Mon incroyable 93, le docu qui nous montre enfin un autre visage de la Seine-Saint-Denis

Mon incroyable 93, le docu qui nous montre enfin un autre visage de la Seine-Saint-Denis

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Par Brice Miclet

Publié le

Afin de faire connaître une facette moins médiatisée de son département, Wael Sghaier est parti sillonner les quarante villes qui composent le 93. De ce voyage, il a tiré un documentaire totalement autoproduit.

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(© 60sFilmz)

Durant les JT, on voit souvent les seuls mêmes aspects de la Seine-Saint-Denis : la délinquance, la violence, la drogue, les faits divers, les déserts culturels… Avec son documentaire Mon incroyable 93, Wael Sghaier, originaire d’Aulnay-sous-Bois, compte bien changer cela.

Parti arpenter les quarante villes de son département durant un mois, caméra au poing, il montre que certains grands ensembles font partie d’un vaste patrimoine architectural, que des chèvres peuvent transhumer en plein Bagnolet, que l’on peut pêcher la carpe dans la Marne et que les ateliers d’artistes pullulent dans le 93.

“On valorise trop peu le quotidien”

Wael Sghaier raconte : “La Seine-Saint-Denis que je connaissais, c’était celle du canal de l’Ourcq, d’Aulnay-sous-Bois, de mes potes. Un peu toujours les mêmes choses en fait. La seule chose que je faisais, c’était aller à Paris, sans forcément m’arrêter entre les deux pour voir le département. C’était la facilité.”

Pour se mettre en difficulté, Wael Sghaier s’est donné un mot d’ordre : ne pas rentrer chez lui durant ce mois de voyage. Hébergé chez l’habitant ou créchant dans une tente qui parfois prenait l’eau, il a vu ce que la Seine-Saint-Denis comptait de richesses et de valeurs.

“On ne peut pas mettre les habitants de la Seine-Saint-Denis dans des cases, ça n’est pas possible, assure-t-il. On ne parle jamais de la diversité des profils, de la diversité des métiers, des lieux… Les gens sont fiers de leur département. On a beau parler des faits divers, de drogue, ce sont des épiphénomènes. Il faut prendre ce territoire dans sa globalité.

On valorise trop peu le quotidien, on met en avant l’exceptionnel. On parle de ce qui se passe en bas des cités, mais on oublie le positif. Il peut, par exemple, y avoir un maraîcher qui, en été, peut nourrir tout un grand ensemble. Il y a beaucoup de cas similaires, et ce documentaire vise à mettre cela en avant.”

Des chèvres en plein Bagnolet

(© 60sFilmz)

Les cités justement. Elles sont présentes dans Mon incroyable 93, mais avec une prise de recul à laquelle le public n’est pas forcément habitué. On y voit l’incroyable quartier de La Maladrerie à Aubervilliers ou la Cité de l’Abreuvoir à Bobigny, à travers les habitants qui se battent pour la reconnaissance de leurs ensembles.

“C’est aussi un patrimoine architectural qui est parfois classé, ou qui peut potentiellement l’être. Même la Cité des 3 000 d’Aulnay-sous-Bois, réputée pour n’être qu’un grand bloc de béton, a une architecture particulière. Il faut comprendre cette histoire, ne pas détruire ces ensembles. On peut faire autrement que de tout casser.”

Il y a aussi cette rencontre surréaliste avec Gilles, un berger urbain, à Bagnolet :

“Il reflète bien ce que j’essaie de montrer, continue Wael Sghaier. C’est un mec qui n’a rien demandé à personne, qui s’est installé en pleine ville, et qui fait maintenant partie du paysage. Il a des chèvres, il fait son fromage, et ne veut pas être récupéré par la mairie.

Il est juste là, avec sa ferme comme lieu d’échanges. Bagnolet est une ville très densifiée, il s’accapare un espace que la mairie cherche d’ailleurs à récupérer, alors que ça fait dix ans qu’il est là. Il y a des enfants, à Bagnolet, qui ont grandi avec un troupeau de chèvres passant dans la rue, et qui y sont parfaitement habitués. Je trouve ça incroyable.”

Notons par ailleurs qu’il y a aussi des moutons dans le 93, à Aubervilliers.

Difficile de convaincre son propre département

(© 60sFilmz)

Le thème de la culture est aussi très présent :

“On entend souvent dire que la Seine-Saint-Denis est un désert culturel, mais c’est totalement faux, relève Wael Sghaier. Il y a énormément de salles de concert, de théâtres, de bibliothèques. Mais le centralisme parisien fait qu’il y a moins d’argent investi dans ces structures.

On parle aussi beaucoup du désengagement de l’État dans la rénovation urbaine, dans l’implication. C’est une réalité, mais il ne faut pas oublier que les collèges, les lycées et les écoles de Seine-Saint-Denis bénéficient de grands financements. L’éducation y est très importante.”

C’est pour cela que le voyageur urbain part, par exemple, à la rencontre d’Henri Veyrier, libraire à Saint-Ouen qui, depuis 1961, s’efforce de “sauver les livres” à l’époque où ceux-ci seraient délaissés au profit d’Internet. Sa librairie est un lieu mythique pour les lecteurs de la région parisienne, exploré ici de l’intérieur.

Le film est totalement auto-financé grâce à la structure 60sFilmz du producteur Nabil Habassi, qui a cru au projet sans pour autant parvenir à mobiliser les subventions des collectivités. Curieusement, le documentaire a plus d’écho hors de la Seine-Saint-Denis qu’au sein du 93.

Wael Sghaier regrette : “On me dit souvent que ce sont des sujets pour ceux qui aiment déjà le département, qu’il faut plutôt de vrais débats, que c’est trop positif…” Le but de ce documentaire, justement : créer une discussion. Il est d’ailleurs projeté dans plusieurs lieux de Seine-Saint-Denis en ce moment, notamment le 19 janvier au cinéma Louis Daquin au Blanc-Mesnil, puis à l’Espace 1789 de Saint-Ouen le 31. De ces projections, des débats surviennent, et c’est bien là l’intérêt.