Space Jam : l’histoire secrète du tournage d’un film générationnel

Space Jam : l’histoire secrète du tournage d’un film générationnel

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(© Warner Bros.)

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Par Arthur Cios

Publié le

Michael Jordan, Bill Murray et Bugs Bunny : un film qui résume à lui tout seul une époque.

Quand on parle de Space Jam, on pense à une espèce de madeleine de Proust, un visionnage enfant d’un film culte en devenir. On pense au titre “I Believe I Can Fly”, on pense aux propos fous du film, au méga dunk de fin de Michael Jordan, à des scènes incroyables alliant des Looney Tunes animés et le plus grand basketteur de l’histoire. Bref, un film d’enfance, innocent, qui a marqué une voire plusieurs générations.

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Sauf que l’histoire est un poil plus compliquée. The Last Dance l’a prouvé dans son épisode 8 : le tournage de Space Jam a été lancé alors que MJ faisait son grand retour en NBA après un passage d’un an et demi dans le baseball, juste après qu’il a essuyé la première défaite pour le titre avec les Bulls depuis 1990. Il n’est pas, en tout cas plus vraiment, au sommet de sa gloire et son talent. Sans parler de l’envers du décor…

De la naissance du projet à sa sortie dans la douleur, voilà l’histoire secrète d’un film culte.

D’une pub pour Nike à un film avec la Warner

L’une des premières choses à savoir sur ce film est que le réalisateur du long-métrage, Joe Pytka, n’est pas un cinéaste très connu au moment où le projet voit le jour. En réalité, il a fait ses armes dans le milieu de la publicité et quelques clips musicaux (en majorité pour Michael Jackson), et son expérience dans le cinéma se résume à un long-métrage, Deux dollars sur un tocard, un film obscur sorti en 1989.

Mais parmi les publicités qu’il a tournées pour Nike, Pytka a réalisé un drôle de spot. Le patron du service marketing de la marque à la virgule, Jim Riswold, lui propose en 1992 de faire se rencontrer Michael Jordan et Bugs Bunny le temps d’une pub. En ressort un clip qui a pris un petit coup de vieux, un chouïa kitsch, mais qui contient une bonne partie de l’ADN de Space Jam.

Au départ, Pytka refuse ce projet de pub. Puis il se ravise et l’accepte, à une condition : la Warner, qui détient les droits des Looney Tunes, doit autoriser la modernisation du personnage. “Nous avons passé un sale temps à faire en sorte que la pub se fasse”, se rappelle l’intéressé dans les colonnes du magazine américain Entertainment Weekly, expliquant qu’il a dû se battre pendant des mois avec les studios américains.

Au final, la maison mère approuve le projet, et tout se passe sans accroc. La publicité sort pendant le Super Bowl 1992 et fait fureur. Ce qui va donner quelques idées à la Warner, rassurée de voir que son personnage est encore d’actualité et qu’elle peut l’associer à Michael Jordan. Pendant ce temps, le cinéaste retourne à ses activités. Il retrouve MJ pour une campagne Hare Jordan (avec un certain Larry Bird) et une deuxième pub avec Jordan et Bugs.

Puis, fin 1994, le réalisateur entend parler d’un projet de film semblable à sa pub – une idée qui vient en réalité de David Falke, l’agent de Michael Jordan qui est allé voir la Warner pour vendre le projet. Sauf qu’à la grande surprise de Joe Pytka, personne ne le contacte pour réaliser le projet.

Vexé, il continue à plancher sur ses tournages en cours (de publicités donc), jusqu’à ce qu’un mois avant le lancement de la production du film début 1995, la Warner décide de le contacter. Il faut dire que l’exercice est difficile, et qu’il est l’un des rares à avoir mêlé de l’animation à du live action avec Robert Zemeckis – qui aurait trouvé que Qui veut la peau de Roger Rabbit, selon les dires de Pytka, était une des choses les plus dures qu’il ait eues à faire et qu’il ne le referait jamais.

Pytka accepte, et c’est là que les choses se compliquent un peu.

La pré-production, un véritable parcours du combattant

La Warner rend l’exercice compliqué pour le cinéaste, l’empêchant d’avoir un contrôle créatif sur le projet. Si on le laisse réécrire le scénario pour laisser sa patte, certaines scènes sont supprimées. Pire : Spike Lee, ami de Pytka, lui propose de l’aider à polir le script, mais le studio refuse.

Il faut dire que ce dernier a un passif avec le studio, parce que la Warner n’avait pas mis assez d’argent sur la table pour son Malcolm X, qu’il avait demandé à des amis de participer à la production et que ça n’avait pas plu au studio. La légende veut qu’il ait eu son impact sur le scénario de Space Jam malgré tout, mais officiellement, le studio l’avait interdit.

L’une des choses que Pytka apporte dans sa réécriture est le rapprochement du scénario avec la vie réelle de Michael Jordan. Comprendre l’aspect gamin qui rêve de devenir un grand joueur, le passage sur la retraite dans le baseball, etc. Une manière de mieux coller à l’actualité, et aussi de permettre au principal intéressé de réussir à comprendre les sentiments que ressent son personnage.

Une fois sa copie rendue, il peut se concentrer sur un élément plus difficile qu’il n’y paraît : le casting. En tant que tels, tous les joueurs qui ont un rôle ou un caméo sont assez simples à dégoter. C’est pour le reste que le cinéaste galère à ramener du monde. Il explique ainsi, toujours pour Entertainment Weekly :

“Nous avons vraiment beaucoup de mal à caster tous les personnages secondaires parce que les gens ne voulaient tout simplement pas être dans un film avec Michael Jordan et Bugs Bunny. Je veux dire, ils allaient bosser avec un personnage animé et un athlète – sérieusement ? Ils ne voulaient juste pas le faire.”

