Métier de l’ombre : de Lucy à Valérian, Éric Gandois, le story-boarder fétiche de Besson

Métier de l’ombre : de Lucy à Valérian, Éric Gandois, le story-boarder fétiche de Besson

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Par Arthur Cios

Publié le

Éric Gandois, qui a notamment aidé Luc Besson à préparer Valérian et la Cité des mille planètes, nous explique les ressorts de son métier, crucial dans la construction d’un film.

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Luc Besson est un touche-à-tout. En plus d’écrire ses films, de les diriger, d’officier derrière la caméra, l’artiste réalise même des croquis pour orienter le travail du story-boarder. Mais sur Valérian et la Cité des mille planètes, c’est malgré tout Éric Gandois qui a tout dessiné de A à Z, aiguillant ainsi la direction artistique du projet. Dire que le travail des story-boarders est essentiel à la création d’un film est une lapalissade. Pourtant, ce métier de l’ombre reste bien mystérieux pour nombre d’entre nous, même pour les plus cinéphiles. Il n’existe pas ou presque de story-boarder superstar, connu en dehors du cercle fermé des professionnels du cinéma. Alors que le nouveau Besson est en salles depuis peu, nous avons cherché à en savoir plus sur le métier de ces hommes de l’ombre en rencontrant Éric Gandois.

2 500 dessins pour 2 h 15 de film

À cause de making-of vus ici et ailleurs, on a tendance à penser que les story-boards étaient autrefois faits à plusieurs mains, par une équipe de 5-10 personnes griffonnant, affichant aux murs esquisses et brouillons, bavardant dans une grande salle de conférence. Et qu’aujourd’hui, tout se fait par informatique. Mais c’est loin d’être toujours le cas.

Notre Français, lui, a bossé tout seul. De chez lui. C’est confortablement installé dans son appartement qu’il a pondu tous ces petits dessins qui ont guidé le processus de création du film. C’est encore lui qui explique le mieux “l’intérêt”, la nécessité de son travail :

“Normalement, le story-board est un outil que tu donnes au chef décorateur, au chef-opérateur, au cadreur… Enfin, tu discutes avec eux, et ça permet de mieux préparer des séquences, de réfléchir comment on va faire ci ou ça, si on le fait en dur ou en effet spéciaux, etc. Je crois aussi que le travail de recherche en concept art se faisait en même temps, même avant, et je sais que Besson envoyait les story-boards aux designers, pour qu’ils voient un peu…”

Éric Gandois s’est donc entretenu à de multiples reprises avec le réalisateur, qui lui a filé le script et une série de petits croquis dessinés par ses soins, histoire de se faire une idée. Des croquis pas toujours très simples à décrypter, à l’inverse de ces story-boards qui reprennent exactement tout ce que l’on verra à l’écran, ni plus ni moins. Tous les déplacements de caméra, tous les effets spéciaux, tout ce qui sera à la fin sur l’écran large est représenté ici.

Dès décembre 2014, Éric commence à rencontrer Luc pour discuter de tout ça. Refusant la numérisation de sa profession, il se la joue à l’ancienne et dessine sur papier, puis scanne le tout, fait quelques petites retouches sur logiciel avant d’envoyer le résultat au cinéaste. Un processus assez long et compliqué, comme on peut facilement l’imaginer.

“Décrypter les croquis, c’était rapide. Au début, on se voyait. Puis il me racontait ses croquis en me les montrant : ‘Là, ils sont sur une base, il avance, la caméra le suit…’ C’est le plus important, plus que le scénario. Si j’ai la narration du réalisateur, c’est parfait. J’ai ajouté une vignette de temps en temps, quand je voyais qu’il en manquait une pour la compréhension, mais bon, son travail était déjà assez précis. Ce qui était différent, en matière de style, c’est qu’à ce moment-là, je n’avais aucune idée des décors, du casting, donc il fallait que j’interprète le film en même temps que je le découpais le film, et que je fasse du design assez rapidement.”

Six mois et environ 2 500 dessins plus tard, le travail est terminé de son côté. Deux mille cinq cents dessins ! “C’est trois vignettes par pages”, précise-t-il. Cela peut aller de deux par séquence, quand il n’y a pas beaucoup d’action et de changement de plans, à entre 50 et 150 dessins, notamment sur les plans-séquences. Sachant que chaque dessin lui prend entre 5 et 15 minutes à réaliser, il s’agit d’une tâche titanesque qui constitue pour lui l’aboutissement de longues années de travail acharné.

Des Dalton à Besson

Dès son plus jeune âge, Éric voulait travailler dans le cinéma :

“Il y a deux figures qui m’ont donné envie de faire ce métier. D’un côté, Luc Besson, évidemment. Et George Lucas, Star Wars. En fait, c’est dans un making-of de Star Wars que j’ai découvert que le métier de story-boarder existait. Et quand j’ai appris que les effets spéciaux étaient faits par la boîte de George Lucas, j’ai compris que je ne pouvais pas passer à côté.”

Le jeune homme passe donc un bac arts appliqués et se dirige vers le design dans le but d’associer sa passion du dessin avec celle du septième art. C’est ainsi qu’il se retrouve à l’école des Gobelins, à Paris, avant de se spécialiser dans ce domaine précis et d’intégrer une agence de pub spécialisée dans les affiches de cinéma. Alors qu’il planche sur des story-boards de publicités, et quelques courts-métrages pour des amis, il en vient un peu par hasard à bosser sur son premier film, Les Dalton avec Éric et Ramzy.

“Je me rappelle, un jour, il y a un directeur artistique qui a donné mon nom à un réalisateur, que j’ai rencontré. On a discuté, je lui ai montré mon travail et il m’a dit : ‘Dès que le projet démarre, je ferai appel à toi.’ Il m’a appelé deux ans après [rires]. Il y a une échelle du temps qui est complètement différente dans le cinéma. Mais voilà, ce n’est pas moi qui cherchais spécialement, c’est venu à moi.”

Loin de Valérian, ce premier projet est malgré tout une grosse comédie française. Éric rejoint une équipe de plusieurs story-boarders qui se répartissent les séquences. Le travail se déroule sans accroc, et sa carrière peut démarrer. Depuis, il ne s’est jamais arrêté. Il fait bien des pubs ici et là entre deux projets (“l’avantage, c’est que ça ne me prend qu’un jour ou deux”).

Son premier vrai blockbuster n’est autre que Lucy, le dernier film de Luc Besson. Après cette collaboration, le mastodonte du cinéma français a décidé de rappeler l’artiste pour Valérian. S’il n’a pas dessiné l’intégralité des story-boards, il a tout de même réalisé les grosses séquences de voiture, surtout la fin.

“Quand tu as Besson qui t’explique le plan-séquence de 5 minutes à la fin de Lucy, et que tu dois prendre des notes, chaque dessin est vraiment un défi. Tu vas devoir le rendre clair pour l’équipe. C’était compliqué de créer en dessin une continuité constante avec des choses qui sont très dures à imaginer.”

Si pour lui chaque film est un défi, certains sont plus complexes que d’autres. Depuis Les Dalton, Éric a bossé sur une grosse trentaine de productions. Et il n’a pas fini de bosser avec l’écurie Besson, puisque son prochain film n’est autre que Taxi 5. Autant dire que l’artiste a de quoi s’amuser — et ce n’est encore que le début.