Bruce Lee fait son grand retour au cinéma avec 4 œuvres restaurées 

Bruce Lee fait son grand retour au cinéma avec 4 œuvres restaurées 

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Par Mehdi Omaïs

Publié le

Bruce Lee est une légende de la pop culture. Cette semaine, quatre de ses films ressortent en version restaurée. L’occasion de les évoquer avec Christophe Champclaux, spécialiste de son œuvre.

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Il trône au panthéon de la pop culture, aux côtés de Marylin, Elvis ou Kurt. C’est un prince des arts martiaux. Un dieu vivant pour des fans de toutes générations, partout dans le monde. Quarante-cinq ans après sa disparition, autour de laquelle bien des mystères demeurent, Bruce Lee est plus que jamais présent dans les mémoires. Ses tenues, ses gestes virtuoses, ses cris, sa vitesse, sa fougue ont contribué à faire de lui une figure qui transcende les époques.

“Bruce Lee a servi de porte d’entrée dans le cinéma de Hong Kong et plus généralement dans l’ensemble du cinéma de genre asiatique, lequel était totalement ignoré des Occidentaux au début des années 1970”, explique Christophe Champclaux, journaliste et historien du cinéma, auteur de l’ouvrage Le Combat selon Bruce Lee (Guy Trédaniel Éditeur, 2013).

“Son irruption sur les écrans du monde entier est par ailleurs contemporaine de l’explosion de la blaxploitation. Pour la première fois, on voyait apparaître des héros issus de ce que l’on appelait à l’époque avec condescendance ‘le tiers-monde’. Le modèle fictionnel occidental toujours marqué par l’arrogance coloniale était pour la première fois battu en brèche, avec une détermination, une efficacité et une énergie jamais vues à l’écran”, poursuit le spécialiste.

Cette semaine, au Publicis des Champs-Élysées (d’autres salles de cinéma suivront peut-être), les Parisiens auront la chance de (re)découvrir quatre de ses œuvres majeures, restaurées en 4K par les détenteurs des droits chinois : Big Boss, La Fureur de vaincre, La Fureur du dragon, et Le Jeu de la mort, projetés dans leur montage cinéma. Du jamais vu pour tous les fans de celui que l’on surnommait, à juste titre, le Petit Dragon.

Selon Christophe Champclaux, cette initiative est une chance exceptionnelle : “Bruce Lee n’a jamais reçu de la part de la cinéphilie institutionnelle, des revues, des festivals, des cinémathèques les égards qu’il mérite. […] Cela constitue en tout cas un pas de plus vers la reconnaissance critique de cet acteur-auteur unique dans l’histoire du cinéma.” Pour Konbini, il a accepté de revenir sur les quatre films restaurés, d’en livrer les secrets, d’en analyser la résonance. Morceaux choisis.

  • Big Boss de Lo Wei (1971)

Souvenez-vous… Bruce Lee incarne Cheng Chao-an, un ouvrier de la campagne ralliant la banlieue de Bangkok. Il s’installe chez des cousins qui lui trouvent un travail dans une fabrique de glace. Nommé contremaître à la suite d’une bagarre, Cheng découvre que l’usine sert de paravent à un réseau de drogue et de prostitution… À l’époque où le film est tourné, les syndicats ouvriers sont encore interdits en Thaïlande, et les patrons avaient des droits de seigneurs féodaux.

Cinq années se sont écoulées depuis Le Frelon vert et la façon de combattre à l’écran du Petit Dragon a évolué, en partie à cause de l’évolution de sa pratique personnelle. Les coups de poing s’éloignent de ceux du wing chun pour s’approcher de ceux de la boxe anglaise. Les postures restent encore relativement basses comparées à celles que l’on verra dans les films suivants. Et surtout, Bruce Lee, tournant le dos à ses propres enseignements, multiplie les coups de pied au visage pour le côté spectaculaire.

L’influence de Han Ying-chieh, le chorégraphe qui interprète également le rôle du méchant, s’avère elle aussi déterminante. Des figures peu réalistes mais très payantes sur le plan visuel, directement empruntées aux films de sabre mandarins sont ainsi recyclées, comme l’image du héros encerclé d’ennemis. Il s’agit d’une stratégie suicidaire en combat réel, mais à l’écran, elle renforce l’image d’invincibilité du héros qui, naturellement, se sort du piège sans dommages.

On trouve également dans Big Boss les fameuses “techniques volantes” utilisées par les chevaliers errants du cinéma chinois, entretenant plus de parenté avec les dessins animés de Tex Avery qu’avec les arts martiaux traditionnels.

Le film sort à Hong Kong le 31 octobre 1971. Au-delà des scènes de combat, c’est le charisme incroyable de Bruce Lee qui assure le succès du film.

