Pourra-t-on un jour faire repousser un membre amputé comme Deadpool ?

Pourra-t-on un jour faire repousser un membre amputé comme Deadpool ?

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Par Nadège Joly

Publié le

Deadpool se sectionne l’avant-bras ? Pas de souci, le membre repousse. Dans l’univers des super-héros, on parle de pouvoir de guérison. Qu’en est-il pour les humains ?

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A priori, si vous vous coupez un doigt (et que vous n’êtes ni Deadpool, ni Claire Bennet, la cheerleader de Heroes), il ne repoussera pas. Le moignon se refermera et laissera la place à une cicatrice. En revanche, si un lézard perd sa queue, un petit groupe de cellules spécifiques se mobilise. La queue se reforme lentement. C’est le cas d’une poignée d’autres animaux, des poissons zèbres aux étoiles de mer, en passant par l’axolotl, une salamandre des lacs d’altitude mexicains.

Leur capacité de régénération extraordinaire fait rêver les chercheurs. En médecine, on parle de “régénération biologique”. C’est-à-dire de reconstruction à l’identique d’un muscle, d’un organe, de l’épiderme, d’un membre… Pourquoi ça ne fonctionne pas toujours pour l’homme ?

La différenciation des cellules

Nous avons beau avoir l’arsenal biologique nécessaire – pour recomposer en masse des cellules d’os, de muscles, de nerfs, de vaisseaux, de peau –, il n’est pas forcément là où il faut. Tout se joue en fait dans le mode de recrutement de l’ingrédient de base de la régénération : la cellule souche.

Cette cellule spéciale peut remplacer n’importe quelle cellule du corps et se multiplier à foison. Il suffit de lui envoyer un signal biochimique pour l’informer de devenir un neurone, par exemple. Le top, ce sont celles contenues dans les embryons. Juste après la fécondation, l’embryon contient des cellules souches capables de se développer en 400 types de cellules différentes, de quoi fabriquer le corps humain en entier.

Problème, chez l’adulte, les cellules souches sont quand même prédestinées à se muer en un type de cellule plutôt qu’un autre, en fonction de leur localisation. Or, elles sont principalement situées dans la moelle osseuse et le sang. Certes, les cellules souches peuvent être extraites de la moelle, lors d’une opération chirurgicale, pour être réintroduites ailleurs. Cette méthode est aujourd’hui utilisée pour réparer certains cœurs défaillants : lorsqu’une partie du cœur ne fonctionne plus, des cellules souches du patient sont injectées dans la zone, deviennent des cellules cardiaques et remplacent les cellules malades.

Le souci, c’est que même si ces cellules souches miracles étaient partout dans notre corps, cela ne suffirait pas. Tout simplement parce qu’elles ne savent pas se différencier en absolument toutes les cellules du corps humain. Celles de notre moelle osseuse adulte ne peuvent devenir qu’une dizaine de cellules différentes, essentielles au renouvellement naturel et à la réparation en cas de lésion. Pourquoi pas plus ? Parce que l’aptitude à proliférer est risquée avec une cellule adulte. S’il y a anomalie ou dérèglement de la prolifération, on fonce vers le cancer.  

De nombreuses nouvelles voies thérapeutiques

Et quand bien même les cellules de notre moelle osseuse pourraient se différencier dans absolument ce que l’on veut, il reste le problème de la localisation. Avoir des cellules souches, d’accord, mais encore faut-il les envoyer au bon endroit ou alors savoir les faire venir où on veut.

L’équipe de Catherine Picart et celle de Corinne Albiges-Rizo, deux teams de biophysiciens à Grenoble, ont mis au point un biomatériau contenant la protéine BMP-2, pour Bone Morphogenetic Protein 2. Ce facteur de croissance joue un rôle crucial dans la création et la régénération du tissu osseux. Il est surtout capable d’induire la formation d’os. Du coup, si l’on piège BMP-2 et la délivre localement grâce au biomatériau, de l’os se forme.

En vrai, la protéine BMP-2 “force” des cellules à devenir des cellules d’os. Peu importe si ce sont des cellules musculaires, sanguines. Sous l’influence de la protéine, les cellule se transforment en cellules osseuses. Cette manière de fabriquer de nouvelles cellules, sans partir de cellules souches, a été récompensée par le prix Nobel de médecine en 2012.

Comme le rappelle Corinne Albigès-Rizo, directrice de l’équipe Dynamique des systèmes d’adhérence et différenciation à l’institut Albert-Bonniot à Grenoble :

“Il s’agit de comprendre comment les cellules perçoivent les propriétés physico-chimiques de leur environnement pour adapter leur forme, leur comportement migratoire, leur capacité à proliférer voire leur propre destinée. L’important est d’abord de vraiment comprendre les voies de signalisation cellulaire associées à la régénération tissulaire avant de pouvoir ensuite espérer optimiser cette régénération.”

Si les cellules souches et autres technologies ne nous permettent pas encore de nous vanter comme Deadpool d’avoir un moignon qui repousse, elles offrent de nombreuses nouvelles voies thérapeutiques. En plus de pallier le manque de greffons, elles pourraient rétablir la vue de patients souffrants de dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA) grâce à des cellules différenciées en cellules de rétine, lutter contre le diabète avec des cellules devenues pancréatiques…

Une médecine régénérative qui, finalement, répare davantage les maladies liées à l’âge, au vieillissement plutôt qu’aux amputations. Pas si facile donc de faire repousser un membre sectionné. Et ce, malgré la multitude de pistes de recherches consacrées aux cellules souches.