De Princesse Mononoké à Totoro : Hayao Miyazaki, défenseur de la nature

De Princesse Mononoké à Totoro : Hayao Miyazaki, défenseur de la nature

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Par Eléna Pougin

Publié le

Déjà dans les années 1980, le prolifique Hayao Miyazaki questionnait l'apparent conflit entre les hommes et la nature.

Pourtant réalisées des années 1990 aux années 2000 pour la vaste majorité, les œuvres d’Hayao Miyazaki, célèbre cofondateur du Studio Ghibli, connaissent un regain d’intérêt en France. Pour cause, ce précurseur évoquait depuis déjà bien longtemps certaines thématiques, aujourd’hui devenues fondamentales. Entre féminisme et pacifisme, il a en effet dressé de nombreux constats à travers ses animes, en apparence seulement esthétiques.

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Parmi ceux-ci, un portrait alarmant de la relation qu’entretiennent les hommes avec l’environnement. La lecture qu’on semblait faire par le passé à la découverte des œuvres de Miyazaki semble s’être muée en une compréhension plus urgente encore, quant aux différents problèmes environnementaux que le monde connaît. Aujourd’hui, ses films d’animation résonnent dans une ère de réchauffement climatique exacerbé, où le plastique s’impose comme l’un de ses responsables.

© Le Château dans le ciel

Nature magnifiée, suprême et préservée

Ce qui amène le spectateur à s’interroger sur le regard que Miyazaki porte sur la nature, c’est d’abord la façon particulière avec laquelle il la dépeint, dans une beauté presque surréaliste. Cette exubérance, illustration sublimée de la nature, apparaît parfois comme surfaite tant elle semble impossible en 2019.

Pour autant, Hayao Miyazaki s’attache avec beaucoup de délicatesse à inventer des lieux toujours plus surprenants et magiques, à l’image de la grotte souterraine couverte de cristaux bleutés dans Nausicäa de la vallée du vent.

La forêt paisible de Mon Voisin Totoro est elle aussi le reflet de l’envie de Miyazaki d’offrir un paysage quasiment utopique. Cette intention pourrait facilement servir de témoin, révélant ce que l’homme aurait à perdre s’il venait à valoriser l’industrialisation et le progrès technique au détriment de l’environnement. D’ailleurs, la place qu’occupe la technologie au sein de l’œuvre de Miyazaki demeure très limitée, preuve que celle-ci serait à ses yeux responsable de la destruction de ces panoramas florissants. 

Cet exercice complexe, à travers lequel le réalisateur perfectionne la nature, est permis à travers les codes de l’animation, qui donnent à Miyazaki la possibilité, par le mouvement, de rendre la nature d’autant plus vibrante. Dans tous les cas, l’environnement dépeint par Hayao Miyazaki ne porte les traces d’aucune conséquence des inventions humaines. Plus encore, il apporte souvent un retour à une forme traditionnelle de la culture japonaise, à son origine la plus stricte, avant l’apparition de toute technologie.

Le Château dans le ciel et sa splendide ville ancienne de Laputa témoignent du caractère presque mystique des paysages imaginés par l’illustre dessinateur. Pour Miyazaki, la nature est un trésor à chérir et à préserver avant toute autre chose. Il révélait ainsi dans Orikaeshi-ten : “L’intérêt ne porte pas seulement sur les relations entre les humains. Le monde dans son ensemble, autrement dit les paysages, le temps qu’il fait, la lumière, les plantes, l’eau, le vent, tout cela est magnifique et je fais tout mon possible pour que cela soit inclus dans nos films.”

© Mon Voisin Totoro

Humanité et nature, un conflit avec le respect comme seule solution 

Et si le prisme de Miyazaki est aujourd’hui envisagé comme dépassé, par le décalage de ses paysages avec beaucoup de ceux de notre époque notamment, il est avant tout le point d’orgue d’un conflit majeur, responsable de nombreux dilemmes environnementaux : l’humanité et la nature peinent à cohabiter. Comme s’il fallait faire un choix entre l’industrialisation et l’écologie, il réalise à chaque fois deux mondes bien distincts, aux frontières bien définies entre l’ancien et le moderne.

