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Amour, sexualité et Internet : rencontre avec la jeunesse de Bang Gang

Amour, sexualité et Internet : rencontre avec la jeunesse de Bang Gang

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Par Louis Lepron

Publié le

À l’occasion de la sortie de Bang Gang, on est allé à la rencontre de sa réalisatrice et de ses acteurs. Pour parler jeunesse, construction d’identité et amour à l’époque des réseaux sociaux.

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Deux garçons, deux filles. Alex et Gabriel, George et Laetitia. Lycéens, ils participent à un jeu collectif sexuel pour “repousser leurs limites”. En somme, une orgie entre adolescents. Cette histoire, c’est celle de Bang Gang, qui sort mercredi 13 janvier au cinéma.

On a posé un micro auprès des quatre acteurs principaux et de la réalisatrice, dont c’est le premier long-métrage, Eva Husson. Une rencontre entre deux générations.  Les thèmes abordés ? Un tournage peu ordinaire, les jeunesses, la sexualité et l’amour au temps des réseaux sociaux.

Une histoire tirée d’un fait divers

Konbini | Eva, d’où est venue l’idée de Bang Gang

Eva Husson | Je suis tombée sur un fait divers datant de 1996 que j’ai trouvé fou et étrange. Des lycéens d’une même classe s’étaient adonnés à des dérives sexuelles. Un élément m’a marquée : les gamins venaient d’une cité proche de ma ville natale, sans histoire particulière. Je me suis dit : “Putain, on aurait pu faire un truc comme ça, si on en avait eu l’occasion.” Et puis je me suis posé une question : “Comment on passe d’une vie d’adolescent aussi normale à quelque chose d’aussi extrême ?”

En tant qu’acteurs, qu’est-ce qui vous a attirés dans le projet ? 

Marilyn Lima | La rencontre avec Eva a été très importante. On nous a expliqué le scénario avant même de le lire. Si on en n’avait pas parlé, on n’aurait pas dit oui.

Lorenzo Lefebvre | Eva nous a apporté son regard sur cette histoire, sur le fait divers, comment elle voulait le traiter. Si le scénario ne raconte pas énormément de choses, étant donné qu’il n’y a pas beaucoup de dialogues, tout était question d’image. Elle nous a montré des films et nous a raconté ce que chaque personnage représentait.

Finnegan Oldfield | Bang Gang parle de plusieurs personnages liés par leur solitude. C’est le rapport à l’adolescence, le passage à l’âge adulte. On fait tous plus ou moins des conneries. Moi, ce qui m’a surpris – ce qui n’est d’ailleurs pas forcément réaliste mais qui me plaît parce que c’est du cinéma –, c’est la facilité des personnages à s’entremêler, dès le début du film. Je comprends le côté orgasmique que tout cela peut avoir, la montée et la descente, qu’on peut retrouver dans la prise de drogue : tout ce qui doit monter doit redescendre forcément, au niveau des émotions comme des sentiments.

Marilyn Lima (Crédit Image : Jordan Beline)

Un tournage pas comme les autres

Les scènes d’orgies sont très réalistes. Comment les avez-vous travaillées ?

Eva | C’est l’aspect que j’ai le plus bossé sur le film. Parce que le sexe collectif, c’est pas quelque chose qui me passionne à la base. Il fallait que je choisisse les acteurs avec beaucoup de soin. Les figurants, je les ai vus un par un, je leur ai tous parlé, il fallait qu’ils possèdent un naturel exhibitionniste. Surtout, je ne voulais forcer personne à faire quoi que ce soit et je leur ai bien dit qu’ils avaient la possibilité de refuser, jusqu’au dernier moment. Je ne voulais pas qu’ils puissent regretter le film.

Daisy Broom | Il y a eu beaucoup de répétitions et de discussions. On a fait des chorégraphies et de la danse pour se mettre à l’aise. On a d’abord travaillé habillés. Ça ne s’est pas fait en mode : “Allez, hop, dans le lit, on fait des trucs.”

Eva | À travers les chorégraphies, l’idée était qu’ils fassent une distinction entre eux et leurs personnages, pour que la distance entre fiction et réalité soit tangible.

Finnegan | On a d’abord travaillé ensemble, avec la maison comme cocon. Puis les figurants sont arrivés. C’était jamais évident. Quand tu as ta petite bulle et que des nouveaux arrivent, tu peux être dérangé. Le film parle de ça aussi. Mais tout le monde a joué le jeu. Si tu mets pendant une semaine dans une même maison une cinquantaine de jeunes, tu sais très bien que ça va finir à un moment donné par être la teuf. Ça se ressentait. Il y une scène ou je me balade à poil dans la maison, c’était vrai, quoi. Toutes ces séquences chorégraphiées sont devenues comme un jeu. Une fois la timidité dépassée, c’était marrant.

Eva | J’ai demandé à ce que les téléphones portables soit laissés à l’entrée. Je ne voulais pas qu’il y ait une seule photo perso qui puisse fuiter en dehors du tournage.

Lorenzo Lefebvre (Crédit Image : Jordan Beline)

C’était quoi votre réaction à la lecture du scénario ? 

Daisy | Ça m’a un peu effrayée. Quand tu lis des scènes qui n’existent pas encore, tu t’imagines des choses. Avec Eva on a beaucoup parlé et on savait qu’elle n’était pas du genre à être frontale et à faire dans le trash. Après, on était tous super à l’aise.

Marilyn | À la fin, on se trimballait tous à poil. On avait des peignoirs, mais si on ne les fermait pas, c’était pas grave.

