Cannes : un documentaire poignant ressuscite la reine de la soul Whitney Houston

Cannes : un documentaire poignant ressuscite la reine de la soul Whitney Houston

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Par Mehdi Omaïs

Publié le

Cinq ans après son docu Marley, consacré au roi du reggae, le cinéaste et mélomane écossais Kevin McDonald sest penché avec brio sur le destin contrarié de Whitney Houston. Son nouvel opus, sobrement baptisé Whitney, sortira en salle le 26 septembre. Il a été présenté en avant-première à Cannes, hors compétition et en séance de minuit.

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Mais que s’est-il passé entre la fin des années 1980, où Whitney Houston explosait mondialement avec son tube pop “I wanna dance with somebody”, et ce sordide 11 février 2012 où la chanteuse, alors âgée de 48 ans, a été retrouvée morte noyée ? Qu’est-ce qui a vrillé ? Pourquoi cette issue tragique qui a mis la planète en émoi ? Avec son documentaire Whitney, présenté hors compétition à Cannes, Kevin McDonald propose sinon des explications, du moins des pistes de réflexion, en investissant avec mesure et aplomb la face intime d’une superstar écartelée entre l’ombre et la lumière.

Le documentaire s’ouvre sur ce rêve, visiblement récurrent : elle est poursuivie, elle cavale pour échapper au diable. Elle ne veut pas qu’il la touche et qu’il déverse ses ténèbres sur elle. Ironie du sort, c’est par ses propres démons que Whitney Houston s’est laissé dévorer insidieusement, avec l’acharnement d’un goutte-à-goutte meurtrissant. Ils étaient nombreux à habiter son esprit, à le corrompre lentement, jusqu’à le rendre malade, faisant taire toutes les voix de sa palette insensée. Le mal-être l’a rongée, a rogné ses horizons et l’a décharnée. De reine olympienne, elle a été reléguée au statut du rebut bankable des tabloïds et allègrement moquée pour ses addictions.

Le divorce, ce basculement

Whitney en témoigne. Il s’agit d’une œuvre profondément triste qui, une fois n’est pas coutume dans le milieu musical, raconte la solitude oppressante de ceux qui ont pourtant des millions de fans, une armada d’amis, des conseillers à foison… C’était le cas de Whitney Houston. Bien qu’entourée en permanence par sa mère (ancienne chanteuse), avec laquelle elle avait une relation fusionnelle, et par ses frères, qui ont eu une très mauvaise influence sur elle, c’est au sein de la famille que surgit la première fêlure de son existence. En effet, la diva ne s’est jamais vraiment relevée du divorce de ses parents. Elle pensait le foyer stable, sûr, suffisamment douillet pour s’y lover à l’infini.

Elle a déchanté. Selon les nombreux témoignages qui ponctuent le documentaire, c’est probablement ce qui l’a poussée à supporter pendant trop longtemps son mari Bobby Brown. Elle a voulu croire à la symbolique du mariage, aux promesses qu’il draine. La violence s’en est mêlée. La drogue aussi. Elle a tenu le cap, sûrement pour ne pas reproduire cette séparation traumatique, celle de ses parents. Avant d’imploser. Au fil des images, Whitney semblait être une marionnette dont les fils étaient tirés par d’autres. Il apparaît presque que sa propre personnalité s’en fut amputée. Qui était-elle ? Qui aimait-elle vraiment, elle qui fut très proche – trop pour certains – de sa meilleure amie homosexuelle Robyn Crawford (la seule qui n’apparaît pas dans le film) ? A-t-elle vécu un instant pour elle-même ?

De modèle à paria…

Kevin McDonald a clairement réussi son pari : se rapprocher de Whitney, de ses secrets, de ses mystères. Sûrement parce qu’il n’en était pas particulièrement fan. De fait, cela lui a donné le recul parfait pour jeter un regard honnête sur une destinée douloureuse. Pour ce faire, il est allé à la rencontre de soixante-dix personnes de l’entourage de la chanteuse, vies privée et publique confondues. Autant de voix qui ont façonné un portrait nouveau d’une chanteuse qui a échappé à ses aficionados autant qu’aux membres de sa propre famille. Les doutes, les non-dits, les secrets – à l’instar de cet abus sexuel dont elle a été victime enfant –, toutes les pièces d’un puzzle ramifié se mettent en place sous nos yeux humides.

Généralement, les gens retiennent deux choses chez Whitney : la consécration avec son rôle dans Bodyguard, pour lequel son fameux “I Will Always Love You” est devenu le single le plus vendu de tous les temps par une chanteuse, et les images médiatisées de sa descente aux enfers, faite de drogues et d’excès. Kevin McDonald tente donc de nous faire comprendre le pourquoi du comment. À travers d’incroyables images d’archives, il scrute les signes avant-coureurs, la pression, les blessures d’antan, sans sombrer dans l’impudeur ou le sensationnalisme. Le ton est mesuré et rend justice à la folle carrière de son sujet, auréolée de 200 millions d’albums vendus. Il rappelle par ailleurs combien sa renommée a compté pour la communauté afro-américaine.

Whitney Houston a ému les cœurs et les âmes, a bousculé les lignes, ne serait-ce qu’en échangeant ce sublime baiser – si fort et précieux dans une industrie de cinéma tristement corseté – avec Kevin Costner dans Bodyguard. Les prix sont tombés, les égards ont plu, les projecteurs l’ont divinisée. Et les ténèbres ont repris leurs quartiers. Elle s’en est sûrement allée avec sa part de mystère, sa part de magie aussi. On supputera encore et toujours. On cherchera à savoir, à comprendre le cauchemar dans lequel elle a basculé. Mais ce documentaire, bien qu’il dépeigne sans détour les travers qui l’ont enchaînée, participe clairement à la rendre éternelle, intemporelle et si furieusement proche de nos cœurs. Nous aussi, et nous te le disons en français, nous t’aimerons pour toujours, Whitney.