Nothingwood : à la rencontre de Salim Shaheen, le réalisateur afghan aux 110 films

Nothingwood : à la rencontre de Salim Shaheen, le réalisateur afghan aux 110 films

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Par Mehdi Omaïs

Publié le

Présenté à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes, le documentaire Nothingwood de Sonia Kronlund, en salles le 14 juin, braque les projecteurs sur l’étincelante superstar du cinéma afghan Salim Shaheen.

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Hollywood et Bollywood n’ont aucun secret pour vous ? Le Nollywood, en référence à la prolifique production nigériane, ne vous est pas totalement étranger ? En revanche, pas sûr que la notion de Nothingwood vous dise grand-chose. Et pour cause, cette formulation drôlement ironique a été inventée par l’acteur-réalisateur-producteur afghan Salim Shaheen. Une manière pour l’intéressé de désigner le désert cinématographique de sa patrie, l’Afghanistan, hélas bien plus connue pour sa violence et ses conflits meurtriers que pour ses créations artistiques. Nothingwood, c’est aussi le titre du formidable documentaire que lui consacre la journaliste française Sonia Kronlund, normalienne et agrégée de lettres.
Il y a une quinzaine d’années, pour des raisons inexpliquées, cette jeune femme – d’origine lorraine par sa mère et suédoise par son père — est tombée amoureuse de l’Afghanistan. Et lorsque l’écrivain Atiq Rahimi lui a appris l’existence de Salim Shaheen, la documentariste a ouvert tous ses chakras, bien décidée à pister ce personnage haut en couleur qui constitue à lui seul une bénédiction pour tout conteur.

La caméra pour seule arme

Volubile, excessif, capricieux, épicurien, agaçant, “atta-chiant”, cet Ed Wood du cinéma afghan tourne pour vivre : 110 films déjà, réalisés en 3-4 jours (en moyenne) à l’aide de trois bouts de ficelle. Un âne passe à côté de lui ? Voilà qu’il le filme “parce qu’on ne sait jamais”. Une scène de rue exploitable ? “Moteur, ça tourne !” En presque dix ans, Salim Shaheen est devenu l’ambassadeur d’une nation déchirée qu’il arpente comme un aventurier, sans cesse à la recherche d’un spot cinégénique. Et ne lui parlez surtout pas des guerres, dont les images tranchantes et insoutenables parcourent par à-coups le docu de Sonia Kronlund. Pour lui, filmer consiste justement à congédier les peurs, à construire un havre de paix mental dans lequel tous ses compatriotes sont les bienvenus. Il est comme ça, Salim. Il se nourrit de l’amour de ses fans, qu’il gave de séries Z jubilatoires, et pose dans la rue à la vue du moindre appareil photo.
Sa vitalité est émouvante, sa passion contagieuse. À l’ouvrage, l’enfant qui sommeille en lui occupe les plateaux de tournage itinérants comme s’ils étaient des cours de récréation. Il y a dans ses longs-métrages, toujours faits de bric et de broc, le sceau d’une sincérité désarmante, criante, qui ferait presque défaut à tout réalisateur. Le but n’est pas de créer le plan révolutionnaire, de raconter l’histoire parfaite. Non : Salim Shaheen veut divertir, faire rire et vibrer, par la force d’un geste continu, pur et bouleversant dans sa naïveté. Portrait génial d’un homme et d’une nation, Nothingwood, tourné intégralement à Bamiyan, devrait plaire à tous les rêveurs chevronnés, à tous ceux qui prennent le cinéma au sérieux et qui voient en ce medium une matrice existentielle. On vous le dit sans détour : si Tarantino découvre Salim Shaheen, il est fort à parier que ce dernier figurera dans l’une de ses prochaines productions. C’est même certain !