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Daniel Day-Lewis, le dernier des Mohicans

Daniel Day-Lewis, le dernier des Mohicans

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Par Mehdi Omaïs

Publié le

À l’affiche ce mercredi de Phantom Thread de Paul Thomas Anderson, Daniel Day-Lewis livre à nouveau une performance de haut vol. Retour sur une carrière en or, menée avec acharnement.

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“Bienvenue sur Terre, mon enfant […]. C’est le jour de ta naissance et un jour béni pour nous”. 

Ces mots, tirés de l’ouvrage Pegasus and Other Poems, ont été écrits en 1957 par le poète britannique Cecil Day-Lewis à l’occasion de la naissance de son fils, Daniel. Soixante ans plus tard, ce dernier a allègrement prouvé que ses parents n’étaient pas les seuls à bénir le jour de sa naissance : le monde du cinéma aussi.

À ce jour, Daniel Day-Lewis est le seul talent à avoir remporté à trois reprises l’oscar du meilleur acteur : pour My Left Foot (1990), There Will Be Blood (2008) et Lincoln (2013). Des récompenses auxquelles s’ajoute une kyrielle de trophées, remportés au gré d’une carrière exceptionnelle où se croisent de grands noms tels que Martin Scorsese, Steven Spielberg, Paul Thomas Anderson, Michael Mann ou Stephen Frears.

Avec 21 films à son actif en 46 ans d’exercice, le très sélectif Daniel Day-Lewis tourne peu et bien, à un ou deux écueils près (Nine de Rob Marshall fut par exemple une belle catastrophe). Entre 2000 et 2017, l’intéressé se fait particulièrement rare, ne squattant la tête d’affiche que dans six productions. Une trajectoire qui ne relève pas du hasard et qui trouve sa source dans la méthode de jeu du comédien.

Il est en effet de notoriété publique que ce dernier prépare ses rôles de manière obsessionnelle, en se documentant avec acharnement et en vivant dans la peau de ses personnages avant, pendant et même après les tournages. Il est crucial que chaque incarnation compte, qu’elle raconte quelque chose, qu’elle en vaille la peine, qu’elle mérite ses sacrifices. Ici, le cinéma est bien plus qu’un simple boulot, c’est un art transcendantal, un acte d’oubli de soi.

Actors studio style

En 1976, Daniel Day-Lewis découvre, ébahi, la performance de Robert De Niro dans Taxi Driver. Féru du travail du bois et fan de pêche, cette révélation le pousse à épouser une troisième passion : jouer la comédie. Il rejoint dès lors le Bristol Old Vic, le plus ancien théâtre royal du Royaume-Uni, situé dans le comté du Gloucestershire, pour prendre des cours de théâtre.

Il y excelle et, très vite, le septième art l’accueille en son sein. Après Un dimanche comme les autres de John Schlesinger, Gandhi de Richard Attenborough et Le Bounty de Roger Donaldson, Day-Lewis crève l’écran en 1985 dans My Beautiful Laundrette de Stephen Frears, d’après un magnifique scénario de Hanif Kureishi. Il y incarne, avec sensibilité, un homosexuel qui s’éprend d’un jeune immigré pakistanais en pleine ère thatchérienne.

À partir de là, Daniel Day-Lewis va viscéralement adopter la fameuse méthode de l’Actors Studio, chère à Marlon Brando ou Jack Nicholson. Son but ? Disparaître derrière ses personnages et les incarner dans leur littérale réalité. C’est ainsi qu’il appréhende son rôle dans L’Insoutenable légèreté de l’être de Philip Kaufman, pour lequel il apprend le tchèque. Ou pour celui du bouleversant peintre irlandais Christy Brown dans My Left Foot de Jim Sheridan (1989).

Ce peintre a marqué l’histoire grâce à ses tableaux exécutés avec le pied gauche, en raison d’une paralysie cérébrale. Pour camper l’artiste, l’acteur n’hésite pas à passer huit semaines dans une clinique de Dublin spécialisée dans les pathologies paralytiques.

Durant le tournage, l’acteur ne quitte pas son fauteuil roulant, même pour sortir du véhicule qui l’emmène sur le plateau. Il aura même recours à des assistantes pour être nourri. Une performance majeure qui lui vaut de recevoir l’oscar du meilleur acteur, face à ses concurrents Robin Williams pour Le Cercle des poètes disparus et Tom Cruise pour Né un 4 juillet.

Trois ans plus tard, rebelote. Pour incarner Nathaniel “Hawkeye” Poe dans l’épique et romanesque Le Dernier des Mohicans de Michael Mann, d’après le best-seller de James Fenimore Cooper, Daniel Day-Lewis met du cœur à l’ouvrage. Quelque temps avant le premier clap, il se retire pour vivre plusieurs semaines dans la nature reculée de l’Alabama. Une virée sauvage durant laquelle il apprend l’usage du tomahawk, construit un canoë de ses propres mains, manie le fusil avec dextérité et s’adonne volontiers à la chasse pour s’alimenter.

En juillet 1992, Michael Mann confie au New York Times :

“Il est incroyablement concentré et n’a peur de rien. Il peut tout faire et tout essayer”.

Madeleine Stowe, sa partenaire à l’écran, se montre tout aussi admirative : “Ce fut un film difficile pour l’ensemble du casting, surtout pour Daniel. Malgré cela, il ne s’est pas plaint une fois.” Filmé en quatre mois, avec un dépassement budgétaire de 7 millions de dollars qui pousse l’équipe à mettre les bouchées doubles, en oubliant de manger et de dormir, Le Dernier des Mohicans engendrera chez Day-Lewis des hallucinations et un sentiment de claustrophobie.