Dans Nausicäa de la vallée du vent, il va même plus loin en imaginant un monde ravagé depuis des centaines d’années par les innovations de l’homme. Symbolisée par le personnage de Nausicäa, une lutte s’organise afin que puissent réapprendre à vivre ensemble les hommes et la nature. En effet, dans la dernière parcelle de Terre encore vivable, la nature devient effroyable, puisqu’elle a développé le fukaï, spore toxique que la forêt utilise pour se protéger de la pollution causée par les humains. L’environnement est personnifié. Dès lors, Miyazaki ne laisse qu’une porte ouverte, qu’une seule solution – celle d’apprendre à vivre sur les bases d’un respect mutuel afin de résoudre le conflit. Environnement comme humanité auraient en effet bien plus à perdre à s’affronter frontalement, plutôt que d’apprendre à exister l’un auprès de l’autre.

C’est un peu la même chose avec Ponyo sur la Falaise, où Fujimoto tente de créer un élixir capable de renforcer la faune marine, afin de la protéger des déchets et pollutions humaines. Ici, la nature use de sa suprématie pour contrer les inventions des hommes. De ce fait, l’environnement élaboré par Hayao Miyazaki finit bien souvent par devenir étouffant et surpuissant par rapport aux humains. Mais c’est en montrant la possibilité d’un monde meilleur, où tous pourraient coexister, que le changement est le plus à même de s’effectuer.

Du reste, Margaret Talbot, journaliste au New Yorker, racontait que le réalisateur méprisait les technologies et les voyait comme “un effacement de la richesse culturelle”. Selon elle, il anticipait le retour à un monde sans artifice, tourné vers l’essentiel. Un monde sans capitalisme donc.

Enfin, le Château dans le ciel, de nouveau, montre les vestiges de cette civilisation disparue, où la nature a repris ses droits et s’est protégée par l’aide de robots géants, qui continuent d’exister malgré les siècles. Miyazaki ne semble pas hostile au progrès technique, mais souhaiterait simplement pointer du doigt ses risques. Il envisage un monde où pourraient se répondre nature et inventions de l’homme, et ce sans avoir besoin de lui et de ses tendances matérialistes, voire consuméristes.

© Nausicäa de la Vallée du Vent

Une primauté de l’environnement sur les hommes

Loin de lui l’envie de donner une leçon ou de faire la morale à ses spectateurs, Hayao Miyazaki souhaite avant tout laisser ceux qui regardent ses œuvres se construire leur propre opinion. À chaque fois, il s’efforce de recentrer la place de l’homme dans le paysage, et de lui dresser un tableau dans lequel il est l’égal des autres créatures du monde dans lequel celui-ci vit. Opposé à l’idée d’un homme qui dominerait la nature et la manierait selon ses besoins et envies, il propose en échange un univers plus spirituel, où espèces, végétation et êtres humains seraient à la même échelle.

Princesse Mononoké est le symbole de cela, garante de la protection de la nature et de l’engagement de son réalisateur pour l’environnement. L’essence même du film repose sur des enjeux environnementaux, où les animaux, à l’image du fameux cerf-dieu, sont radioactifs et déformés, conséquence d’un développement industriel outrancier.

Peter Schellhase, auteur de The Conservative Vision of Hayao Miyazaki, a identifié le fait que les personnages des films du Studio Ghibli “essayaient de maîtriser la nature, pour dominer politiquement d’autres cultures, ce qui engendrerait inévitablement une destruction de l’environnement et de l’humanité.”

Ainsi, l’homme devient la cause d’un profond déséquilibre entre les espèces, et amène, dans le film, à la création d’un combat majeur entre les loups et les cochons. Force est de constater qu’à chaque fois que les animaux se rebellent dans ses films, c’est avant tout à cause d’un agissement humain. Ashitaka, par exemple, fut maudit à cause d’un animal, devenu fou parce qu’il a reçu une balle de fusil dans sa chair. À partir de là, le conflit précédemment évoqué devient physique, plus que moral, et dépasse les frontières de l’entendement, dévastant l’environnement au passage.

Réalisé en 2008, Ponyo sur la Falaise, lui, n’hésite pas à montrer le regard pessimiste de Miyazaki au début des années 2000. Il y dénonce le traitement des déchets, quand le personnage principal, un poisson à visage humain, doit se frayer un chemin parmi eux pour s’échapper d’un filet de pêche. Par la même occasion, celui-ci reproche aux humains le chalutage, technique utilisée par les pêcheurs, qui traîne les animaux dans les fonds marins jusqu’au rivage, avec des dégâts directs sur les écosystèmes.

Le Voyage de Chihiro est lui aussi représentatif de la non-acceptation de Miyazaki de la domination des humains sur la nature. La pollution des rivières y est évoquée durant toute une séquence, où un esprit mal intentionné et pollué se rend aux thermes. Finalement, la petite Chihiro réalise là encore que ce dernier n’était pas responsable et ne souhaitait pas dégrader les thermes par sa saleté, mais possédait malgré lui tout un tas de déchets industriels provenant des humains, qui se déversaient dans les eaux que les Hommes utilisaient eux-mêmes pour leurs bains. Un véritable cercle vicieux.

