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Licorice Pizza : le retour en enfance (californienne) de Paul Thomas Anderson

Licorice Pizza : le retour en enfance (californienne) de Paul Thomas Anderson

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Par Louis Lepron

Publié le

Après There Will Be Blood ou Phantom Thread, rencontre avec un réalisateur pas comme les autres.

Interviewer Paul Thomas Anderson, c’est s’attendre à tout comme à rien, à l’instar de ses films, qui ont tout à la fois évoqué des histoires d’amour tordantes ou tordues (Punch-Drunk Love, Phantom Thread), une certaine histoire loufoque ou glauque de l’Amérique (The Master, Inherent Vice), qu’on soit sur le versant porno d’Hollywood (Boogie Nights) ou les terres arides du Nouveau-Mexique (There Will Be Blood).

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L’idée était simple alors que le soleil se levait du côté de Los Angeles : revenir, via Zoom, en vidéo, sur les souvenirs de tournages du cinéaste. Les premières secondes de l’entretien empêchent de faire des images : il faudra rester à l’écrit, Paul Thomas Anderson trouvant ridicule de se regarder à travers une webcam, soulignant cette absurdité, son visage plongé dans ses mains.

J’accepte et embraye vers une interview écrite un peu improvisée, peut-être plus à même d’être à la hauteur des réponses du réalisateur californien. La tête sort des mains, émerge sur l’écran de mon ordinateur, et je commence par lui parler de son nouveau (et sublime) film, Licorice Pizza, l’histoire d’une relation entre Gary (Cooper Hoffman), un brillant collégien de 15 ans, et Alana (Alana Haim), une assistante venue dans son école pour aider à faire des photos de classe.

Deux ans après Once Upon a Time… in Hollywood, nous revoilà à L.A. dans les années 1970, 35 mm et vieux objectifs à l’écran, BO de “l’époque”, de Nina Simone aux Doors. Et s’il avait un mot pour définir ce tournage, il choisirait lequel ?

“Je dirais ‘joyeux’, ce qui est embarrassant, mais tu sais, c’est dur de trouver le mot pour décrire à quel point on s’est amusé à faire ‘Licorice Pizza’. D’ailleurs, c’est quelque chose que tu ne dois vraiment jamais, au grand jamais, dire que tu t’amuses autant sur un tournage. Est-ce que tu connais le film ‘Broadcast News’ (1987) ? Dedans, il y a un dialogue sympa ou un personnage dit : ‘Qu’est-ce que tu fais quand tous tes rêves deviennent réalité ?’ Et l’autre lui répond : ‘Tu les gardes pour toi.'”

Pour ce récit, le plus personnel de son auteur, Paul Thomas Anderson a choisi deux acteurs qui font partie de sa vie. Le premier est Cooper Hoffman, fils de l’immense Philip Seymour Hoffman, disparu en 2014 et partenaire de PTA dans cinq de ses films. La deuxième est Alana Haim, du groupe Haim pour lequel il a réalisé plusieurs clips (dont le génial “Summer Girl”) et dont la mère était sa professeur d’art plastique lorsqu’il était plus jeune.

Avec Cooper, la décision prise, PTA fait office de parent sur le plateau :“Je devais faire gaffe à ce qu’il dorme bien, à ce qu’il mange bien. J’étais le réalisateur qui devait faire attention à ce que son acteur principal ait bien quelque chose dans le ventre tellement il était nerveux. Et ce n’est pas une blague.” Pour Alana, sur le tournage, le cinéaste voit en elle une actrice tournée vers l’intuition, “impressionnante”, qu’il compare à un “feu d’artifice” de propositions quotidiennes pendant le tournage.

Les deux sont introduits dans une séquence électrisante au début du long-métrage. Dans la queue pour faire sa photo de classe, Gary remarque Alana, et l’aborde. À travers un plan-séquence de plusieurs minutes, le début d’une relation se matérialise sous nos yeux, alors que l’identité respective des deux personnages prend forme dans un rythme effréné, qui sera tenu jusqu’à la conclusion du film.