  • La Fureur de vaincre de Lo Wei (1972)

Nous sommes en 1908. Chen Zhen rentre précipitamment à Shanghai pour assister, impuissant, aux funérailles de son maître Huo Yuanjia, mystérieusement décédé. Il se lance alors dans une quête effrénée de vengeance contre l’école japonaise rivale qu’il tient pour responsable de cette mort. À l’issue de sa folle odyssée, Chen se retrouve face au consul japonais : “Je ne regrette rien de ce que j’ai fait et je suis prêt à payer.”

Tout comme Big Boss, ce second film est réalisé par Lo Wei avec qui Bruce Lee ne s’entend plus du tout. Le scénario de Ni Kuang (La Rage du tigre, La 36e Chambre de Shaolin) est inspiré d’une histoire vraie bien connue du public chinois. Ici, Bruce Lee abandonne en revanche l’impassibilité naïve de son personnage de Big Boss et livre une interprétation enragée, magnétique qui, par sa surcharge même, fascine les spectateurs.

Il introduit le nunchaku ainsi que ses célèbres cris et la superbe chorégraphie est toujours assurée par Han Ying-chieh. Le film sort sur les écrans de Hong Kong le 22 mars 1972 et dépasse le succès de Big Boss. Bruce Lee, en revendiquant la fierté nationale des Chinois humiliés, devient l’idole absolue des habitants de la colonie britannique de Hong Kong. Dans les mois et les années qui suivront, ce seront les opprimés du monde entier qui se reconnaîtront dans son combat.

  • La Fureur du dragon de Bruce Lee (1972)

Le récit s’articule autour de Tang Lung, qui arrive à Rome pour aider sa cousine dont le restaurant est menacé d’expropriation par des mafieux. Ce film est la première réalisation de Bruce Lee. Au niveau technique et narratif, on est en dessous des comédies de baston qu’Enzo Barboni réalisait à la même époque pour le duo composé par Terence Hill et Bud Spencer.

Le résultat reste néanmoins passionnant pour tous les aficionados puisqu’on y retrouve nombre de thèmes chers au Petit Dragon – notamment celui de “tuer le vieux”, la rupture avec la tradition. Les scènes de combats sont magnifiques et le fabuleux duel final contre Chuck Norris dans le Colisée reste le sommet incontestable de l’œuvre de Bruce Lee.

Le maître d’armes Han Ying-chieh n’est plus au générique et les chorégraphies du film sont dépouillées des figures les plus irréalistes du cinéma mandarin comme les coups volants ou le tableau du héros emprisonné par un cercle d’ennemis. C’est dans ce film que l’on peut juger au plus près de ce que pouvait être le véritable jeet kune do [art martial pratiqué à mains nues, ndlr], même si Bruce Lee ne se prive pas de distribuer des coups de pied périlleux à placer en combat réel.

  • Le Jeu de la mort de Bruce Lee et Robert Clouse (1978)

Billy Lo, un acteur de films d’arts martiaux, refuse de se soumettre au chantage de la mafia et se retourne contre ses agresseurs. Pour le grand public, Le Jeu de la mort est le film le plus populaire après Opération Dragon [réalisé par Robert Clouse et dernier film dans lequel Bruce Lee a tourné avant sa mort en 1973, ndlr]. Lorsqu’il sort en France en août 1978, l’attente est à son comble. “Cinq ans après sa mort, son dernier combat”, lit-on sur les affiches [Le tournage, commencé en 1972 sous la houlette de Bruce Lee, est repris après sa mort par Robert Clouse, ndlr].

Détail troublant : la reconstitution de la mort de Chen Zhen dans La Fureur de vaincre, au cours de laquelle les mafieux tentent d’assassiner le héros, annonce en fait la scène de The Crow (1994), sur laquelle Brandon Lee trouva la mort. Le personnage de Billy Lo est incarné par un jeune acteur coréen, Kim Tae-jeong, doté d’une excellente technique de jambes. Bruce Lee ne figure que dans les combats de la dernière bobine. Dans le reste du film, il n’apparaît que dans des inserts pris dans ses trois précédentes productions chinoises. Pas grave. Le combat contre la star des Lakers de Los Angeles, Kareem Abdul-Jabbar, devient instantanément aussi culte que celui du Colisée contre Chuck Norris.

La différence de taille et le survêtement jaune que reprendra Tarantino dans Kill Bill (2003) sont restés dans toutes les mémoires. En réalité, ce ne sont pas 11 mais 38 minutes que Bruce Lee a réalisées à l’automne 1972 avant d’entamer la préparation d’Opération Dragon. Enfin découvert entre 2000 et 2002 au travers de mauvais transferts en bonus de plusieurs éditions DVD officielles de la version de 1978, ce métrage original exceptionnel est attendu en HD avec la plus grande impatience.