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Avec Fantasme, Éléonore Costes nous raconte nos histoires d’amour manquées

Avec Fantasme, Éléonore Costes nous raconte nos histoires d’amour manquées

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(© PORTRAIT ROBOT)

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Par Manon Marcillat

Publié le , modifié le

La réalisatrice est venue nous parler de son premier moyen-métrage bouleversant.

On connaissait Éléonore Costes pour ses drôles de capsules vidéo Les Topos de Lolo, ses diverses collaborations avec Golden Moustache ou encore Genre humaine, sa Web-série très finement écrite, au travers desquelles elle explore sans relâche et avec beaucoup de franchise les relations humaines, amoureuses et familiales dans chacun de leurs recoins. Des recoins parfois sombres, parfois un peu honteux, mais toujours enrobés d’une touche d’humour bienvenue.

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Avant de s’atteler à l’écriture de la saison 3 de Genre humaine, Éléonore Costes revient sur YouTube avec Fantasme, un premier moyen-métrage qui impressionne, en accès libre sur la plateforme.

Ne plus se cacher derrière l’humour

Quatre années de maturation lui auront été nécessaires pour enfin assumer son sujet, celui des fantasmes et autres fantômes amoureux, dans toute sa dimension tragique et émotionnelle. Et à force de travail et de réécriture, ce qui devait être un format très court est devenu un moyen-métrage de 52 minutes, soigné et bouleversant.

J’ai pensé à cette histoire en 2016 mais je ne savais pas comment la raconter. Elle est donc passé par plein de formats différents : la nouvelle, le court-métrage, etc. Il m’a fallu des années pour la digérer et comprendre ce qu’était cette histoire d’amour.

Après des années de présence dans la case humour du Web, la jeune réalisatrice (mais aussi scénariste, auteure et musicienne) a décidé de s’affranchir de codes qu’elle maîtrise pourtant très bien pour nous parler d’amour manqué, sans envelopper ce sujet infiniment triste dans une confortable pellicule de blagues.

J’ai commencé l’écriture de Fantasme fin 2018 mais, au début, j’avais écrit un truc humoristique, de la comédie pure. Ça devait être réalisé par FloBer et, moi, je devais jouer le personnage principal. Petit à petit, j’y ai ajouté d’autres vérités car j’avais peur de raconter cette histoire telle qu’elle était, de façon très brute“, nous a-t-elle expliqué.

L’histoire, c’est celle de Vic, une jeune femme au goût de l’absolu, interprétée par la très juste Audrey Pirault. On fait sa connaissance lors d’une soirée costumée, et c’est déguisée en fantôme qu’elle va rencontrer Gabriel, interprété par Sébastien Chassagne, dans son costume de cosmonaute.

Entre eux, l’alchimie intellectuelle est évidente et immédiate. Pourtant quatre ans plus tard, Vic regrette et ressasse cette histoire qui ne s’est jamais faite. Contrariée et soudainement prise de vitesse alors qu’elle est à vélo, elle va percuter la voiture d’Arno et terminer à l’hôpital. “J’ai été trop vite et j’ai freiné trop tard. C’est ma vie en fait“, déclarera le personnage de Vic. Et cet art de la métaphore est une des nombreuses réussites du film.

Après cet accident, Fantasme (initialement intitulé Phantasie pour phantasia, “fantôme” en grec) entre dans une seconde puis une troisième dimension. Tous les flash-back de sa rencontre avec Gabriel sont liés à cet accident de vélo qui cloue Vic à son lit d’hôpital et la force à l’introspection. Au temps du passé, celui du coup de foudre, viennent alors s’emboîter le temps du présent, celui de la convalescence, puis le temps du futur et de la mise au point avec Gabriel.

Je n’ai pas eu d’accident de vélo mais de ski. J’ai un peu tout mélangé mais j’avais besoin de cet accident pour trouver un fil conducteur. J’avais écrit toutes les scènes de flash-back mais je ne savais pas comment les structurer. L’accident m’a donc donné un fil rouge pour lier ces deux histoires, celle du fantasme et celle de la réalité.

La réalité est personnifiée par Arno, interprété par Adrien Ménielle, qui entre culpabilité et sentiments amoureux, va accompagner Vic dans sa convalescence au quotidien. Mais sa contribution à lui se constitue de blagues, de mangas et de McDo, contrastant donc avec la charismatique élégance de Gabriel. “J’ai gommé énormément de vannes au scénario. Je voulais que ce soit réaliste et, quand il y a trop de blagues, ça casse le réalisme. Adrien, c’est l’ancrage de réel et il ne fallait donc pas lui attribuer des actions trop irréalistes.

Un film référencé

C’est d’ailleurs bien là la force de Fantasme, qui jongle entre réalisme et fantastique avec une parfaite fluidité. Pour cela, Éléonore a su bien s’entourer mais également bien s’inspirer, en puisant ses références dans des pépites du cinéma fantastique et de la comédie romantique.

