L’histoire des Désaxés, le dernier film maudit de Marilyn Monroe avant sa disparition

L’histoire des Désaxés, le dernier film maudit de Marilyn Monroe avant sa disparition

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(© MGM Studios)

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Par Manon Marcillat

Publié le

Un film sous forme de cadeau empoisonné pour la star hollywoodienne.

Il y a 57 ans, Marilyn Monroe disparaissait dans des circonstances toujours non élucidées, renforçant ainsi le mythe et le mystère autour de sa personne. Elle laissera derrière elle l’inachevé Something’s Got to Give de George Cukor et sa filmographie se clôturera donc avec Les Désaxés de John Huston sorti en 1961.

Boudé au moment de sa sortie, le film n’accédera que plus tard au statut d’œuvre aussi culte que maudite, notamment à cause de la mort de ses deux acteurs principaux survenue successivement, Marilyn Monroe donc et Clark Gable, deux immenses stars hollywoodiennes.

Un dangereux miroir grossissant

Les Désaxés, traduction française de The Misfits, « les marginaux », est adapté de la nouvelle éponyme d’Arthur Miller, troisième époux de Marilyn Monroe. 

Le film nous plonge à Reno, ville du jeu et du divorce, dans le Nevada des années 50 en compagnie de trois personnages inadaptés : Roselyn, une jeune femme paumée et fraîchement divorcée à la recherche d’anonymat qui va se lier d’amitié avec un cow-boy solitaire vieillissant qui a pour projet de capturer un troupeau de chevaux sauvages et un ex-pilote de l’armée de l’air veuf et abîmé. “Le Nevada représentait un lieu parfait pour notre perte collective“, annonçait Arthur Miller.

À travers les aventures de ce trio désaxé, Arthur Miller dépeint l’Amérique d’Eisenhower de la fin des années 50 comme une nation malade et met à mal le mythe du cow-boy triomphant à la John Wayne ou Gary Cooper alors légion à Hollywood. 

Toutes les conditions étaient a priori réunies pour que le projet soit un immense succès de cinéma : l’oscarisé John Huston, réalisateur du Faucon maltais, de Moulin rouge et de Moby Dick derrière la caméra, le dramaturge de renom Arthur Miller au scénario, trois étoiles hollywoodiennes, Clark Gable, Marilyn Monroe et Montgomery Clift en haut de l’affiche, le tout produit par la prestigieuse société de production United Artists.

Pourtant, malgré l’abandon de la couleur en vigueur à Hollywood en faveur du noir et blanc, le film coûtera plus de 3,5 millions de dollars pour seulement 4,1 millions de dollars de recettes au box-office américain et sera un échec aussi bien commercial que critique au moment de sa sortie. Le film qui aurait dû marquer l’apogée de la carrière de Marilyn Monroe y mettra en réalité un point final.

Car Arthur Miller, qui était alors son mari, avait écrit pour son épouse un rôle sur mesure, s’inspirant de sa personnalité et de ses tourments, pour offrir à celle qui souffrait de son image de sex-symbol son premier rôle de femme torturée et complexe.

Mais ce qui était à l’origine une preuve d’amour s’avérera en réalité être un dangereux miroir grossissant pour l’actrice fragile qui souffrait de dépression sévère. “J’avais écrit ce film pour qu’elle se sente bien, et, finalement, il l’a anéantie. Mais, en même temps, je suis content qu’il ait été fait, parce qu’elle rêvait d’être prise au sérieux en tant qu’actrice”, a confié Arthur Miller à Serge Toubiana, directeur des Cahiers du Cinéma et auteur de The Misfits, chronique d’un tournage par les photographes de Magnum.

Un rôle qui aurait pu être un véritable cadeau puisqu’il lui offrait également l’opportunité de donner la réplique à Clark Gable, l’idole de sa jeunesse et sorte de figure idéalisée du père pour l’adolescente placée très jeune en famille d’accueil, raconte Fernando Ganzo, rédacteur en chef de So Film, dans l’émission de France Culture Marilyn Monroe, fragments d’images.

