Ethan Hawke, acteur caméléon et anti-héros du cinéma américain

Ethan Hawke, acteur caméléon et anti-héros du cinéma américain

photo de profil

Par Arnaud Pagès

Publié le

À l’affiche du remake des Sept Mercenaires, Ethan Hawke révèle une fois de plus son incroyable capacité à interpréter des rôles qui mettent en lumière les failles d’un personnage. Focus sur un acteur qui a fait de la fragilité sa marque de fabrique. 

À voir aussi sur Konbini

Dans cette chambre de l’hôtel Bristol où il est venu rencontrer les journalistes pour la promotion des Sept Mercenaires, il est souriant, presque jovial. Rasé de près, les cheveux un peu en pagaille, il a l’air d’un éternel adolescent à la fois cool et brillant. On se demanderait presque où il a planqué sa planche de skate. L’acteur de 45 ans semble ne pas vieillir, comme si la bonne fée du cinéma l’avait préservé du temps qui passe. Et avait, après tant de films, conservé intact son appétit pour se glisser dans la peau des personnages qu’il incarne.

Devenu une star mondiale à 19 ans grâce à son interprétation de Todd Anderson, élève timide et secret bouleversé par sa rencontre avec un professeur de lettres pas comme les autres, dans Le Cercle des poètes disparus, Ethan Hawke n’a cessé depuis de creuser au travers de ses rôles le sillon de la fragilité et de la sensibilité, enchaînant les interprétations de héros cabossés pour se forger une image aux antipodes de la virilité sur pellicule.

Une vocation précoce

Quand on évoque avec Ethan Hawke ses débuts au cinéma, son œil se met à pétiller. Enfant solitaire, élevé par une mère divorcée, il a très tôt trouvé refuge dans le théâtre,  s’inscrivant à des cours de comédie alors qu’il n’est même pas encore adolescent et jouant dans de petites pièces au sein d’une troupe. C’est sa rencontre avec le réalisateur Joe Dante, alors qu’il n’a que 14 ans, qui va être déterminante.

Il obtient son premier rôle dans le film Explorers (1985), le nouveau projet de ce vieux routier du fantastique, qui bénéficie d’une importante campagne de promotion. Hélas, le film – un nanar sans envergure et plutôt niais – sera un échec cuisant, éreinté par la critique et incapable de séduire le public de teenagers et de fans de science-fiction auquel il était destiné. Mais loin d’être un frein à une carrière qui n’avait même pas vraiment commencé, ce fut une bénédiction pour Ethan Hawke.

“Quand j’ai compris que le film qui devait me rendre riche et célèbre et m’apporter des millions de fans ne serait vu par presque personne, j’ai pensé que c’était de ma faute à moi, parce que je n’avais pas été assez bon. Et ça m’a guéri de toute prétention.”

Mais trois ans plus tard, la chance va sourire à cet acteur balbutiant, à peine sorti de l’adolescence, qui se cherche sans parvenir à se trouver. Le cinéaste Peter Weir, qui s’était imposé à Hollywood grâce à des films comme Witness ou Mosquito Coast,  le recrute pour jouer dans Le Cercle des poètes disparus et lui donne un des tout premiers rôles.

Porté par le génial Robin Williams, le film est un carton mondial. Le public découvre un Ethan Hawke juvénile, monstre de pureté et d’innocence, dont le jeu à fleur de peau et hypersensible laisse présager une grande carrière. Une véritable révélation.“Dans le Cercle des poètes disparus, j’étais dans la pureté, nous explique-t-il. Ça ne pouvait pas sonner faux. À l’époque, je ne savais même pas comment jouer un rôle. J’étais dans l’innocence la plus complète et c’est sans doute pour cela que j’ai pu donner autant d’authenticité et de force au personnage que j’incarnais.”

Par la suite, Ethan Hawke excellera dans les rôles de personnages aux parcours compliqués, qui ont du mal à être en harmonie avec leur vie. Où simplement timides. Des héros de la vie de tous les jours, bancals et complexes, qui ont pour point commun la fragilité sous toutes ses formes.

Un artiste dans l’âme

Sensible, intuitif et cultivé, Ethan Hawke est surtout un amoureux des mots. Il est l’auteur de plusieurs livres, dont deux romans. Le dernier, Indeh : A story of Apache Wars, réalisé en collaboration avec l’illustrateur Greg Ruth, vient de sortir. C’est aussi un passionné de théâtre, qui a notamment joué des pièces de Shakespeare et Tchekhov. Pas vraiment le profil pour jouer les gros bras au cinéma. Mais ça tombe bien, car ce n’est pas ce qui l’attirait dans la carrière d’acteur. “Jack Nicholson m’a fait une très forte impression quand j’étais jeune, confie-t-il. Son côté fêlé, sa capacité à péter les plombs devant une caméra me fascinaient… Et si on prend les films qu’il a faits à la fin des années 1970, c’est absolument incroyable. Il a travaillé avec Polanski, Antonioni, Milos Forman, Kubrick. Les meilleurs réalisateurs de l’histoire du cinéma ! Son jeu dans Shining atteint une telle perfection !”

