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De Paris à Disney, itinéraire de deux Français gâtés par le cinéma d’animation

De Paris à Disney, itinéraire de deux Français gâtés par le cinéma d’animation

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Par Louis Lepron

Publié le

Ou quand la French Touch du cinéma d'animation se retrouve dans la maison de Mickey.

Image tirée de <em>Ralph 2.0</em>. (© Disney)

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À l’occasion de la sortie de Ralph 2.0, on a pu rencontrer et poser des questions à deux Français partis en Californie, à Los Angeles, et plus précisément chez Disney.

De leurs parcours à leurs emplois respectifs, les animateurs Marie Tollec et Nicolas Prothais représentent désormais la French Touch du cinéma d’animation dans le plus grand studio d’animation de l’histoire du cinéma. La première est arrivée il y a trois ans, le deuxième il y a un peu plus de sept ans. Rencontre.

Est-ce que vous pouvez nous raconter vos parcours ?

Marie Tollec | J’ai fait une école d’ingénieur en informatique. J’ai commencé à BUF à Paris en tant qu’ingénieure, puis quelques années plus tard à Londres chez Double Negative. C’est la boîte qui faisait les effets spéciaux pour Inception, The Dark Knight, ce genre de films.

Après un an là-bas, j’ai demandé à faire une formation en tant qu’artiste. Ils m’ont laissé passer de R&D [Recherche et développement, ndlr] à un poste plus porté “artiste FX” [artiste effets spéciaux, ndlr] sur deux films : Captain America puis The Dark Knight Rises. Sur ces deux films, j’étais en transition, entre deux postes : FX artiste et programmation. Après ces deux films, je suis passée exclusivement du côté des FX artistes et j’ai rejoint ILM, la société d’effets spéciaux de George Lucas. Je suis ensuite arrivée à Disney.

Nicolas Prothais | J’ai travaillé une dizaine d’années à Paris, notamment chez Mac Guff. Ensuite, avec ma femme, on a voyagé et j’ai continué mon travail d’animateur en Espagne chez Ilion Animation Studios puis Double Negative à Londres, en travaillant notamment sur John Carter ou Iron Man 2. Et puis Disney a fini par venir nous recruter à Londres et c’est comme ça que j’ai eu un entretien et puis une offre.

Il faut aussi dire qu’il y a à peu près dix ans, à Paris, le marché était différent : c’était plus de la publicité. Et petit à petit, en progressant, en gagnant en responsabilité, j’ai eu des projets de plus en plus ambitieux. En Espagne, c’était mon deuxième long-métrage d’animation, Planète 51. Puis à Londres c’était plus des effets spéciaux sur des longs-métrages en live action comme Iron Man.

C’était quoi votre perception de Disney avant ?

Nicolas | Globalement, en tant qu’animateur, je ne pensais pas finir chez Disney. C’est un peu le Graal, même si évidemment ça dépend des goûts. Disney, c’est d’abord une histoire, celle de la 2D. Pour moi qui ne suis pas animateur 2D, Disney n’était même pas envisageable, jusqu’au jour où ils ont travaillé la 3D. Le film qui m’a bouleversé en tant qu’animateur 3D, c’est Raiponce (2010). Ils nous ont montré un making-of quand ils sont venus nous recruter à Londres et là je me suis dit : “Ok, faut que j’y aille.”

Comment vous résumeriez votre travail chez Disney ?

Nicolas | Pour le décrire simplement, mon job est de donner vie à des marionnettes, de caricaturer de l’émotion et leur faire jouer telle ou telle émotion.

Marie | Sur Ralph 2.0, je suis en charge de la destruction, de tout ce qui se casse dans le film, que ce soit un petit Rubik’s Cube, un grand bâtiment ou une voiture. Je dois faire en sorte que tout marche. Par exemple, il faut que je fasse en sorte que si on détruit des murs qui longent la route pendant une course-poursuite, il faut qu’il y ait un aspect “béton” avec l’ensemble des petits détails qui vont avec.

Chaque objet demande donc une recherche précise ?

Marie | On a des “pre-sets” pour différents métaux : pour que le métal se déforme bien, que le béton soit mis en morceaux de manière naturelle. Et aussi, si on casse cinq voitures, on va essayer de réutiliser la même fondation pour chacune d’entre elles, même si elles ont des styles et des lignes différentes. Le challenge principal de ce film reposait sur la variété des éléments et objets. Si par exemple on a 500 chaises à détériorer, tu casses une chaise et tu connais la méthode. Mais pour Ralph 2.0, il y avait plein de challenges dans la diversité des objets à détruire qui sont un peu partout dans le film. On a donc réalisé un travail de recherches pour savoir précisément comment pourraient se briser des éléments au sein d’Internet.

Nicolas | De film en film, mon challenge est toujours à peu près le même : être le plus précis possible dans la narration, c’est-à-dire être capable au travers de l’expression du personnage de respecter la narration, de ce que veulent voir les réalisateurs. C’est toujours compliqué parce qu’ils décrivent ce qu’ils veulent au travers des démos qu’ils nous montrent. On reçoit des mots, et on doit réussir à les transcrire en une performance d’acting. On va jouer avec le langage corporel par exemple. Je dois donc être précis sur l’expression des émotions.

Comment on passe de The Dark Knight à Disney ?

Marie | Ce qui est assez intéressant, c’est qu’on travaille en live-action ou en animation, il y a souvent une base qui est assez réelle, c’est-à-dire de la dynamique des fluides. Par exemple pour Moana, c’est quand même de l’eau qui pourrait être dans un film tourné en prises de vues réelles. Il y a donc beaucoup de savoir qui est réutilisé parce qu’on part souvent de choses réelles, d’une solution dynamique réelle. Tu crées la réalité et ensuite on peut s’en séparer pour réaliser des choses plus stylisées.

Ce serait quoi la plus grande différence entre la France et les États-Unis en termes de travail autour de l’animation ?

Nicolas | Déjà, le travail au sein de l’Europe, entre la France, l’Angleterre et l’Espagne, c’est trois façons de travailler différentes. Dans l’ensemble, les différences vont se retrouver à l’endroit où ils mettent leur énergie : ils ne se focalisent pas sur les mêmes choses.

Marie | La plus grosse différence que j’ai vue ici, c’est qu’on connaît le réalisateur. Quand tu vas présenter ton plan, tu vas le montrer directement au cinéaste et tu vas pouvoir en discuter avec lui. D’habitude, tu as toujours beaucoup de niveaux de supervision avant que ça arrive au réalisateur. Les gens, ils te connaissent aussi : par exemple le premier film sur lequel j’ai travaillé chez Disney, c’était Moana, et ils connaissaient le nom de tous les artistes. Avoir un rapport direct avec eux, c’est formidable.

Est-ce que tu te sens française quand tu travailles et que tu apportes des idées ?

Marie | Je pense que c’est ce qui est surtout important dans mon département FX, c’est qu’il y a à la fois une diversité des origines culturelles et professionnelles. Certains sont architectes, d’autres ingénieurs, d’autres animateurs 2D. Mon chef sur mon prochain film a été animateur sur Le Roi Lion. Il existe vraiment une diversité de pensées, que ce soit par pays ou profession.

Nicolas | Dans le département animation, je suis le seul français. Dans d’autres, on retrouve un Italien, un Russe, un Coréen : on a une diversité forte. Ça permet d’avoir un éventail plus large de possibilités pour les besoins dans le cadre d’un casting en interne : on va nous donner des types de plan en fonction de nos personnalités. Forcément, la culture a un rôle dans la perception de qui on est.