L’ombre de ce fantasme amoureux plane en permanence au-dessus de l’esprit tourmenté de la jeune femme, l’empêchant d’aimer correctement d’autres hommes. Sa carcasse vide flotte, hors d’atteinte, dans une dimension qui n’est pas celle de Vic, mais jamais ne se décide à enfin la laisser en paix. Il est là, immobile et immuable, dans cet encombrant costume de cosmonaute qu’il portait quand elle l’a rencontré et son casque empêche de deviner son visage. Si les souvenirs demeurent, les contours de la réalité de Gabriel commencent quant à eux à s’estomper.

Par ce parti pris artistique, à la fois onirique et imagé mais aussi premier degré, presque enfantin, la réalisatrice assume son inspiration première, celle de A Ghost Story de David Lowery. Dans ce superbe drame fantastique et minimaliste, un gentil fantôme amoureux, symbolisé par un simple drap blanc, ne parvient pas à abandonner sa femme endeuillée et assiste, impuissant, au temps qui passe et à la vie qui reprend son cours.

“A Ghost Story, c’est mon film préféré et c’est un pompage assumé. Vic est déguisée en fantôme car c’est son aussi film préféré. C’était également ma référence pour le cosmonaute, qui est tout le temps là, en place, exactement comme le fantôme dans le film.”

Sur la forme, Fantasme et son fantôme silencieux sont donc un véritable hommage au film A Ghost Story. Le fond, très bavard, convoque en revanche une tout autre référence. Pour capturer l’essence du coup de foudre cérébral entre Vic et Gabriel, la réalisatrice s’est inspirée de la trilogie Before de Richard Linklater, un classique intemporel de la comédie romantique indé.

Pour son grand projet romantique, le réalisateur décidait de faire la part belle à la parole pour laisser tout l’espace nécessaire aux digressions de Céline et Jesse et ainsi sublimer leurs retrouvailles à chaque nouveau film. “C’est mon rêve de réaliser un projet comme celui-là et de documenter les différentes phases de ma vie tous les dix ans“, avoue Éléonore.

Une référence qui nous réjouit, car nous partageons son enthousiasme au sujet du travail de Linklater, sans pour autant nous étonner puisque l’art de la discussion, c’est également le créneau d’Éléonore Costes. Dans Genre humaine déjà, elle encapsulait des séquences de dialogues quotidiens en quelques minutes de plan-séquence. Dans Fantasme, on retrouve ces mêmes plans-séquences, qui nous invitent dans les déambulations nocturnes et les discussions enflammées de Vic et Gabriel, et l’on comprend, en même temps qu’eux, que leurs deux cerveaux sont exactement sur la même longueur d’onde.

Accepter les “et si”, c’est devenir adulte

Fantasme est un projet intelligent de bout en bout. De l’écriture au casting, Éléonore Costes a su être à la fois vraie et en dehors des clous, juste ce qu’il faut pour faire de son histoire d’amour manquée une histoire dans laquelle on se reconnaît et dont l’intensité émotionnelle nous bouleverse.

Pour composer sa partition féminine, elle a choisi de faire de Vic une femme entière, au goût de l’absolu mais dans un contrôle permanent. Son surmoi lui impose de tomber amoureuse de quelqu’un de très intelligent, et c’est sur cette intelligence qu’elle projette et qu’elle fantasme. “Cette histoire, c’est un coup de foudre intellectuel, il n’y a pas vraiment de rapprochement physique. Je suis même pas sûr qu’il y ait vraiment du désir sexuel entre eux. Ils ont envie l’un de l’autre mais leur fusion est cérébrale.

Pour la partition masculine, elle a préféré un garçon sensible, timide, honnête et droit, qui se pose beaucoup de questions de peur de passer à côté de quelque chose de beau. Et pour interpréter Gabriel, elle a choisi le comédien Sébastien Chassagne, révélé par la série d’OCS Irresponsable, à contre-emploi dans le rôle du fantasme amoureux. “Personnellement, mon fantasme à moi, ce n’est pas un mec très beau. Je n’y crois pas à ça. En fait, dans le rôle du coup de cœur de Vic, j’ai mis mon coup de cœur artistique.

Mais dans Fantasme, il y a également un troisième personnage principal, le vélo de Vic, en symbolique de la vie qui avance. “Au début du film, son vélo est un peu pourri, elle ne met pas de casque et ne fait pas attention. Puis elle ralentit et elle enlève les roulettes qui l’ont aidée un certain moment de sa vie.”

Pour conclure leur histoire d’amour manquée, Vic va libérer Gabriel de son encombrant casque et se délivrer elle-même de son fantasme, partagée entre la désillusion et une sérénité retrouvée. Et notre héroïne de reprendre le cours de sa vie, son casque à elle bien vissé sur sa tête désormais bien plus adulte, pour enfin accepter les “et si”