Le cinéaste Jim Sheridan connaît par cœur cet investissement de tous les instants. Après My Left Foot, il dirigera en effet Daniel Day-Lewis à deux autres reprises. Il y a d’abord eu le marquant Au nom du père (1993), une plongée implacable dans le conflit nord-irlandais, dans lequel, amaigri de 13 kg, l’acteur interprète le délinquant Gerry Conlon, injustement accusé par Londres d’avoir fomenté des actes terroristes pour le compte de l’IRA. Pour coller au plus près du héros, il n’hésite pas à passer plusieurs nuits en cellule et va même jusqu’à adopter un accent à couper au couteau, propre à l’Irlande du Nord, qu’il conservera six mois après le tournage.

Il y a aussi eu The Boxer (1997), œuvre choc dans laquelle il se mue en un ancien membre de l’armée républicaine irlandaise condamné à quatorze années de prison pour un attentat qu’il n’a pas commis. Ses coups de poing à l’écran sont d’autant plus réels qu’il s’est entraîné pendant un an et demi avec Barry McGuigan, champion britannique des poids plumes en 1983.

The Boxer est un curseur dans la carrière de l’acteur. À partir de ce moment, il espace ses apparitions à l’écran de trois à quatre ans. Quand, en 2002, il revient sur le devant de la scène avec Gangs of New York, sous la direction de Martin Scorsese, il crée l’événement et vole même la vedette à la superstar Leonardo DiCaprio. Il faut dire que sa prestation sous les traits du sanguinaire Bill le Boucher, dans le New York ravagé du XIXe siècle, est proprement stratosphérique. Son secret ? Avoir appris le maniement des couteaux tout en écoutant du Eminem à fond les oreilles.

“J’écoutais ça tous les matins, vers cinq heures, notamment ‘The way I am’. Je l’admire beaucoup. Je suis toujours à la recherche de musiques qui pourraient être utiles à un rôle”, expliquait Day-Lewis à Rolling Stone lors de la sortie de Gangs of New York.

Pour la petite histoire, il s’est même chopé une pneumonie sur le plateau pour avoir refusé d’enfiler des polaires, qu’il jugeait anachroniques. “Je dînais souvent avec lui pendant qu’on tournait, a raconté Scorsese au magazine. Même s’il arborait des vêtements modernes, ça ressemblait toujours à ce que Bill le Boucher aurait pu porter.”

“Mister President”

“Pour There Will Be Blood, ma femme et mes enfants étaient à mes côtés tout du long, se souvient Daniel Day-Lewis dans une interview donnée à The Independent, en février 2008. Ça les a rendus un peu dingues d’avoir ce mec en tant que papa à la maison”.

L’acteur fait ici référence au personnage de Daniel Plainview, prospecteur misanthrope en quête d’or qui devient patron d’une importante entreprise de forage pétrolier. Sous la direction de Paul Thomas Anderson, le comédien livre une de ses prestations les plus spectaculaires, flirtant avec la folie pure.

Pour les besoins de Lincoln de Steven Spielberg, il se fait carrément appeler “Mister President”. Le papa d’E.T. n’est d’ailleurs pas près d’oublier cette collaboration de sitôt, comme il l’a indiqué en janvier 2013 au Irish Examiner :

“J’ai travaillé avec beaucoup d’acteurs formidables qui apportent tous une plus-value à leurs personnages. […] Tout le monde a une technique différente et, très franchement, je me fiche de savoir comment chacun arrive à ses fins, pourvu qu’il le fasse. Mais je dois dire que collaborer avec Tom Hanks et Daniel Day-Lewis, ce sont des expériences de cinéaste qui changent une vie.”

De retour avec PTA 

Cette année, Daniel Day-Lewis retrouve Paul Thomas Anderson dans Phantom Thread. L’occasion pour la star de se glisser dans la peau du couturier Reynolds Woodcock, une sommité de la mode dans le Londres des années 1950.

Et de faire des étincelles. Il y a quelque chose de réellement grandiose et de jubilatoire à voir Day-Lewis, l’un des acteurs les plus obsessionnels du paysage cinématographique mondial, se frotter à un homme encore plus jusqu’au-boutiste que lui dans l’exercice de son art. Cette mise en abyme est, sans nul doute, une des forces de cette réalisation tour à tour élégante et suffocante.

Là encore, l’acteur a appliqué sa méthode : il a été le stagiaire de l’éminent Marc Happel, directeur du département des costumes du New York City Ballet. Résultat : il est parvenu à confectionner, tout seul, une robe à son épouse. La classe ! “On ne travaille pas avec Daniel Day-Lewis mais avec le héros qu’il interprète, a lancé tout récemment Paul Thomas Anderson dans le talk-show de Jimmy Kimmel. C’est un vrai plus pour un réalisateur que d’avoir, devant soi, son personnage tridimensionnel. Vous n’avez plus qu’à le suivre et le filmer.”

Très fragilisé par l’aventure Phantom Thread, Day-Lewis a avoué à W Magazine avoir ressenti une profonde tristesse à l’issue du tournage, une dépression. Selon lui, un temps mort s’impose. Nous attendrons donc patiemment. Son retour n’en sera que plus précieux.