Avec Boyhood, Richard Linklater a filmé le temps qui passe comme personne

Avec Boyhood, Richard Linklater a filmé le temps qui passe comme personne

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Par Manon Marcillat

Publié le

Un film magnifique, filmé sur 12 ans.

Hier, Christopher Nolan, né le 30 juillet 1970, a eu 50 ans. Le même jour, Richard Linklater, né le 30 juillet 1960, soufflait ses 60 bougies. Un étonnant hasard du calendrier pour ces deux adeptes des concepts temporels ambitieux qui n’a pas manqué de nous interpeller. 

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Le premier a notamment réalisé Memento et Inception et distord la matière et le temps pour nous pousser hors de nos retranchements. Le second réalise tout l’inverse et s’en tient au temps réel absolu, autant dans la trilogie Before dans laquelle il a réuni les mêmes amants devant sa caméra chaque décennie, que dans Boyhood où il a filmé les mêmes acteurs pendant douze ans.

Cet anniversaire un peu particulier est donc l’occasion de revenir sur Boyhood qui est à la fois l’un des plus beaux films sur le temps qui passe mais aussi une entreprise unique dans l’histoire du cinéma.

“Comme si je m’étais lancé dans un tournage long de 80 ans”

Je voulais réaliser un film sur l’enfance […] mais je n’arrivais pas à me focaliser sur un âge précis”, a déclaré le réalisateur au sujet de son projet fou.

Il a donc choisi Ellar Coltrane, un enfant “intrigant, mystérieux et qui avait des centres d’intérêt originaux pour un garçon de son âge” pour interpréter le jeune Manson. Pendant 12 ans durant, il naviguera entre ses parents divorcés interprétés à la perfection par Patricia Arquette et Ethan Hawke, qui avait déjà accompagné le réalisateur dans ses précédentes explorations temporelles.

“Quand Ellar s’est embarqué dans l’aventure, il avait six ans, ça allait lui prendre douze ans de sa vie, soit le double de son âge. C’était totalement abstrait pour lui. Comme si moi je m’étais lancé dans un tournage long de 80 ans.”

Si trouver le candidat idéal, sans n’avoir aucune idée de son évolution future, a dû nécessiter un difficile travail de projection, le réalisateur n’était certainement pas au bout de ses peines.

Car il lui a ensuite fallu trouver un acteur et une actrice qui acceptent de s’observer – non pas grandir – mais vieillir à l’écran et assumer de voir, en même temps que le spectateur, leur corps et leur apparence changer en moins de 2 h 40 de temps. Si Ethan Hawke avait déjà tenté l’expérience dans la trilogie Before, notre reconnaissance éternelle va à Patricia Arquette pour son rôle.

Une fresque temporelle émouvante et mélancolique

Avec Boyhood, Richard Linklater ne réalise pas seulement un immense projet cinématographique mais également un film unique sur la famille et sa nature évolutive.

Et son projet avait beau être ambitieux et un peu fou, le résultat est aussi simple que beau. Pendant près de 2 h 45, on assiste davantage à une lumineuse chronique de la vie familiale qu’à une véritable saga temporelle.

Débarrassé de tout effet dramatique, le film documente la vie d’une famille texane de la classe moyenne pas même dysfonctionnelle malgré la séparation des parents (si l’on met de côté l’alcoolisme des compagnons successifs de la mère dont on se serait volontiers passés).

Si Linklater a choisi de filmer des moments charnières de l’existence de Manson – déménagements, première rupture et départ pour la fac – il capture surtout l’essence d’ordinaires moments de vie qui viennent ponctuer le film, lui évitant ainsi d’alourdir son histoire et transformant la vie de Manson en un récit universel d’autant plus touchant.

Et parvenir à sublimer des situations du quotidien pour nous émouvoir avec des moments de vie anodins est pour nous l’essence même du grand cinéma.

“Boyhood est un film d’époque au temps présent”

L’autre grande réussite de Boyhood tient à sa fluidité. C’est à la fois un magnifique film sur le temps mais qui ne s’inscrit cependant pas dans une temporalité trop formelle. Si les corps changent et les coupes de cheveux évoluent, nous ne disposons que de très peu de repères temporels pour appréhender ce temps qui passe.

Seule la musique, qui traverse toute une décennie musicale, vient ancrer l’action dans le temps pour nous servir d’indicateur. Et de “Yellow” de Coldplay à “Superman” d’Eminem, en passant par “1901” de Phoenix ou “Deap Blue” d’Arcade Fire, le choix des morceaux, bien que légèrement sous-exploités, nous rend bien nostalgiques.

Le réalisateur parsème également son récit de références à la pop culture qui permettent de situer l’action dans le temps. On assiste ainsi à l’effervescence de la sortie du sixième tome d’Harry Potter ou à un tacle bien senti à Twilight. Père et fils théorisent sur Star Wars ou sur The Dark Knight tandis que l’aînée fredonne “Baby One More Time” de Britney Spears ou encore plus tard “Telephone” de Lady Gaga et Beyoncé. Cinéaste du temps et de son temps, Linklater a su capter en temps réel ce qui durera dans la culture populaire.

S’il n’y a pas de véritable repère temporel dans l’histoire familiale, l’histoire de l’Amérique, celle de la guerre en Irak ou de l’élection d’Obama, s’écrit quant à elle en sous-texte, notamment au travers des convictions du père et des leçons de politique qu’il enseigne tant bien que mal à ses enfants.

Finalement, malgré la durée du tournage et celle du montage final, Boyhood est davantage un album photos familial plutôt qu’un film-fleuve, les Polaroïds se succédant avec fluidité pour un résultat délicat et authentique.

“Tous les ans, je mettais en boîte quelque chose comme 16 ou 17 minutes de film, je les montais, les additionnais à ce qui avait déjà été tourné, puis j’avais encore un an devant moi pour réfléchir à la direction que pouvait emprunter l’histoire, discuter avec les acteurs, laisser leur vie à eux infuser le script. Le cinéma ne permet pas ça, d’habitude. C’était un luxe incroyable.

Merci à Richard Linklater de s’accorder ce luxe qui nous bouleverse chaque fois un peu plus.