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Dans Obvious Child, le rire est la meilleure défense du droit à l’avortement

Dans Obvious Child, le rire est la meilleure défense du droit à l’avortement

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Par Manon Marcillat

Publié le

Un film à voir (ou revoir) pour célébrer une avancée historique pour les droits des femmes.

Un vote pour l’Histoire : la France est devenue lundi le premier pays au monde à inscrire explicitement dans sa Constitution l’interruption volontaire de grossesse (IVG), après une approbation très large du Parlement réuni en Congrès au Château de Versailles, saluée par une longue ovation.

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Entre larmes et frissons, cette avancée historique nous a donné des envies de célébration. En attendant, c’est l’occasion de voir ou de revoir l’excellente comédie de Gillian Robespierre, Obvious Child, sortie en 2014 et pourtant précurseuse dans la représentation de l’avortement à l’écran.

Car si le thème de la grossesse non désirée est régulièrement traité au cinéma américain, qu’il soit prétexte au drame ou à la comédie, l’avortement, conséquence pourtant intrinsèque, l’est en revanche beaucoup moins – ou l’est de façon biaisée. Ainsi, sans être ouvertement antiavortement, il n’est pas rare que les fictions américaines opèrent un twist scénaristique interdisant à l’héroïne du film d’envisager sérieusement l’IVG.

Juno, Allison et les autres

Dans Juno, pourtant référence cinématographique indéniable concernant la grossesse adolescente depuis plus d’une décennie, des manifestantes pro-life parvenaient à détourner l’héroïne de l’avortement. Dans cette comédie dramatique indépendante sortie en 2007, Elliot Page incarnait une jeune fille de 16 ans tombée accidentellement enceinte et qui choisissait d’interrompre cette grossesse non désirée. Mais déstabilisée par les propos d’une militante antiavortement lui soutenant que “son fœtus a déjà des ongles”, Juno décidait finalement de garder son enfant pour le confier à un couple ne pouvant concevoir.

Côté comédie hollywoodienne, En cloque, mode d’emploi de Judd Apatow abordait également le sujet de la grossesse non désirée au lendemain d’un coup d’un soir alcoolisé, cette fois-ci chez une trentenaire. Alison, une jeune femme ambitieuse et carriériste incarnée par Katherine Heigl, tombait enceinte du glandeur Ben Stone (Seth Rogen), pour lequel elle n’éprouve aucune attirance. Malgré tous ces red flags, Alison n’envisagera pourtant jamais l’avortement sérieusement et décidera de garder l’enfant pour l’élever avec ce géniteur qu’elle ne connaît pas et n’estime guère.

Le durcissement de la loi américaine concernant le droit à l’avortement a donné lieu en 2020 à un drame salué par la critique et couronné du Grand Prix du jury à la Berlinale. Avec Never Rarely Sometimes Always, l’Américaine Eliza Hittman filmait les errances d’Autumn, une jeune adolescente de Pennsylvanie devant faire face à une grossesse non désirée dans un État à la législation très restrictive. Épaulée par sa cousine Skylar, elle partait alors sur les routes du pays, direction New York, pour avoir recours à une IVG, après s’être confrontée à des parents indifférents et au puritanisme des institutions américaines.

Mais avant lui, un long-métrage d’un tout autre genre et passé relativement inaperçu abordait frontalement le sujet de l’avortement, à mi-chemin entre la comédie et la comédie romantique. Avec justesse, humour et beaucoup d’émotions, Obvious Child dédramatisait la question de l’avortement sans pour autant le banaliser, dans un film rare et donc précieux.

Rire pour mieux défendre

En 2014, Gillian Robespierre déclinait son court-métrage Obvious Child en un long-métrage du même nom porté par l’excentrique Jenny Slate. Ancienne du Saturday Night Live, l’humoriste révélée par son rôle de Mona-Lisa dans l’excellente série Parks and Recreation y partage l’affiche avec Jake Lacy, révélé dans The Office. Le ton est ainsi donné, Obvious Child est avant tout une comédie.

Slate y incarne Donna, une comédienne de stand-up new-yorkaise qui s’inspire de sa vie mouvementée pour performer sur scène dans des sketchs à l’humour décapant. Son sujet favori : sa vie de couple qu’elle porte aux nues, plongeant au passage son compagnon dans un profond malaise. Il finira donc par la quitter, lui avouant au passage sa relation adultérine avec sa meilleure amie. Loi des séries bien-aimées du cinéma oblige, l’héroïne perdra également son emploi de libraire et tombera enceinte après une aventure d’un soir.

En quelques minutes, les bases de la classique comédie romantique sont posées. Mais le trio va habilement détourner les codes du genre pour s’attaquer à un gros morceau, l’IVG, sujet alors déjà sensible aux États-Unis. Ensemble, à grand renfort d’humour et surtout avec beaucoup d’honnêteté, ils signent la rencontre incongrue et pourtant réussie entre comédie romantique et avortement.

Si les deux sujets se rencontrent et se complètent, cette grossesse non désirée n’est ici pas un ressort dramatique. Elle n’est ni la cause d’une rupture, ni le prétexte à une relation amoureuse comme dans En cloque, mode d’emploi. La seule provocation du film serait peut-être d’avoir choisi le jour de la Saint-Valentin comme date de l’avortement de notre héroïne, rappelant qu’aucun sentiment n’interviendra dans sa décision. Si la vie de Donna est chaotique, elle est entourée de parents aimants et conseillée par des amies présentes, ayant déjà eu recours à l’avortement. Son choix est présenté comme rationnel et réfléchi et sa décision, que le film interroge mais dédramatise, n’est aucunement prise à la légère.

L’autre atout majeur d’Obvious Child est son personnage masculin. D’abord très secondaire, Max s’avérera ensuite un trésor de bienveillance, attentif et charmant mais qui jamais ne détournera l’héroïne de son choix. S’il y a des intervenants extérieurs à l’histoire de Donna – amies, amants, famille – elle lui appartient de bout en bout.

Son IVG est mise en scène de façon honnête et concrète et c’est une représentation qui mérite d’être saluée. En effet, selon une étude de 2017 relayée par Manifesto XXI qui a analysé 80 productions américaines sorties entre 2005 et 2016, dans 37,5 % des histoires où les personnages choisissent l’avortement, ce dernier se solde par des complications médicales, souvent majeures, contre 2,1 % dans la réalité.

“L’obvious child” du titre n’est donc pas l’enfant qui aurait pu naître du rapport sexuel entre Donna et Max, mais l’héroïne elle-même, une femme-enfant à la fois vulnérable et forte. Elle est parfaitement interprétée pas Jenny Slate, oiseau à la voix rocailleuse reconnaissable entre milles, qui se révèle dans un tout autre registre, parfois exaspérante mais surtout attachante. Jenny et Donna sont drôles, sur scène, à l’écran et dans la vie et l’ironie devient ainsi la meilleure défense du droit fondamental à l’avortement. Mais Obvious Child est également une comédie romantique qui n’oublie pas ce qu’elle est et qui se termine par la plus réussie des fins ouvertes.

Le film est disponible sur UniversCiné.