© Ponyo sur la Falaise

Un regard idéalisé et spirituel sur les enjeux environnementaux

Imaginer un monde égalitaire, loin des industries, semble aujourd’hui très éloigné des possibilités que nous offre notre siècle. Les films du Studio Ghibli pourraient davantage être perçus comme des moyens d’échapper à la réalité de la pollution et de l’urbanisation, plutôt que comme de réels moyens de remettre en question des pratiques de société.

Parfois même, comme dans Le Château ambulant, Miyazaki pervertit son propre univers, en sous-estimant les conséquences que pourrait avoir le château dans la vraie vie, lui dont la fumée noire se répand le long des villages qu’il traverse.

Se préoccuper de l’environnement reste toutefois un leitmotiv pour le Japon, qui est souvent confronté à des catastrophes naturelles, et a dû donc apprendre depuis longtemps à minimiser son impact sur la biodiversité afin d’éviter d’autres évènements dramatiques. Ce besoin fait donc partie inhérente de leur religion, à travers le shintoïsme et le bouddhisme, les deux religions majoritaires du Japon.

Aux yeux de Miyazaki, la nature semble donc appartenir à tout un ensemble de significations magiques, parfois religieuses – à l’instar de Totoro, un esprit dont le rôle est de protéger la forêt. Véritable tradition japonaise, la préservation de l’environnement est une part entière de leurs religions et de leur mode de vie. Les habitants de l’Archipel y sont ainsi encore très attachés. Autant qu’il défend l’environnement, Miyazaki offre alors un regard religieux sur notre rapport avec la nature. En effet, les kamis, des esprits prenant une forme physique aléatoire, sont gracieusement célébrés au cours des films. 

La forêt est ainsi un lieu sacré, que les Japonais se doivent de préserver, et qu’ils ne peuvent surtout pas fouler sans autorisation. Princesse Mononoké incarne une vision de cette nature et s’impose en figure de sauveuse, déterminée à réparer les erreurs de ses ancêtres. La protection de la nature étant inscrite à travers leur religion, le spirituel qu’apporte le dessinateur à ses œuvres peut dès lors inciter lui aussi à respecter l’environnement. 

Pour les Japonais, les films du Studio Ghibli incarnent de ce fait le choc entre un Japon moderne et un Japon traditionnel, tout comme la nécessité de cohabiter de ces deux mondes. Au contraire, l’Occident tend plutôt à interpréter les œuvres du réalisateur comme des hommages et parfois des préventions, quant à l’état de l’environnement.

© Le Voyage de Chihiro

Le refus d’une société sans éthique environnementale

Hélas, tous les personnages de Hayao Miyazaki ne sont pas des défenseurs de l’environnement, à l’image de Porco Rosso, qui balance à la mer des centaines de mégots tout le long du film.

Toutefois, le réalisateur, en fidèle marginal, pose malgré tout les bases d’un monde où la modernité pourrait se délier de la nature, pour ne pas la gâcher. Peu radical, il opte pour une solution dans laquelle il suffirait de trouver un juste milieu, respectueux des nécessités de tous, ce qui semble peu cohérent au vu de l’urgence climatique.

Miyazaki tente, en réalité, de rappeler aux hommes à quel point la nature est précieuse et qu’il est de nos priorités de la respecter, et de ne pas la considérer comme acquise. Il révèle alors par l’animation, la nature qu’on aurait perdue, ou que l’on risque de perdre, si nous ne changeons pas très vite nos habitudes. Nostalgique d’un Japon qu’il a peut-être un peu trop idéalisé, il essaie tant bien que mal de rappeler la valeur que la nature a, en la chargeant de symboles et de significations spirituelles.

Son œuvre devient donc intemporelle, et d’autant plus puissante dans le contexte actuel. Elle rappelle aussi les notions du pacifisme, en ce que jamais le célèbre dessinateur n’essaie d’imposer ses idées ou n’exige de changer radicalement notre mode de vie. Peut-être tout simplement que Miyazaki refuse d’accepter la fin d’une époque non-industrialisé au Japon, une époque où la nature prévalait encore sur les hommes. Victime de ce tournant radical vers une société de consommation dans les années 1960 – le “miracle” économique japonais -, Miyazaki pourrait vouloir renier cette nouvelle société, qui semble abandonner toute éthique environnementale.

© Princesse Mononoké