De la misère à Hollywood : qui est vraiment Lakeith Stanfield, aussi perché que fascinant

De la misère à Hollywood : qui est vraiment Lakeith Stanfield, aussi perché que fascinant

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© Atlanta

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Par Lucille Bion

Publié le

Après l'alcool et la weed, le Californien a trouvé sa place dans le cinéma et la musique. Retour sur un parcours de battant.

Quel est le point commun entre Childish Gambino, Zazie Beetz, Brian Tyree Henry, aka Paper Boi, et Lakeith Stanfield ? Tous ont réussi à émerger de la série Atlanta et faire décoller leur carrière. Talentueux et original, Lakeith Stanfield, l’ovni le plus cool du moment, représente une nouvelle génération au cinéma, une nouvelle voix pour la communauté noire et une nouvelle voie pour tous les weirdos. 

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Alcool, weed et police

Le tableau de son enfance qu’il dresse dans les pages d’Esquire dépeint un passé assez chaotique, entre pauvreté et errance. Impénétrable, l’acteur qui oscille entre rap et cinéma, semble vouloir faire table rase d’un passé ponctué d’alcool, de drogues et d’altercations avec la police. Dans son quotidien, un coin paumé à une heure et demie de Los Angeles, il voit sa sœur se faire gazer par un flic alors qu’elle n’a que 7 ans, il achète des bonbons au supermarché pour les revendre plus cher dans la rue et se découvre une appétence pour la vodka, la Taaka (la moins chère).  

Pour les formalités, impossible de savoir précisément où il a vécu ou ce que faisaient ses parents, il refuse d’en parler : 

“Je ne veux pas donner de détails. Nous avons juste beaucoup déménagé, surtout entre Victorville et San Bernardino parce que j’avais de la famille là-bas. J’ai un peu erré partout. Je n’avais pas trop de guide. “

Au lycée, il s’inscrit dans un cours de théâtre et décroche le rôle de la grenouille dans Honk! The Musical. Dans sa tête, le cinéma n’est qu’à quelques kilomètres et il envisage de devenir acteur. Il se lance et passe des auditions, mais de nombreux obstacles se dressent devant lui, à commencer par faire le plein pour descendre à LA en voiture. Parfois, il lui arrivait de faire la manche pour s’acheter un billet de train.

Issu d’une famille très pauvre, le mystérieux Lakeith Stanfield restait soutenu par sa mère qui le conduisait à ses rendez-vous en le surnommant sa “super star” :

“Mais quand j’y étais, j’étais toujours hyper flippé et je foirais. Tout le temps. Dans ma tête, je me disais : ‘Si tu as ça, ta mère va pouvoir manger, tu vas pouvoir changer sa vie et la vie de tout le monde.’ J’avais ça dans la tête tout du long et ça m’empêchait d’y arriver. Et après je me frappais sur tout le chemin du retour.”

À 20 ans, à force d’essuyer les échecs, il fait pousser de la marijuana dans une ferme pour se faire un peu d’argent. Il se découvre alors une véritable passion pour les plantes, qu’il cultive encore aujourd’hui. Côté love, son premier amour est d’ailleurs un arbre, pas une fille : un Caïmite marron bien bâti, planté dans le jardin de sa tante. Littéralement, il l’embrassait, le prenait dans ses bras, en imaginant qu’il était dans l’un de ses films préférés, Les Aventures de Zak et Crysta dans la forêt tropicale de FernGully.

© Get Out

Les débuts au cinéma 

“Fuck Hollywood, ces enfoirés n’en ont rien à foutre de toi, ce sont des Blancs.”

Après avoir finalement pris un agent de cinéma et de mannequinat, il décroche une audition pour Short Term 12, un court-métrage de Destin Daniel Cretton. En 2009, le film fait sensation à Sundance et gagne le Grand Prix du Jury. Des étoiles pleins les yeux, Lakeith pense que sa carrière peut commencer. Mais rien. Il retourne à sa ferme de cannabis pour deux ans.

Fort de ce succès, Destin Daniel Cretton, comme beaucoup de réalisateurs, souhaite développer un court-métrage ovationné. Lakeith Stanfield est rappelé pour jouer l’adolescent mutique et abandonné aux côtés de Brie Larson, notre future Captain Marvel et Rami Malek, notre future M. Robot. Ainsi naîtra la version longue éponyme de Short Term 12 que l’on connaît mieux sous le nom de State of Grace en France. Dépeignant un tableau avec des enfants difficiles, rejetés, maltraités ou en colère, ce teen-movie dramatique alterne entre des scènes très sombres et de vrais moments d’espoir. 

Après ce rôle dark, l’acteur commence à enchaîner les projets. The Dope, Selma, The Purge… Nous sommes en 2014 et le Californien est alors très occupé par ses tournages. Alors qu’il tourne Memoria, un film adapté d’une nouvelle de James Franco, un évènement tragique vient troubler son ascension : son meilleur ami vient de se faire descendre dans une bagarre qui tourne mal. Lakeith Stanfield se remet à boire et se dispute avec ses amis qui lui reprochent de mener une vie de paillettes, loin d’eux :

“Reviens à la maison. Fuck Hollywood, ces enfoirés n’en ont rien à foutre de toi, ce sont des Blancs.”

S’il choisit de poursuivre sa carrière au cinéma, le comédien privilégiera des rôles forts, dans des projets qui s’attaquent souvent aux stéréotypes racistes, comme le phénomène mi-drôle mi-horrifique Get Out. Mais si l’on regarde avec attention sa filmographie, un autre trait saillant s’en dégage : le rap, son deuxième métier.

