On a parlé militantisme, stéréotypes et standards de beauté avec Manal Issa, la star de Mon tissu préféré

On a parlé militantisme, stéréotypes et standards de beauté avec Manal Issa, la star de Mon tissu préféré

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Par clara hernanz

Publié le

À l’occasion de la sortie du film Mon tissu préféré de Gaya Jiji, l’actrice Manal Issa évoque son personnage de femme syrienne et son combat contre les stéréotypes.

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Manal Issa n’est pas du genre à avoir sa langue dans sa poche. En témoigne son intervention lors du Festival de Cannes, en mai dernier, pour attirer l’attention des médias et du public sur le conflit israélo-palestinien. L’actrice avait profité de l’avant-première de Solo : A Star Wars Story pour brandir une grande feuille blanche, sur laquelle était écrit en rouge ce message : “Stop the Attack on Gaza !” (“Arrêtez d’attaquer Gaza !”). L’inscription faisait référence à la soixantaine de manifestants palestiniens, tués le 14 mai 2018, lors de violents affrontements avec les soldats israéliens.

À l’image de son militantisme, l’actrice franco-libanaise n’accepte pas les rôles qu’on lui propose à la légère, se posant beaucoup de questions sur le sens à donner à son interprétation. Est-elle la bonne personne pour jouer ce personnage ? Le comprend-elle ? A-t-elle quelque chose à lui apporter ? Et si Manal peut imaginer quelqu’un d’autre à sa place, elle refuse purement et simplement le rôle.

“Je n’aurais pas accepté de [le] faire, si je ne connaissais pas très bien les Syriens”, nous confie-t-elle par téléphone depuis Tunis. L’actrice s’y trouve actuellement pour participer, en tant que membre du jury, au festival de Manarat, le nouveau rendez-vous cinématographique qui tisse des liens entre les différents pays du bassin méditerranéen.

Situé à Damas, Mon tissu préféré de la réalisatrice syrienne Gaya Jiji raconte l’histoire de Nahla, une jeune femme enfermée dans un quotidien morne et dans un corps qu’elle déteste, alors que les prémisses de la révolution se font ressentir dans le pays. Manal a d’abord refusé d’auditionner pour le rôle principal, après une première lecture du scénario, il y a plus de deux ans.

À l’époque, l’actrice a même conseillé à la réalisatrice : “Il faut que tu fasses un casting sauvage et que tu trouves une fille syrienne.” Puis, Manal s’est installée au Liban, où elle s’est liée d’amitié avec beaucoup de Syriens, notamment un homme avec qui elle s’est mariée (et dont elle a divorcé depuis).

Elle s’est enfin sentie prête à jouer le rôle deux ans plus tard, alors que Gaya Jiji cherchait toujours une interprète pour son héroïne. Elle explique : “Je pouvais tout donner à cette fille qui s’appelle Nahla et la comprendre parfaitement.” Mais elle insiste : “Ça aurait été un beau cadeau pour une fille syrienne de jouer ce rôle.”

Un rôle qui s’est révélé être un challenge pour l’actrice, notamment par rapport à l’accent de Nahla. Née au Pays du Cèdre, Manal parle l’arabe libanais. “Nous avions un coach qui a beaucoup bossé avec nous les dialogues, chaque mot, chaque intonation, raconte-t-elle. Même si ça se voit quand même que nous sommes libanais !”

Au-delà de l’accent, Manal a dû opérer une métamorphose radicale pour se glisser dans la peau du personnage. Elle explique avoir voulu prendre du poids, grossir jusqu’à détester son image, au point de ne plus être capable de se regarder dans un miroir. Un défi relevé haut la main, puisqu’elle est arrivée sur le tournage avec 15 kilos en plus. “J’avais ce corps-là, dit-elle. Et à un moment du tournage, j’ai fini par l’aimer.”

