n’étaient pas assez bons, donc c’était impossible de les utiliser.

L’autre est beaucoup plus léger ?

Oh oui ! Il n’a pas du tout la même densité. En fait, je voulais faire des blocs, des parties séparées. Entre le tournage de Batman Begins et la préparation de The Dark Knight, nous avons réussi à le faire correctement. J’ai puisé mon inspiration du côté des protections pour les motards, ce genre de choses, et aussi de la technologie élaborée par l’armée pour protéger les soldats sous leurs uniformes. Nous avons eu bien plus de temps pour faire de grosses sessions, pour tout trouver, sculpter les parties, les ajouter. Il était complètement différent.

Ces costumes s’éloignent de ce qu’on peut faire sur des films “normaux”, si on peut dire. Celui-là est très technique. Il ne s’agit pas de la tenue d’une personne lambda. Et le design est en même temps très proche des comics. Vous avez travaillé avec quelqu’un de chez DC sur cette question en particulier, quelqu’un qui vous aidait à vous rapprocher de l’esprit comics ?

Non. Chris était très méticuleux à ce sujet, il voulait rester le plus proche possible de l’univers. Évidemment que tout au long du processus de création, il y avait des gens de DC, mais Nolan ne voulait vraiment pas perdre ça de vue, donc ça allait. Mais allons regarder l’autre costume, que tu vois ce dont je parlais. [Elle marche en direction de la salle où se trouve le costume de Batman version The Dark Knight, ndlr]. Tu vois ce que je veux dire, des parties collées sur une matière un peu élastique ? C’est fait pour avoir un rôle de protection et être souple en même temps. Il y a de la fibre carbone dans les panneaux. Bref, c’était un nouveau défi : garder la silhouette mais améliorer l’objet quand même.

Dans tous les cas, Christian Bale l’a adoré, j’étais heureuse. Les acteurs était ravis parce que l’air passait, ils ne suffoquaient plus [rires]. Et la dernière partie de notre travail s’est concentrée sur le cou, ce qui est, une fois encore, le plus compliqué. Pour qu’il puisse bouger, il faut que ça ne soit pas trop volumineux. Mais on a réussi, notamment avec une espèce de colonne verticale qui prenait le tout mais que personne ne pouvait voir puisqu’il y a la cape. En tout cas, si tu regardes bien, le logo est plus petit et l’ensemble fait moins costume, dans le sens traditionnel du terme.

Évidemment, le costume de Batman est important, mais on se souvient aussi beaucoup des méchants de ces films. Par exemple, là, on est à côté du costume de Bane…

[En m’interrompant, ndlr] Aaaaah. Oui. Pour moi, c’est bien plus fun. L’histoire du personnage de Bane est bien plus intéressante pour les costumes. Je savais qu’il allait passer beaucoup de temps dans une cave, je voulais qu’il ait un respirateur un peu animal, faisant un peu penser à un babouin ou une araignée. J’ai dessiné des centaines de versions du masque, parce que c’est un personnage unique notamment pour ça, et qu’on le voulait un peu différent de la version des comics.

Loin du Bane que l’on avait vu dans le Batman & Robin de Joel Schumacher…

Mais c’est un catcheur, et il est tout vert [rires] ! Il est différent, c’est le cas de le dire. J’avoue avoir oublié à quoi il ressemble précisément. Mais le principal élément de son costume réside dans le masque, vraiment. Parce qu’il a du venin dans le sang, à cause de sa blessure au dos, et il a besoin de son masque pour survivre.

Son histoire est celle d’un révolutionnaire anarchiste vivant dans les montagnes. Son costume est constitué d’éléments de matériel militaire abandonnés. La veste sous son manteau est faite avec des morceaux de véhicules, son masque avec des pièces du système d’injection d’un hélicoptère .

Comme s’il l’avait fait lui-même, en fait.

Non, pas lui, un ami doué de ses mains, mais tu as compris l’idée.

Donc, en plus du script, chaque personnage a son histoire.

Oui, à chaque fois. Parfois, je construis l’histoire moi-même, parfois avec le réalisateur, parfois non, pour donner un sens au costume. Pour les acteurs aussi, parce qu’ils n’aiment pas forcément qu’on leur dise “mets ça” et c’est tout. On leur explique tout à chaque fois.

À propos des vilains, j’aimerais que l’on parle du Joker. Parce que celui des films de Nolan est différent de ceux qu’on a pu voir avant ou après…

L’idée était de créer quelqu’un, comme tu peux le voir avec ces différents croquis, qui s’habillerait ainsi non pas parce qu’il est un clown, mais plutôt parce qu’il s’agit d’un excentrique punk moderne, un peu façon Keith Richards, loin des versions habituelles du personnage. J’ai un peu regardé ce que faisait Alexander McQueen, par exemple.

Ses cheveux sont verts parce que sa teinture a raté, et quelque part, ça a tourné au vert sans raison. Toutes ces idées étaient là, pour qu’il soit moderne, et pas un clown caricatural. En réalité, réaliser les habits n’a pas été très difficile, mais arriver à les imaginer l’a été. C’est une sorte de dandy : les chaussures en cuir font plus dandy, mais elles remontent un peu sur la pointe. C’est subtil mais on comprend le côté clownesque.

Par ailleurs, la raison pour laquelle ses sbires portent ces masques que j’aime tant, même s’ils ont été très compliqués à réaliser, c’est parce que le Joker porte du maquillage, sale, qui coule, etc.  Ses hommes veulent l’imiter, mais il faut bien marquer la distinction entre eux et lui.

On vous doit donc le maquillage emblématique du Joker.

Un peu. Le fait est qu’avant d’aller voir les maquilleurs, je ne pouvais pas visualiser les habits sans penser au visage, qui est la partie la plus importante. Logiquement, quand on dessine, on pense à l’ensemble, et donc au visage et au maquillage qui va avec. Tout ça fait partie d’un tout.

L’exposition “L’art de DC, l’aube des super-héros” est visible jusqu’au 10 septembre prochain au musée Art ludique à Paris.