“J’ai senti que ça me correspondait” : Kévin Azaïs se dépasse dans Compte tes blessures

“J’ai senti que ça me correspondait” : Kévin Azaïs se dépasse dans Compte tes blessures

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( © Kazak Productions )

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Par Lucille Bion

Publié le

Juste avant la sortie de Compte tes blessures, on a pu rencontrer Kévin Azaïs et lui poser quelques questions sur son rôle, incroyable et intense. 

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Kévin Azaïs avait décroché le César du meilleur espoir masculin en 2015 pour Les Combattants. Depuis, il s’est frayé un chemin dans la petite famille du cinéma français. Il a gravi les échelons en donnant la réplique à d’excellents comédiens dont, notamment, Isabelle Huppert, qui vient de recevoir un Golden Globe pour son rôle de femme violée dans Elle (et qui semble être bien partie pour les Oscars).

Kévin Azaïs, prodige délicat et sensible, a démarré sa carrière à l’écran en 2008 avec La Journée de la jupe. Cette année, il tient le premier rôle dans Compte tes blessures, le premier long-métrage de Morgan Simon, un jeune réalisateur français prometteur qui a su faire sortir l’acteur de sa zone de confort en lui faisant camper un chanteur de post-hardcore entièrement tatoué. Si, cette fois, il place Kévin Azaïs au beau milieu d’un triangle amoureux, il y a un an, Morgan Simon lui faisait Réveiller les morts dans un court-métrage.

Leur nouvelle collaboration est une belle réussite, pop et pleine de fraîcheur, dans l’esprit des films de Xavier Dolan. Konbini a pu échanger quelques mots avec l’acteur sur sa performance et sa transformation physique. On a même récolté quelques infos sur Isabelle Huppert, qu’il admire beaucoup et qui l’a tiré vers le haut.

 Konbini| Ce n’est pas la première fois que tu tournes avec Morgan Simon, tu peux nous parler de lui ?

Kévin Azaïs | Morgan est un réalisateur avec ses idées, ses objectifs. Il sait ce qu’il veut et, en même temps, il aime bien voir s’il existe d’autres solutions. Il aime bien perdre la tête, en fait, se compliquer les choses. Il aussi très attentionné et prend toujours en compte ce qu’on lui dit, même si sur le moment on croit que ça passe par une oreille et ça ressort par l’autre. 

Il t’a apporté quoi personnellement ?

Il m’a apporté le post-hardcore, ou plutôt il m’a emmené vers le post-hardcore. Je ne connaissais pas cet univers. Quand on te parle de ce genre de musique, tu penses au metal, alors qu’en fait c’est une musique à part entière et ça n’a rien à voir avec le metal, le rock’n’roll ou le rock, même si tous ceux qui écoutent du post-hardcore aiment justement le métal, etc. Ça a été pour moi un vrai exutoire : j’ai pu me lâcher à des moments où je ne m’y attendais pas. Ça m’a permis d’évacuer plein de choses.

J’ai cru comprendre que tu étais dans le rap, ça a dû te changer…

Je fais des instrus et j’écoute beaucoup de rap, oui.  Au niveau de la technicité, du flow, du rythme, il y a des choses assez proches de la trap dans le post-hardcore. C’est vif, au niveau de l’interprétation notamment, car après il suffit de gueuler. D’ailleurs la MZ a récemment fait un son où tu les entends screamer, et ça vient de cet univers-là. 

Quand tu as accepté le rôle, est-ce que c’était une manière de repousser tes limites ?

Exactement. Morgan Simon ne voulait pas que ce soit un play-back donc il a placé sa confiance en moi. Et quand j’ai appris ça, j’ai compris que c’était un gros défi. Il m’a aussi appris à faire des choses que je ne pensais pas pouvoir faire : certaines scènes étaient très dures à jouer mais il a réussi à me faire comprendre qu’il fallait arriver à prendre ses distances avec le scénario, et comprendre que ce n’est pas la réalité.

Est-ce que tu peux nous parler de ta transformation physique ? Commençons par les tatouages…

On me les refaisait tous les jours, c’était compliqué. On a travaillé avec Emma Franco, une super maquilleuse qui a beaucoup bossé, parce qu’elle était souvent toute seule. Nous étions logés au même endroit, et on était tout seuls. Ça nous permettait de nous retrouver dès le matin pour ne pas perdre de temps. J’ai fini par trouver une technique pour éviter de tout refaire : comme Morgan aime bien essayer plein de choses à la fois, il y a certains jours où nous ne pouvions même pas prévoir quelle scène nous allions tourner. Donc, nous faisions en sorte de retoucher seulement les tatouages qui allaient être filmés.

C’était compliqué, car il fallait aussi se mettre des repères, pour que les tatouages soient toujours au même endroit. Il y avait donc plein de petits détails à régler entre nous, pour que ce soit le plus réaliste possible.  Nous n’avions plus une seule seconde pour nous. Certains soirs, quand nous faisions des pots, nous étions au milieu des autres en pleine retouche make-up.

Et par rapport au chant ?