Et c’est sans parler des idées de casting rejetées par le studio. Pour jouer l’assistant publiciste de Jordan, Pytka songe à Michael J. Fox. La Warner lui dit non. Il propose alors Chevy Chase. Même réponse. Ils finiront par se mettre d’accord pour Wayne Knight, que l’on connaît de Seinfield et Jurassic Park – un excellent choix au demeurant.

Bill Murray, l’une des clés qui a fait de Space Jam un film aussi culte, a failli ne pas en être. Ce dernier ne voulait pas faire partie des scènes comportant de l’animation et ne devait être au départ présent que pour les parties de golf avec Michael Jordan. Jusqu’à ce qu’un jour, lors du tournage, il discute avec le réalisateur, qui se souvient :

“Pendant que nous tournions les scènes de golf, il m’a demandé comment je gérais avec les acteurs qui devaient bosser avec les personnages animés. Quand il a compris comment nous faisions, nous avons réécrit plusieurs scènes en plus pour lui vers la fin du film, pour qu’il soit de retour pour un match de basket.”

Il faut dire que l’exercice est particulier.

Un tournage (vraiment) pas comme les autres

On est en 1995. Si les effets spéciaux numériques commencent à devenir une norme au sein de l’industrie hollywoodienne, les fonds verts ne sont pas très répandus. Spielberg vient de frapper fort avec Jurassic Park, mais tout le film n’est pas non plus tourné sur fond vert. Ici, Pytka évite les emmerdes (notamment grâce aux conseils avisés de Zemeckis) et tourne toutes les séquences animées sur fond vert, avec des joueurs de basket en combinaison de la même couleur, donnant des séquences ubuesques.

Heureusement, Michael Jordan est professionnel sur le tournage, selon le réalisateur. Toujours à l’heure, connaissant toutes ses lignes de dialogues (en partie grâce à l’acteur T. K. Carter, qui l’aide à mieux apprendre son texte), faisant son possible pour rendre la création de ce film la plus simple possible. Et ce même si des internes à la Warner ramenaient régulièrement des invités voulant prendre des photos avec MJ — “ce qui le rendait fou”, comme Pytka l’expliquait il y a peu au Los Angeles Times.

En revanche, MJ n’ayant fait son retour en NBA que depuis quelques mois, ce dernier devait s’entraîner durement pour récupérer son niveau d’avant après une longue pause. Le tournage se déroule pendant l’été 1995, parfait pour se remettre d’aplomb. L’une des conditions imposées à la Warner est que Jordan ait un terrain pour s’entraîner à côté du lieu de tournage.

Le fameux Jordan Dome à dans les studios de la Warner
Le fameux Jordan Dome dans les studios de la Warner.

Le studio lui construit alors un dôme en plein milieu du complexe de la Warner à Hollywood, où l’on trouve tout le matériel nécessaire pour s’entraîner. Ainsi, il tournait de 7 heures à 19 heures, avec une pause de deux heures au milieu pour faire de la muscu, puis, de 19 heures à 22 heures voire 23 heures, des collègues venaient taper du ballon avec lui.

Avec ces matches, MJ a ramené la crème de la crème : Dennis Rodman (avant qu’il ne signe chez les Bulls), Reggie Miller, Patrick Ewing (qui joue dans le film), Charles Barkley (qui joue également dans le film), Magic Johnson, et plein d’autres. Le réalisateur s’amuse lui aussi à jouer un peu avec Michael, en un contre un. Malgré toutes les galères, les deux s’amusent sur le tournage.

Ce qui ne plaît pas à tout le monde. Comme Pytka le raconte sur son site, sa relation avec les équipes des animateurs était, au départ tout du moins, très tendue. Lors de son arrivée sur le projet, il fait virer le chef du département animation car il n’avance pas. Forcément, les relations ne s’améliorent pas tout de suite avec le reste, qui n’aime pas, selon ses dires, son sens de la rigueur.

Il raconte :

“Joe Lima [qui dirigeait l’animation sur sa pub Nike et que Pytka vient de recruter sur le projet, ndlr] et moi-même faisions des story-boards puis on les donnait aux animateurs. Ça les rendait fous. Deux outsiders qui les poussaient à bout. Je voyais leur boulot et rejetais tout en bloc sans rien dire. C’était nul.”

À force de les pousser à bout, les animateurs ont fini par accepter les méthodes de travail du réalisateur. Même si certaines pratiques n’ont jamais pu passer, notamment les scènes qu’il improvisait sur le plateau qui les rendaient “tous fous” – et, à le croire, cela se produisait assez régulièrement. 

Mais le contrat est tenu : le 30 septembre 1995, le tournage est terminé. La post-production va plancher dessus pendant un an, demandant l’aide de près de 400 animateurs, dont certains bossent à ce moment-là pour un autre film (Excalibur, l’épée magique), appelés en secours à la dernière minute. Pendant ce temps, Michael Jordan va retrouver son meilleur niveau, gagnant le titre en 1996, quelques mois avant que le film ne sorte en salles. Une légende parmi les légendes.

Si la réception est timide de la part des critiques, le succès en salles est immense – et les ventes de produits dérivés vont rapporter plus d’un milliard de dollars au total ! Une belle opération, qui avait tout pour être foireuse, mais qui a marché – reste à voir si la suite avec LeBron James sera aussi fructueuse et importante dans la pop culture que l’original.