Élections US : autopsie de l’Amérique contemporaine en 5 films

Élections US : autopsie de l’Amérique contemporaine en 5 films

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(© Amazon Prime Video)

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Par Manon Marcillat

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Biopics, romances, documentaires et comédies : ils en disent long sur l'Amérique actuelle.

Aujourd’hui se termine aux États-Unis une campagne présidentielle hors normes, dans un pays plus que jamais divisé et frappé de plein fouet par la pandémie de Covid-19. Alors que rien n’est encore joué, Konbini vous propose cinq films qui autopsient l’Amérique contemporaine par le spectre de la politique.

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Le cinéma américain a largement et depuis longtemps investi le champ politique, parfois avec son sujet, frontalement politique, parfois simplement avec son sous-texte ou sa vision de l’Amérique. Biopics, romances, documentaires et comédies, on a sélectionné cinq films qui dissèquent l’Amérique actuelle en cette période d’élection historique.

Les violences policières avec Queen and Slim

Les violences policières envers la communauté afro-américaine ont toujours inspiré le cinéma et la littérature. Entre The Hate U Give, Si Beale Street pouvait parler, ou encore, si l’on remonte un peu plus dans le temps, Do the Right Thing, ces fictions reflètent avant tout une triste réalité. Dans un genre beaucoup plus “clippesque” que ces films engagés, la cinéaste Melina Matsoukas, connue pour ses collaborations avec Rihanna et Beyoncé, a dénoncé à travers Queen and Slim le racisme enraciné aux États-Unis.

À l’aube des élections présidentielles américaines, si Joe Biden reconnaît qu’il existe un problème de racisme systémique au sein des forces de police américaines et souhaite lutter contre les disparités raciales, Donald Trump, au pouvoir, aura récolté la colère de son pays lors de la mort violente et très médiatisée de George Floyd le 25 mai dernier. Une douche froide après l’espoir suscité par la présidence de Barack Obama et le mouvement Black Lives Matter.

Avec Queen and Slim, sorte de road-movie survivaliste, Melina Matsoukas imagine le récit d’une cavale avec Daniel Kaluuya, qui incarne un héros sans ambition, et Jodie Turner-Smith, une brillante avocate intègre. Le duo se rencontre lors d’un date à mourir d’ennui, à la fin duquel ils décident de ne plus jamais se revoir.

Mais sur le chemin du retour, les deux Afro-Américains se font contrôler par un policier agressif pour une infraction mineure au code de la route. La situation dégénère et ils abattent le policier par légitime défense, avant de s’enfuir, persuadés qu’ils n’ont aucune chance en tant que Noirs face à la justice de l’Ohio. Recherchés, ils vont de squat en squat avec le strict minimum, rencontrant autant d’alliés que de traîtres. Cette tragique épopée rappelle tout ce qui révolte outre-Atlantique, du délit de faciès aux inégalités subies par les Afro-Américains.

Le pire de l’Amérique de Trump avec Borat

Et si le film le plus juste sur l’Amérique de Trump était une comédie graveleuse sur un journaliste kazakh ? Le premier Borat, mais surtout sa suite, qui vient tout juste de sortir sur Amazon Prime, pointent sévèrement du doigt la xénophobie, le racisme et la misogynie des États-Unis. Mais là où le premier nous révélait ces dessous crasseux, le deuxième aborde le problème différemment.

Ces violences verbales, choquantes en 2006, sont devenues monnaie courante avec les réseaux sociaux, la montée de l’extrémisme et l’arrivée au pouvoir de certaines personnalités comme Trump, qui normalisent le discours anti-immigration, pour ne citer que cela. Plus que de les souligner, la suite des aventures de Sacha Baron Cohen montre à quel point ces discours sont profondément ancrés dans la société américaine.

Ainsi, sous couvert de blagues crades, l’acteur britannique nous parle des fake news, de la méfiance des citoyens face aux informations qui les dérangent, de la crise sanitaire, du gouvernement américain qui n’a que faire des scandales sexuels, tout en glissant des références à Jeffrey Epstein, et plus encore. Une satire, sans nul doute, mais qui dévoile mieux que quiconque ce à quoi ressemblent les États-Unis de 2020.

La corruption de la classe politique avec Vice

Quand on pense vie politique américaine au cinéma, c’est Vice qui nous vient naturellement à l’esprit. Formellement réussi et frontalement politique de par son propos, mais surtout par l’autopsie du fonctionnement du système politique américain qu’il propose, Vice constitue la seconde incursion d’Adam McKay dans la fiction politique – et a été nommé huit fois aux Oscars.

