Critique : éprouvant et sans concession, Pleasure sonde l’industrie du X

Critique : éprouvant et sans concession, Pleasure sonde l’industrie du X

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Par Manon Marcillat

Publié le , modifié le

Le film de Ninja Thyberg a mis une claque au public de Deauville.

Pour la première fois, une femme a posé son regard de cinéma sur l’industrie pornographique. La Suédoise Ninja Thyberg nous l’a confirmé, elle est bel et bien la première femme à réaliser une fiction sur le porno (avant elle, Jill Bauer et Ronna Gradus avaient notamment réalisé le documentaire Hot Girls Wanted en 2015, suivi de la série documentaire Hot Girls Wanted: Turned On en 2017).

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Ce premier film est décliné de son court-métrage du même nom, présenté à Cannes en 2013 et dont l’action se déroulait en Suède. Cette fois, la réalisatrice a vu plus grand et réalise un long-métrage qu’elle délocalise à Los Angeles, centre névralgique de l’industrie pornographique. Et ces 1 h 45 sont un véritable exercice d’équilibriste parfaitement maîtrisé, jamais tout noir ou tout blanc, mais tout en nuance de gris sous un vernis bonbon qui a mis une claque au public de Deauville.

Pleasure est une réussite dès l’écriture de son personnage principal. Ninja et son actrice l’ont composé à deux et, ensemble, elles ont passé du temps sur les plateaux de films X pour se familiariser avec cette industrie, rencontrer les vraies personnes qui en tiennent les ficelles et désacraliser la nudité. Sofia Kappel, qui signe ici sa première apparition à l’écran et certainement la performance d’une vie, interprète Bella, une jeune Suédoise de 20 ans débarquée à Los Angeles pour devenir la prochaine grande porn star. Elle est ambitieuse et indépendante et, surtout, elle est ici de son propre fait, “parce qu’elle aime baiser”.

L’important n’est donc pas de savoir pourquoi elle est là ni de chercher un potentiel traumatisme du passé, car cette question est rapidement éludée dans une séquence très efficace. Bella n’a aucun passif familial traumatisant et le seul pont entre sa vie en Suède et sa nouvelle réalité aux États-Unis est érigé au travers d’une conversation téléphonique avec sa mère, qui encourage sa fille à persévérer dans son expérience américaine, la pensant serveuse dans un bar californien. Ce qui compte pour Bella, la réalisatrice et le spectateur est désormais de comprendre où elle va.

La suite est trash, éprouvante et sans concession mais rien n’est jamais gratuit. Dans une scène d’une extrême violence, Bella accepte de se faire brutaliser par deux partenaires masculins pour une performance hard-core supposée lui ouvrir les portes du clan des Spiegler Girls, “l’élite du porno”. Elle souffre et on ne sait jamais ce qui est du jeu ou ce qui ne l’est pas. À mesure que la scène s’étire, le malaise du spectateur grandit. On reprend enfin notre souffle lorsque Bella demande une pause et que ses deux impressionnants partenaires redeviennent instantanément bienveillants et réconfortants.

Mais lorsqu’elle décide que c’est définitivement trop pour elle, le réalisateur s’emporte, lui reprochant une perte de temps et d’argent. Cette scène encapsule toute l’ambivalence de cette industrie que veut décortiquer la réalisatrice. Si le consentement est contractuellement présent en plateau et que les acteurs et actrices sont encadrés, rien n’empêche la pression, le harcèlement et la culpabilisation.

Ninja Thyberg a un passé de réalisatrice de porno féministe et Pleasure s’inscrit dans la continuité. Elle questionne en permanence son regard et il est évident que chaque plan, chaque séquence a été analysée selon différentes perspectives pour montrer la réalité du porno sans en reproduire les images traditionnelles. Il y a nécessairement beaucoup de nudité frontale mais elle est masculine, et la réalisatrice place sa caméra de façon à toujours préserver Bella.

Si l’héroïne est objectifiée par cette industrie, le véritable challenge du film est de réussir à montrer l’objectivation de l’héroïne par l’héroïne, celle de sa propre volonté mais en prenant son parti. Ainsi, les scènes de sexe sont souvent filmées en caméra subjective, et le hors-champ permet au spectateur de s’identifier à elle, sans voyeurisme.

Plus jeune, Ninja Thyberg a été une militante féministe engagée contre le porno, mais Pleasure ne condamne pas ceux qui le fabriquent, qui pour certains ont collaboré au projet. Avec ce film, elle préfère interroger et créer des discussions pour voir plus loin que les stéréotypes qui déshumanisent ces travailleurs du sexe. Avec beaucoup d’intelligence, elle propose donc une fin ouverte que chacun interprètera à sa manière après une dernière séquence édifiante où Bella, abîmée par cette industrie misogyne, reproduit sur sa partenaire les violences qu’elle a elle-même subies.

Après avoir assommé le festival de Deauville, Pleasure sortira en salles le 20 octobre prochain.</em