Logiquement, Manal évoque ensuite les codes de beauté qui sévissent sur le tapis rouge de Cannes, qu’elle a foulé pour la première de Mon tissu préféré, dans la section Un Certain Regard. L’actrice dit aujourd’hui “mener un combat”, en refusant de se plier au jugement des autres, surtout en ce qui concerne son apparence. “Quand je suis tombée enceinte, se souvient-elle, la première remarque a été ‘Ah, ton corps a changé’.”

Selon elle, cette vision normative de la féminité affecte aussi la qualité des rôles auxquels peut prétendre une femme. Et notamment une femme arabe : “Je suis triste parfois d’avoir le rôle de l’arabe qui n’a pas baisé, partage-t-elle. Et quand tu veux traiter [le personnage] autrement, le film ne marche pas trop parce que ça ne correspond pas aux stéréotypes.”

L’actrice se considère donc chanceuse d’avoir eu l’opportunité d’interpréter des femmes complexes. Déterminée, elle déclare préférer “ne plus faire de film plutôt que d’en faire un où on ne s’intéresse qu’à mon image”. Et d’ajouter : “Même avec le visage défiguré, je continuerais à jouer.”

Son effort et sa détermination ont été récompensés. Manal Issa brille dans le rôle de Nahla, en donnant de la profondeur et du charisme à son personnage, sans tomber dans la dramatisation ou la victimisation. Pourtant, Nahla étouffe. Sa mère veut la marier à un inconnu qui l’ennuie. Ce dernier choisit finalement sa sœur, plus docile qu’elle, pour le rejoindre aux États-Unis, où il vit. Mais sans être larmoyant, le film témoigne avec conviction et originalité de cette histoire tragique.

Si des critiques ont dénoncé la légèreté de l’héroïne, absorbée par son malaise adolescent alors que la guerre semble imminente, la dénonciation du conflit syrien se perçoit néanmoins à travers la métaphore. D’après Manal, la révolte intérieure de Nahla fait écho à celle qui gronde hors de l’appartement familial :

Le conflit naissant à l’extérieur est montré à travers le personnage de Nahla. C’est ce que j’ai aimé dans le film. Il n’y a pas beaucoup de plans en extérieur. Nahla est une personne dépressive, elle ne pense pas à aller manifester pour réclamer la liberté de son peuple. Elle n’arrive pas à se regarder dans le miroir, alors elle ne va pas aller se révolter avec les autres. Elle ne crie pas dans la rue, mais en elle-même, et c’est aussi dur.

L’actrice, quant à elle, se félicite d’avoir reçu de bons retours des spectateurs syriens : À la sortie du film, certains sont venus me voir et m’ont demandé ‘Mais tu n’es pas Syrienne ?’, et ça, ça veut dire que j’ai réussi. Ça veut dire que j’ai bien travaillé et que j’ai bien utilisé les expériences vécues avec des Syriens.”

Et elle ne s’arrête pas là. L’actrice sera bientôt à l’affiche de trois films : Deux fils de Félix Moati, Une jeunesse dorée d’Eva Ionesco, et prochainement, Ulysse et Mona de Sébastien Betbeder. En parallèle à sa carrière face caméra, Manal se fait l’avocate du cinéma arabe : “J’ai très envie de faire des films en arabe, en apportant ce que j’ai appris en faisant du cinéma en France.”

Elle nous apprend qu’un scénario est en cours d’écriture, et qu’elle voudrait le tourner elle-même. Manal Issa, actrice, écrivaine et bientôt, on l’espère, réalisatrice, n’a plus grand-chose à voir avec l’étudiante angevine repérée sur Facebook par la directrice de casting d’une certaine Danielle Arbid. “Je n’étais même pas cinéphile, je regardais juste ce qu’il y avait à la télé, se souvient-elle, comme si elle parlait d’une autre vie. Aujourd’hui, c’est comme si j’avais fait ça depuis toujours.”

Mon tissu préféré de Gaya Jiji sort en salles aujourd’hui.