Hip-hop et cinéma

Aussi connu sous le blase de Keith Stanfield, moitié du groupe MOORS, il s’impose comme le roi des lyrics sur grand et petit écran. De son rap de chambre dans State of Grace, il apparaît dans quelques clips, du “Moonlight” de Jay-Z  au “Cold Little Heart” de Michael Kiwanuka – aujourd’hui connu comme la BO de Big Little Lies — avant de décrocher le rôle de Snoop Dog dans le biopic NWA : Straight Outta Compton

En faisant des allers-retours entre rap et cinéma, la jeune révélation finit par trouver un juste milieu grâce à Donald Glover, aka Childish Gambino, qui prépare sa série confidentielle Atlanta. Aux côtés du showrunner et Brian Tyree Henry, aka Paper Boi, Lakeith Stanfield tient son rôle le plus iconique, celui de Darius. C’est aussi celui qu’il aime le plus

“Pour moi,  ce personnage me ressemble beaucoup. Et il est très similaire à beaucoup de personnes que je connais, qui ne s’attendaient pas à avoir ces pensées philosophiques — parce que dans leur vie de tous les jours, ils ne sentent pas concernés par ce genre de choses… Ce que j’avais prévu de faire pour l’aborder, c’est de faire comme si c’était une personne que je connaissais. De nombreuses personnes gravitent autour du personnage parce qu’il est comme un bon pote.” 

Dans cet épisode de 20 minutes où s’alternent galères, poésie et humour absurdes, Daniel Glover bâtit sa critique acerbe de la société américaine tout en explorant les états d’âme de ses personnages et finit par offrir un épisode à Lakeith Stanfield lors de la saison 2. En seulement 24 heures, le fameux et outrancier “Teddy Perkins” fera couler beaucoup d’encre. Darius débarque dans un manoir victorien, où se trouve l’objet de ses rêves : un piano vintage détenu par un certain Teddy Perkins, figure tragique et solitaire rappelant de grands musiciens, à commencer par Michael Jackson. Lakeith Stanfield nous guidera dans ce labyrinthe horrifique, en devenant la proie de ce mélomane terrifiant. 

Véritable tremplin, Atlanta propulse le poulain de Childish Gambino dans un film à son image : anticapitaliste, perché, engagé et dérangeant. Sorry To Bother You est son premier rôle principal. Entre SF et WTF, cet ovni cinématographique œuvre pour le non politiquement correct. Toujours en galère, Lakeith Stanfield joue un brillant vendeur de télémarketing. Lorsqu’il obtient une promotion et une white-voice en guise de bonus, le bon soldat accède aux sombres recoins de l’entreprise, guidé par son patron accro à la coke. Spoiler : ça finit mal, mais pas comme vous l’imaginez.

© Sorry to Bother You

Après avoir incarné, plus sérieusement, un inspecteur minutieux aux côtés de Daniel Craig et Chris Evans dans À Couteaux Tirés, le jeune prodige collabore avec les Frères Safdie qui déposeront Uncut Gems sur Netflix ce vendredi 31 janvier. Voleur attitré d’Adam Sandler, Lakeith Stanfield peut se targuer d’avoir décroché un rôle secondaire dans ce film fiévreux co-produit par… Martin Scorsese. Et bientôt, il sera Fred Hampton, le célèbre leader des Black Panther dans Jesus is my Homebody. 

© Uncut Gems

Si 2019 s’impose comme l’année de sa consécration, la première fois que l’acteur a senti qu’il était ce qu’Hollywood appelle communément “une star” remonte à 2017, avec War Machine, dans lequel il possède une scène de traque en solitaire

“C’est un film extrêmement important pour moi. Nous étions à l’autre bout du monde, un endroit où je n’avais encore jamais été avec des dunes de sables, une culture différente, il y avait des gens avec des burquas, avec des éthiques différentes. Je m’entraînais à être un marine, donc mon corps était en pleine transformation. Le soleil est brûlant, je suis plus noir que je ne l’ai jamais été, me sentant mieux que jamais et je suis là avec un M5 dans un film avec Brad Pitt. J’ai commencé à pleurer. Des larmes de joie. Parce que p*tain : j’étais dans un film pour de vrai !”

© War Machine

Son ascension dans le cinéma s’accompagne aussi d’une élévation spirituelle. Parmi ces projets à venir, on compte surtout sur son album de rap, qu’il bosse ardemment dans le studio qu’il a fait installer dans sa maison : 

“J’avais l’habitude de trainer dans un coin tous les jours avec une bouteille de Taaka vodka. Mais maintenant je veux prendre soin de moi. C’est de ça que mon album va parler. Vivre clean, manger correctement et juste essayer d’être un exemple à suivre pour mon bébé.”

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When tha boi rocks your upcoming album shirt before it even drops

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En attendant la sortie de ce premier projet musical, le rappeur divulgue quelques sons sans prévenir, sur sa page YouTube. On a ainsi pu découvrir “Do Better”, un morceau frappant dans lequel il dénonce les prémices du racisme aux États-Unis, avec son frère, Git qui a fait moins de bruit que “Automatic” dans lequel il s’en prenait à un pilier du rap U.S, Charlamagne tha God, qu’il accusait de jouer le jeu des suprémacistes blancs. 

En multipliant les projets et en déroutant l’industrie musicale blanche et bien pensante, Lakeith Stanfield se taille une place unique. Innarrêtable, ou presque. Le plus grand danger auquel il est désormais exposé ? Être rattrapé par la normalité.