Dans ses interprétations, la fragilité revient avec une incroyable constance, devenant sa marque de fabrique. Du chef-d’œuvre d’anticipation d’Andrew Niccol Bienvenue à Gattaca (1997), où il interprète un homme génétiquement inférieur, à Born to Be Blue, où il joue le torturé Chet Baker, en passant par Boyhood, Good Kill ou La Femme du Ve, tous ces films, très différents les uns des autres, tracent une même ligne directrice.

Lorsqu’il évoque sa carrière, Ethan Hawke reste humble : “Je ne joue pas forcément mieux aujourd’hui. Certains acteurs sont des transformistes, capables de jouer des rôles extrêmement différents, mais pas moi. La seule différence avec mes débuts, c’est que je suis conscient maintenant de mon métier d’acteur. Je me pose davantage de questions. Comment mon personnage va être différent des autres ? Comment faire pour qu’il soit unique et comment faire pour transmettre ça ?”

Passant des blockbusters américains au cinéma d’art et d’essai européen, Ethan Hawke déroule pourtant une filmographie incroyablement variée, naviguant avec facilité d’un genre à l’autre, tournant avec Sidney Lumet comme avec Jean-François Richet, étoffant son personnage d’homme à failles, le polissant, lui donnant plus de volume à chaque tournage.

Héros à contre-emploi

Même quand il s’agit de jouer les cow-boys dans le remake de l’un des plus célèbres westerns de l’histoire du cinéma, Ethan Hawke navigue à contre-courant. Il aura pourtant attendu ses 45 ans pour jouer du colt devant une caméra, lui qui, petit, avait été nourri aux aventures de John Wayne. Un vieux rêve qu’il a enfin réalisé grâce au réalisateur Antoine Fuqua dont il avait déjà croisé la route sur le tournage de Training Day, en 2001, puis de L’Élite de Brooklyn, en 2009 :

“Je suis né à Austin, au Texas, et j’ai passé la première partie de mon enfance dans une ville imprégnée par la culture des cow-boys. J’ai passé beaucoup de temps à regarder des westerns. J’ai vu les Sept Mercenaires un nombre incroyable de fois. C’est un film qui passait souvent à la télé le dimanche. L’histoire est juste phénoménale et tout le monde aime ce genre de film où le faible arrive à avoir le dessus sur le plus fort !”

Antoine Fuqua livre une version modernisée et très personnelle du chef-d’œuvre de John Sturges, plus en phase avec une Amérique métissée et multiculturelle, dans laquelle Ethan Hawke laisse à ses partenaires Denzel Washington et Chris Pratt le soin d’endosser les habits du cow-boy viril et sans peur. Lui s’est glissé dans un costume qui lui va parfaitement. Celui de Goodnight Robicheaux, un tireur d’élite sudiste démobilisé à la fin de la guerre de Sécession et qui est devenu un vagabond hors la loi souffrant de problèmes psychologiques, une âme en peine dévorée par ses démons qui sillonne sans but l’Amérique profonde.

Un rôle dont Ethan Hawke a pris la pleine mesure : “Il vient d’une famille française équilibrée qui vit en Louisiane. Mais il a été détruit par la guerre de Sécession, comme beaucoup d’hommes l’ont été. Par l’horreur des combats, par tout ce qu’il a vu… C’est un homme traumatisé, en proie à ce qu’on appellerait aujourd’hui un choc post-traumatique. Il n’est plus que l’ombre du soldat qu’il a été.” 

Ethan Hawke a ainsi donné à Robicheaux une incroyable profondeur psychologique, en faisant le cow-boy le moins lisse de cette équipe de desperados. Une nouvelle fois, il met parfaitement en lumière les failles du personnage qu’il interprète. Comme une éternelle répétition.

Acteur caméléon, Ethan Hawke s’adapte aux films dans lesquels il joue, toujours plus ou moins le même et pourtant toujours différent. Peut-être parce que son premier vrai grand rôle, celui d’un Todd Anderson fragile et malmené par la vie, sublime et sensible, ne l’aura finalement jamais vraiment quitté. Et nous non plus.