C’était beaucoup d’entraînement, mais objectivement, j’ai eu un rythme assez léger. J’avais des cours une fois par semaine, pendant deux ou trois semaines. J’ai eu trois ou quatre coachings au final. En fait, tout le monde est capable de le faire, du moment que tu connais la technique. Après, tu dois trouver ta voix et réussir à garder cette tonalité. Toute la partie technique s’est faite en studio, où l’on a pu enregistrer petits bouts par petits bouts. Il y a des moments, j’enchaînais les phrases et ce n’était pas bon, parce que ma voix avait “saturé”. 

Et forcément, plus je répétais, mieux ça marchait. Avant le tournage, on faisait des répétitions, mais on me conseillait de limiter l’exercice pour que je ne me casse pas la voix. Sauf qu’on ne peux pas atteindre ses objectifs si on ne donne pas tout. C’est hyper-physique et il faut apprendre à gérer son souffle. Donc, c’était un risque à prendre et je crois que certains plans dans le film sont carrément des enregistrements des répétitions.

Justement, quand tu tournais ces scènes de concert, face à un public, qu’est-ce que tu ressentais ?

Je kiffais. Tu te lâches complètement. Le pire, c’est que les gens ne jouaient pas, ils ne faisaient pas semblant d’aimer. Pour la scène de concert avec Julia, tout a été enregistré en live. Et c’est la plus puissante du film : je me contracte à fond, je suis en sueur. C’est comme si j’avais fait deux heures de séances de sport, alors que j’avais chanté trois chansons. 

En off, juste à la fin du tournage de ces scènes, les gens venaient me voir pour me féliciter et me demander si j’avais déjà fait ce genre de choses auparavant. Ça te donne encore plus confiance, et l’envie de donner et te dépasser. Je m’entraînais même encore dans ma cuisine quand j’ai reçu les sons après le tournage.

J’ai l’impression que tu as beaucoup progressé. C’est grâce à des rencontres que tu as faites dernièrement ?

J’ai tourné avec Isabelle Huppert dans Souvenir. Elle m’a beaucoup aidé à me préserver, à ne pas trop donner tout de suite. J’ai l’impression d’avoir mûri. Maintenant, je ne “fatigue” plus mon jeu. Je ne veux pas être dans un mécanisme. J’ai horreur de sortir mon texte au mot près. Je sais qu’il y a des réalisateurs qui adorent être maîtres de leur écriture et je le respecte, mais quand des cinéastes me laissent m’échapper un peu du scénario, j’en profite.

J’ai beaucoup observé Isabelle Huppert jouer. Elle pense beaucoup à son image et, du coup, elle est capable de te dire quand la caméra est dans son dos, si elle est bien positionnée, si cet angle va l’écraser, etc. Elle m’a bluffé.

Tu aurais une anecdote sur elle ?

À un moment, elle était face à moi. On faisait un plan en champ/contre-champ et elle, elle ne voyait donc pas la caméra dans son dos. Je commence à réciter mon texte et elle me fait un signe de tête pour que je me décale. Donc je me décale. Et là, je vois le cadreur me féliciter d’un signe de tête, alors qu’il n’avait pas vu que c’était elle qui m’avait demandé de me décaler.

Elle m’a presque autant appris qu’un réalisateur. Je suis très observateur, du genre à poser des questions à tout le monde, de la régie à la prod’. J’essaye d’apprendre de tout le monde, mais j’apprends souvent plus des comédiens avec qui je travaille, parce que je suis souvent en contact avec eux.

Avec Isabelle Huppert, j’ai également beaucoup appris sur la confiance en soi, envers le réalisateur. J’ai toujours refusé de faire des scènes de nu. Même si Scorsese me le demandait, je refuserais. Grâce à elle, j’ai pu m’ouvrir un peu plus. Elle m’a expliqué que nous n’étions pas des objets pour le réalisateur. Ça m’a beaucoup aidé. Mais ce rôle était important pour moi, c’est très différent de ce que l’on me proposait et j’ai senti qu’il fallait que je m’investisse plus que d’habitude. 

Qu’est-ce qui t’as poussé à accepter ce rôle ?

Le défi. De devoir tout interpréter. De me lancer dans le post-hardcore. L’histoire de la relation entre le père et le fils. J’ai senti tout de suite que ça me correspondait, que j’étais bien placé pour incarner mon personnage et faire ressentir certaines émotions. Quand j’ai vu que le réalisateur était emballé, ça m’a conforté dans ce choix. C’était une belle occasion. L’histoire m’a plu, et je me suis senti à l’aise.

Tu penses que pour continuer la musique, l’expérience que tu as acquise dans le film va t’aider ?

Je ne suis pas timide, mais j’ai besoin d’être à l’aise pour m’ouvrir. Et pour moi, la musique est le moyen le plus simple pour s’exprimer. Tu n’as même pas besoin de parler. Les chansons, tu les écoutes et ça te raconte plein d’histoires. Parfois, si tu as un minimum d’imagination et de jugeote, tu peux comprendre plein de choses.

Compte tes blessures, de Morgan Simon avec Kévin Azaïs et Monia Chokri, sort en salles le 25 janvier.