Désaxés et désenchantés

Mais Clark Gable n’est plus le “King d’Hollywood” mais un acteur vieillissant, loin de son rôle de Rhett Butler dans Autant en emporte le vent et Marilyn Monroe, une actrice profondément triste, sous antidépresseurs.

Montgomery Clift, le troisième membre de ce trio boiteux, se relevait à peine d’un accident de voiture qui avait marqué son visage et Monroe le décrivait alors comme étant “le seul être qui soit encore plus perdu que moi”. Il tentait également de cacher son homosexualité au grand public et consommait médicaments, drogues et alcools à outrance, tout comme son réalisateur dont l’alcoolisme et l’addiction aux jeux étaient également de notoriété publique.

Filmer des acteurs dont l’histoire personnelle se superpose à celle de leurs personnages de “désaxés” était de fait une entreprise risquée et le tournage, qui ne démarrait donc pas sous les meilleurs auspices, tournera rapidement au cauchemar, un cauchemar documenté par des photographes de l’agence Magnum qui se relaieront pendant 90 jours dans la chaleur accablante du désert du Nevada.

Il fallait trois heures de voiture pour rejoindre le lieu de tournage et le thermomètre est monté jusqu’à 53 degrés, nous apprend Fabrice Drouelle dans l’épisode d’Affaires Sensibles consacré au film.

Souffrant de dépression, Marilyn Monroe a douloureusement subi ce tournage qui se faisait le miroir de ses problèmes personnels. Alors que leur couple battait de l’aile, Arthur Miller ira même jusqu’à lui faire littéralement rejouer son divorce pour sa toute première scène.

Répétant les prises à l’infini à cause de nombreux trous de mémoire, Marilyn Monroe enchaînait les retards, s’absentait régulièrement du plateau et imposera sa coach Paula Strasberg, surnommée “Baron noir”, comme intermédiaire de communication avec les autres membres de l’équipe qui ne pourront plus s’adresser directement à elle. Elle finira par se faire interner dans une clinique de Los Angeles, retardant le tournage de plus d’un mois.

Perte de temps et perte d’argent, ce tournage chaotique s’achèvera entre tensions et épuisement le 4 novembre 1960 et sonnera à la fois la fin du western et celui de l’âge d’or d’Hollywood dans le sillage de ses trois étoiles sur le déclin.

Maudits Misfits

Mais la fin du tournage de ce film maudit ne conjura pas le sort puisque douze jours plus tard, Clark Gable décédera d’une crise cardiaque, le 16 novembre 1960, avec 90 films à son actif.

Marilyn Monroe sera désignée responsable de la dégradation de son état de santé par la femme de ce dernier qui aurait déclaré lors du dernier jour de tournage : “Seigneur, je suis soulagé que ce soit fini. J’ai failli avoir une crise cardiaque à cause d’elle”. 

L’acteur âgé de 59 ans, affaibli par sa consommation de tabac et d’alcool et qui avait perdu beaucoup de poids pour son rôle de cow-boy, aurait pourtant tenu à exécuter lui-même l’intégralité de ses cascades qui nécessitaient une endurance physique qui commençait alors à lui faire défaut.

Deux mois après la fin du tournage, le couple Miller-Monroe se sépare et huit mois après le décès de Clark Gable, l’actrice sera retrouvée morte des suites d’une overdose de médicaments le 5 août 1962. Quant à Montgomery Clift, il décédera d’un infarctus en 1966, à l’âge de 46 ans.

Les Désaxés sera un véritable cadeau empoisonné pour Marilyn Monroe, pourtant régulièrement cité comme la meilleure et la plus authentique de ses performances, entre folie et naïveté. “Nous mourons tous à chaque instant, sans nous être appris ce que nous savons”, déclarera Roselyn, le double de Marilyn, dans un prophétique regret.