Avec F*cked, la réalisatrice Emma D’hoeraene signe un court-métrage dystopique anti-Trump

Avec F*cked, la réalisatrice Emma D’hoeraene signe un court-métrage dystopique anti-Trump

photo de profil

Par Naomi Clément

Publié le

Effarée par les décisions du gouvernement Trump et la montée des partis d’extrême droite, qui portent toujours plus atteinte aux droits des femmes, Emma D’hoeraene a choisi d’exprimer sa colère à travers un court-métrage aussi beau que poignant.

À voir aussi sur Konbini

Le lundi 23 janvier 2017, soit trois petits jours seulement après son entrée en fonction, Donald Trump décide d’interdire le financement des ONG internationales qui promeuvent l’accès à l’avortement. Ce décret immortalisé par un cliché révoltant, sur lequel ne figure pas l’ombre d’une femme, a soulevé un véritable tollé, provoquant l’indignation de nombreuses personnes de par le monde. Parmi elles, l’actrice américaine Meryl Streep, les dirigeants des Pays-Bas, qui ont souhaité créer un fonds international pour l’accès à l’IVG, ou encore la réalisatrice française Emma D’hoeraene.

“Choquée” par cette mesure anti-avortement, et désireuse d’élever davantage les consciences, la jeune cinéaste nous offre aujourd’hui F*cked, un court-métrage poignant, inspiré par la montée des partis d’extrême droite dans le monde. “Trump, Le Pen… Tous remettent en question l’égalité femmes-hommes, décrypte-t-elle. Ce qui se passe en ce moment, que ce soit le recul des droits des femmes, de la communauté LGBT, des gens de couleur, c’est un recul considérable des progrès que l’on pensait acquis. Les gens deviennent insensibles et centrés sur leurs peurs, on a l’impression d’entrer dans une ère de survie. Je voulais faire quelque chose, pour exprimer mon désarroi face à ce renfermement des gens sur eux-mêmes.”

“L’avortement ‘de confort’ décrit par Marine Le Pen n’existe pas”

Avec cette fiction de cinq minutes, Emma D’hoeraene, jusqu’ici surtout connue pour ses fashion films envoûtants, nous plonge dans un monde dystopique où l’avortement est interdit, et le suivi de la grossesse par l’État obligatoire. “Je me suis projetée dans l’avenir, en pensant jusqu’où tout cela pourrait bien nous mener, c’est comme ça que j’ai imaginé ces deux lois, poursuit-elle. L’histoire, c’est celle d’un groupe de filles enceintes qui ont refusé de faire le suivi médical imposé. Un infirmier tente de retenir l’une des filles dans le programme, mais elles parviennent à s’échapper. Elles vivent ainsi leurs derniers moments de liberté et passent leur temps à essayer de faire abstraction de la situation, mais elles sont constamment rattrapées par leur condition. Toutes leurs actions portent l’empreinte du traumatisme qu’elles vivent.”

Pour donner vie à F*cked, notre réalisatrice est allée à la rencontre de plusieurs femmes qui ont dû faire face à cette épreuve qu’est l’avortement. “Contrairement à ce que dit Marine Le Pen, l’avortement ‘de confort’ n’existe pas, affirme-t-elle. J’ai recueilli de nombreux témoignages de femmes ayant vécu un avortement, et l’opinion est unanime : vu la douleur et le traumatisme que cet acte constitue, on ne peut pas mettre les mots ‘avortement’ et ‘confort’ dans la même phrase. Personne ne se sert de l’avortement comme ‘moyen de contraception’, c’est une information fausse, donnée par une femme qui n’a jamais connu cette expérience.” Et d’ajouter :

“Cela fait seulement soixante ans que les femmes ont commencé à obtenir des droits, et la bataille est loin d’être terminée. Nous vivons le sexisme au quotidien : on est harcelées dans la rue, constamment ramenées à notre apparence, décrédibilisées quand on essaie de parler… Je ne compte même plus le nombre de fois où j’ai essayé de discuter du harcèlement de rue, et que des mecs ont commencé à me dire que l’on exagérait, comme si l’on se plaignait par plaisir… C’est rageant de voir ces gens parler de ce qu’ils ne connaissent pas, dans le but de minimiser leur propre comportement ! […] C’est cette rage et ce désarroi que j’ai voulu exprimer dans ce clip. Fucked n’est pas un film qui a pour but de raconter une histoire, il veut plutôt communiquer un sentiment, une gêne. C’est une métaphore.”

“La vie est très violente, mais on a une chance inouïe de vivre”

Bien que ce projet soit plus politique que ses précédents, tels Lait Fraise ou Died Blonde, F*cked garde cette même esthétique chère à Emma d’Hoeraene : une image minimaliste, épurée, où les couleurs sont douces et les individus troubles. Les jeunes femmes qui incarnent son récit, drapées dans des couleurs tantôt pastel, tantôt immaculées, évoquent constamment une identité androgyne, contribuant ainsi à briser les stéréotypes de genre. C’est un point important du film : je voulais que tout le monde soit représenté sans barrière. Il y a des Noirs et des Blancs, des grands et des petits, des filles aux cheveux courts et des garçons avec des boucles d’oreilles, un infirmier arabe qui porte une croix chrétienne… Bref, il y a de tout, sans les clichés que l’on nous a inculqués”, souligne Emma, avant de conclure :

Je suis inspirée par toutes sortes de choses. J’adore la rigueur et la folie de Kubrick, la poésie de Leos Carax, l’image et les messages de David Fincher… Je regarde aussi beaucoup de clips et de fashion films, la mode est une grande source d’inspiration, car elle se renouvelle sans cesse. Mon père m’a initiée à la photo de mode très jeune, et ça m’a immédiatement passionnée. J’adore la façon dont chaque artiste exprime et retranscrit sa vision de la beauté.

En ce qui concerne mon style, j’aime allier une action forte à une image douce, c’est aussi ma façon de ressentir les choses au quotidien : la vie est très violente, mais on a une chance inouïe de vivre. C’est cette opposition que je m’efforce de retranscrire.”

À lire -> Petra Collins, Chloë Sevigny et Kahlil Joseph : trois artistes qui réinventent le film de mode