Et ce n’était pas la scène la plus facile pour le cinéaste :

“On n’a pas tourné cette séquence le tout premier jour. Avant de commencer à tourner quoi que ce soit, on est allés dans un collège situé juste en bas de ma maison, et on a fait des tests caméras, avec les costumes, pendant toute une journée avec les acteurs. Quand on est revenus tourner la scène qui se déroule au collège, soit trois à quatre semaines plus tard, le premier jour a été un vrai désastre. Comme les acteurs, j’étais terriblement nerveux parce que je savais pertinemment que c’était le tout début du film. C’était une journée qui a mal commencé et s’est améliorée d’un coup d’un seul après le déjeuner : la lumière a changé, et on a pu relâcher la pression.”

Aux côtés de ce duo en haut de l’affiche, Paul Thomas Anderson a l’habitude de s’entourer de pointures, de Tom Cruise et Julianne Moore (Magnolia) à Daniel Day-Lewis (There Will Be Blood) ou Joaquin Phoenix (Inherent Vice, The Master).

Avec Licorice Pizza, le cinéaste a appelé trois acteurs de renom étant connus, aussi, pour leur travail en tant que réalisateurs : Ben Safdie (Uncut Gems), Sean Penn (Into the Wild) et Bradley Cooper (A Star Is Born). L’occasion pour le réalisateur de souligner son rapport avec les comédiens, un rapport tourné vers l’efficacité et des acteurs qui ne sont pas là pour perdre leur temps, à l’instar d’un Bradley Cooper qui n’aimait pas faire trop de prises pendant le tournage.

À ce propos, Paul Thomas Anderson est, depuis Phantom Thread, crédité à la direction de la photographie. Si Robert Elswit a été son collaborateur la majeure partie de sa carrière, PTA est désormais à la barre, aidé de Michael Bauman pour Licorice Pizza. À la question de savoir pourquoi il a voulu se concentrer sur cette partie du travail cinématographique, le cinéaste m’explique qu’il avait décidé de supprimer “certaines voix qui, d’une certaine manière, ne [lui] étaient plus utiles”.

À ce moment-là de l’entretien, je l’ai interrogé sur la manière d’organiser ses tournages et, parfois, de laisser l’improvisation se faire, notamment depuis Punch-Drunk Love (2001), mais en différenciant les films réalisés en grande partie en studio de ceux confectionnés dans la “nature” :

“Pour ‘Punch Drunk Love’, nous étions dans un grand entrepôt pour de nombreuses scènes. On pouvait ainsi expérimenter et essayer deux ou trois façons différentes de faire, ou de les réimaginer quelques jours plus tard. Et j’ai trouvé cette manière de faire géniale, avec de nouvelles possibilités que je n’avais pas imaginées. C’était pareil pour ‘There Will Be Blood’ parce qu’on avait notre ranch pour le tournage. On peut travailler de cette manière si on est dans un studio par exemple, plutôt que des lieux qu’on peut ‘perdre’. Par conséquent, je l’ai moins fait pour ‘Licorice Pizza’, parce qu’on a tellement bougé. C’était vraiment très rare qu’on puisse revenir en arrière et essayer à nouveau des choses au même endroit.”

À la question de savoir s’il serait un jour partant pour un film de super-héros en studio, sa réponse a été plutôt claire : “Je préfère les regarder plutôt que d’en faire.” Et s’il se souvient de There Will Be Blood comme d’un film qui l’a envoyé sur une autre planète, Paul Thomas Anderson aime particulièrement le tournage dans le processus de création d’un nouveau film :

“Cette idée d’aller en sens inverse des gens quand tu vas tourner de plus en plus tardivement le soir, tu vas de plus en plus profond dans la nuit, et tu es tellement en dehors du rythme ordinaire, et tu sens que tu as accès à ce petit monde secret et magique qui n’a rien à voir avec le monde réel. C’est comme avoir de grandes vacances et tu reviens ensuite chez toi après le tournage. Et ensuite, ça te manque.”