Court métrage pris pour cible par la Manif pour Tous : la réponse du réalisateur

Court métrage pris pour cible par la Manif pour Tous : la réponse du réalisateur

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Par Constance Bloch

Publié le

Après Céline Sciamma et son film Tomboy, les “anti-djender” ont trouvé une nouvelle cible avec le court métrage Ce n’est pas un film de cow-boys de Benjamin Parent. Nous l’avons contacté.
Alors que La Manif pour Tous continue d’investir les rues pour montrer son opposition à la loi autorisant le mariage de personnes du même sexe, voilà qu’elle tente de s’immiscer de plus en plus dans la vie culturelle. En effet, le collectif fait de nouveau parler de lui alors qu’il tente de faire censurer un film qui doit être diffusé dans le cadre d’un Festival du film d’éducation à des lycéens du Pays de la Loire.
Intitulé Ce n’est pas un film de cow-boys, le court métrage de Benjamin Parent, présenté à Cannes en 2012, met en scène quatre adolescents qui se retrouvent à parler dans les toilettes de leur collège pendant la pause. Le sujet de leur discussion ? Le film diffusé la veille à la télévision : Le Secret de Brokeback Mountain, qui parle de la romance dissimulée entre deux hommes. Une histoire qui ne les a pas laissés indifférents et sur laquelle ils ont besoin d’échanger.

Le court métrage qui prône avant tout la tolérance avec une justesse désarmante, a reçu une trentaine de prix, dont un lors de son passage au festival du film gay et lesbien de Saint-Étienne. Ce prix couplé au sujet évoqué pendant les 11 minutes du film – l’homosexualité – ont suffi à faire bondir les anti-mariage gay, qui se sont empressés d’adresser une lettre aux chefs d’établissements privés catholiques de la région pour demander la déprogrammation.
Voici la lettre qu’a reçue Benjamin Parent, relayée par Slate :

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“Ces gens-là, la vérité ne les intéresse pas”

Une requête absolument délirante qui n’a pas abouti, comme nous l’explique Benjamin Parent, contacté par Konbini :

Sylvie Clabecq, la Responsable Culture du Ceméa Pays de la Loire a contacté ma productrice et elle m’a expliqué la situation. Mais elle m’a tout de suite dit que les projections seraient maintenues. Quand j’ai su ça, j’étais partagé.
Car une fois que j’étais rassuré sur le fait qu’en terme de démarche pédagogique il n’y aurait pas de problème et que le film serait bien diffusé, j’étais presque amusé. Je me disais “ça y est ils se réveillent, tu vas avoir affaire à eux”.

Car le réalisateur savait que cette situation pouvait arriver, son film étant utilisé dans un registre pédagogique dans les écoles depuis un petit moment :

Je savais que cette possibilité existait car depuis deux ans la Manif pour Tous fait tout pour faire chier tout le monde. Limite si je ne me disais pas : “ah, merde, ils ne m’ont pas repéré“. Y’avait un truc un peu drôle parce que pour moi ils n’ont pas de réel pouvoir, ils ne peuvent pas empêcher les choses. Quand j’ai lu le courrier qu’ils avaient envoyé, ce qui était flagrant, c’est qu’ils n’avaient pas vu le court métrage. Ils savaient que ce film avait gagné des prix LGBT donc dans leur tête, c’était directement catalogué “film gay”.
De toute façon ils ne sont que dans le fantasme. Ces gens-là, la vérité ne les intéresse pas. On s’est dit avec mon producteur qu’on allait le mettre en ligne parce que clairement, la Manif pour Tous n’a pas vu le film et donc c’était une façon de dire “eh bien regardez-le !” Si vraiment ça les choque, je serais ravi d’en parler avec eux.

Un film qui s’intéresse au genre

Il s’agit bien l’un des – nombreux – problèmes de la Manif pour Tous : isoler une information pour mieux la détourner. Car si le film de Benjamin Parent a effectivement décroché un prix LGBT, il a aussi gagné plusieurs autres prix jeunesse, attribués par des adolescent qui se sont reconnus et qui ont aimé le court métrage.

Il y a toujours eu un accueil très positif. Ce film, pour moi, c’est quand même un passeport incroyable : il fait quasiment l’unanimité. Donc c’est aussi pour ça qu’il est projeté, il plait en tant que film mais ce que ça raconte est intéressant, car notamment quand tu es au collège, le rapport à l’homosexualité n’est pas  évident. Il y a beaucoup de discrimination, les ados ne sont pas tendres.

Les gardiens de la morale

Ce n’est pas la première fois que la Manif pour Tous – ou des proches – veut faire dicter ses lois et s’immiscer dans la vie culturelle pour tenter de “défendre” nos chers enfants. Un cas similaire s’était produit en début d’année avec Tomboy, le deuxième film de la réalisatrice Céline Sciamma.
L’association Catholique intégriste Civitas – exclue du mouvement de la Manif pour Tous depuis janvier 2013 – avait tenté de faire déprogrammer le long métrage sur Arte, appellant “les familles françaises à réagir et à empêcher la diffusion de ce film de propagande pour l’idéologie du genre“.
Leur requête n’avait bien évidemment pas abouti, et avait surtout contribué à faire une publicité inespérée au film, car Arte avait ce soir-là totalisé 1,25 million de téléspectateurs. Il y a peu, c’est l’exposition Zizi sexuel installée à la Cité des Sciences – visant à expliquer la sexualité et l’amour aux 9-14 ans -qui a choqué l’association SOS Éducation, donnant même lieu à une pétition pour l’interdire.
Cet été, c’est le programme pédagogique ABCD Egalité (pour déconstruire les stéréotypes filles-garçon) qui a été abandonné. Pour Benjamin Parent, “le fait que la Manif pour Tous s’immisce dans la vie culturelle est un vrai problème“.
Il explique :

Je trouve positif que des associations s’intéressent à la vie culturelle, aux films que voient les enfants, etc. c’est bien de s’en occuper. Mais il faut le faire d’une manière rationnelle. Et le problème c’est que la vérité, les faits, ça ne les intéresse pas. La seule chose qui les intéresse, c’est de continuer à penser que sous un gouvernement de gauche il se passe des choses horribles. Alors que le principe de l’ABCD de l’égalité avait été pensé sous Sarkozy, et là on n’avait rien entendu.
Puisque ça vient d’un gouvernement de gauche, tout à coup c’est le diable. Il y a un moment où il faut être intellectuellement honnête, et ce n’est pas leur cas. Je ne sais pas à quel point c’est dangereux mais c’est inquiétant. Où va ce pays, en fait ? On a l’impression d’être au Moyen-Âge.

La Manif pour Tous ou Civitas, sans le vouloir, se retrouvent à faire la promotion de films ou de contenus culturels qu’ils contestent. Comme le dit si bien Slate dans un article sur le sujet, “la Manif pour tous, meilleur attaché de presse du cinéma français”.