Trois ans auparavant, le réalisateur avait déjà opéré un virage à 180 degrés avec The Big Short, sur fond de capitalisme financier, pour s’éloigner de la comédie américaine alors qu’il était pourtant au sommet du genre. Un peu comme si la situation de l’Amérique contemporaine l’empêchait de poursuivre dans la comédie régressive. Adam McKay envisage d’ailleurs The Big Short et Vice comme les deux premiers volets d’un triptyque, dont le troisième tableau traitera du réchauffement climatique, a confié le réalisateur à Télérama, confirmant le virage politique qu’il est en train d’amorcer.

Car bien que Vice s’ancre dans l’ère Bush en nous racontant les coulisses du braquage de la Maison-Blanche par le terne et dangereux Dick Cheney, principal instigateur de la guerre en Irak et vice-président omnipotent des heures les plus sombres du pays, c’est la corruption de la classe politique américaine qu’il met à jour. Et les conséquences de sa vision du pouvoir dans l’Amérique de Trump sont bien réelles et toujours actuelles.

Ce biopic satirique et enlevé, qui convoque divers ressorts narratifs, ruptures, voix off, flash-back et flash-forward en kaléidoscope, nous plonge avec rythme au cœur de la conquête du pouvoir par cet odieux personnage, sans pour autant oublier de nous divertir. Comme si Adam McKay regardait son passé de réalisateur de comédies dans le rétroviseur.

La liberté d’expression avec Pentagon Papers

Pendant quatre ans, les médias ont été la cible privilégiée du président américain Trump, qui n’a cessé d’attaquer la presse comme rarement cela avait été fait depuis Richard Nixon, le président qui avait tenté d’étouffer l’affaire des Pentagon Papers en interdisant la publication de ces documents classés “ultrasecrets”. Quarante volumes de 7 000 pages et 2 millions et demi de mots qui remettaient en cause la version officielle de l’engagement des États-Unis au Vietnam et accusaient le pouvoir de connaître l’issue cette guerre sanglante tout en continuant d’envoyer de jeunes Américains au front.

Si, dans sa version originale, Pentagon Papers s’intitule The Post, en référence au Washington Post, à son audacieuse patronne, incarnée par Meryl Streep, et à son rédacteur en chef déterminé, interprété par Tom Hanks qui, ensemble, ont repris l’affaire, c’est le New York Times qui avait initialement publié l’enquête des Pentagon Papers. Il a ensuite été interdit de publication par le gouvernement Nixon mais récompensé d’un prix Pulitzer en 1972.

La charge anti-Trump de ce film, sorti en 2017, qui défend la presse indépendante et met au centre du récit une femme puissante, deux symboles que le président américain méprise, était évidente. Spielberg et son coscénariste Josh Singer, qui a également travaillé au scénario de Spotlight sur l’enquête du Boston Globe, qui a révélé les agressions sexuelles perpétrées au sein de l’Église catholique, rendent ainsi un vibrant hommage au journalisme d’investigation.

Classique dans sa forme de film inspiré de faits réels, Pentagon Papers détaille avec minutie le fonctionnement non seulement d’une rédaction, mais également d’un journal tout entier, à une époque où le quatrième pouvoir portait bien son nom.

Les instances politiques et le sexisme d’État avec RBG

L’un des malheureux points forts de la campagne et de ces derniers mois, du côté de l’élection américaine, a été la mort de la grande juge Ruth Bader Ginsburg (et son remplacement, du coup). Cette figure juridique immense outre-Atlantique, très importante dans le combat pour les droits des femmes, trônait à la Cour suprême. Une institution primordiale dans l’ordre politique américain, puisqu’il s’agit de la plus haute instance juridique, composée de neuf juges nommés à vie – les remplaçants sont nommés par le président, avec une validation du Sénat.

Outre l’élection très soudaine de sa remplaçante (ce qui, politiquement, est un peu compliqué), c’est surtout la perte d’une figure du féminisme politique américain. Deux ans avant son décès, un documentaire était revenu sur le parcours de cette grande figure – il y a aussi eu un biopic, mais on vous conseille plutôt le documentaire.

Car, outre l’aspect carrière, on y découvre d’abord une véritable icône pop, récupérée par le monde de la mode et celui de la musique. Mais surtout, on y découvre les dernières années de son mandat, l’arrivée de Trump au pouvoir, et comment la situation n’a, au final, pas tant évolué au fil de ses longues années de combat.

Article écrit par Lucille Bion, Arthur Cios et Manon Marcillat.