Comment avez-vous vécu le visionnage du film ? 

Marilyn Lima | On se pose plein de questions.

Daisy | C’est surtout un an d’attente…

Finnegan | La première fois, c’était un petit cercle. Je ne me suis jamais vu nu. C’était une nouvelle facette de mon jeu. Pour les premières scènes, je m’agrippais à mon fauteuil, je me faisais tout petit. Après, c’était plus détendu quand je l’ai revu.

Marilyn | On avait surtout rien vu. C’était le suspense. Ensuite, on a eu un soulagement par rapport aux scènes d’amour. Elles sont délicates, loin d’être gore.

Lorenzo | À chaque fois que tu le vois, c’est différent. Le film dans son ensemble, je l’ai trouvé beau. Après, c’est notre propre image qui est plus difficile, de s’écouter et de se voir. Au début, c’est un peu dur.

Daisy | La première fois, on ne regarde que soi. Tu ne te supportes pas.

Eva, qu’est-ce qui vous tenait à cœur dans la réalisation de ce film ? 

Eva | Ce que je trouvais essentiel, c’était de raconter ce parcours d’adolescents qui, malgré leurs expériences extrêmes, se construisaient. C’était d’affirmer que la construction d’une identité passe par des moments durs. Personne ne passe au travers de la vie sans expériences blessantes. Une tradition cinématographique veut qu’à chaque fois qu’un personnage traverse quelque chose de dur, il en ressort brisé. Moi je pense le contraire. Je pense qu’on s’en sort, on se redresse, et ça fait partie de qui on est. Il ne faut pas avoir honte de ça. C’est quelque chose qui peut nous rendre plus beau.

L’intention d’origine, c’était de réaliser une photographie de la jeunesse actuelle ? 

Eva | Je voulais faire émerger des thèmes qui sont fondamentaux pour cette génération. Mais, avec le côté “fait divers extrême”, je ne prétends absolument pas à ce que Bang Gang soit représentatif. Comme un film d’action, ça ne représente pas la vie de tous les jours, même si ça peut dire des choses sur notre société. Je ne prétends pas faire un portrait de la jeunesse.

Finnegan Oldfield (Crédit Image : Jordan Beline)

Les réseaux sociaux au cœur de la jeunesse

Vous avez rajouté des éléments propres aux années 2000, comme les réseaux sociaux… 

Eva | J’ai écrit le scénario à un moment où les réseaux sociaux étaient encore inexistants. Puis j’ai vu la chose émerger et je me suis dit que je ne pouvais pas passer à côté. Je trouve ça passionnant. On est dans une époque où on construit son identité, son image de soi, dans un monde où l’on est en surexposition permanente. Comment est-ce qu’on y arrive ? Quelles sont les limites ? Quand est-ce qu’on redresse la barre ?  En 2016, une expression comme “slut shaming” existe. Il y a la possibilité de répandre certaines erreurs de jugement, qui étaient auparavant plus difficiles à présenter sur la place publique.

C’est finalement ça, l’épée de Damoclès qui plane au-dessus des jeunes d’aujourd’hui ? 

Eva | Oui. À trop s’exposer, on se brûle. Je suis convaincue que les petits frères et petites sœurs font déjà plus attention à ça. Le côté éternel d’Internet va forcément évoluer, ce n’est pas possible que tout reste accessible. Je pense que le droit à l’oubli va être de plus en plus développé, que les comportements personnels et les lois vont évoluer de telle manière qu’il sera possible d’adoucir certaines erreurs malencontreuses. C’était important de le raconter parce que ça revient à cette idée de construire son intimité dans une surexposition permanente. C’est le problème que cette génération doit dénouer.

Daisy | Il y a un risque, oui, parce que des gens qu’on ne connaît pas peuvent voir ce qu’on publie à notre propos. C’est spécial. C’est ce qui se passe dans le film : une vidéo de partouze est diffusée au plus grand nombre.

Lorenzo | Bang Gang raconte cette réalité virtuelle, parallèle. On a une vie difficile à supporter, donc on va donner le change de façon à dire : “Regardez comment je suis bien, regardez comment je suis populaire.” C’est une espèce de grande peinture exhibitionniste qu’on fait de soi.

Quel est votre rapport aux réseaux sociaux et aux applis de rencontre ? 

Marilyn | En général je trouve ça bien bidon de rencontrer des gens en ligne. Ça perd le côté humain, le côté des rencontres tout bourré devant une boîte dans la rue. Ça gâche tout, ça robotise l’amour.

Eva | Ces applications de rencontre, ça revient à cette idée de surexposition. On fait face à une telle quantité qu’à un moment, c’est difficile de gérer. Ce que j’entends, c’est qu’il n’est pas facile de s’y retrouver quand tu peux avoir n’importe qui à 20 mètres et baiser avec n’importe qui en 30 secondes. Il n’en reste pas moins qu’il faut faire un tri.

C’est quoi pour vous le côté “moderne” de l’amour ? 

Lorenzo | Ce qui est intéressant, c’est que l’amour reste le même malgré les évolutions apportées par ces nouvelles plateformes. Le rapport au sexe change, celui à l’amour reste le même. Et c’est le fil rouge du film.

Daisy Broom (Crédit Image : Jordan Beline)

Aujourd’hui, l’intime existe sur Internet, et les parents sont largués

Eva, quelles sont, selon toi, les similitudes et différences entre les jeunes dans les années 1990 et ceux d’aujourd’hui ? 

Eva | Les points communs, ce sont la musique et la drogue. La musique électro a vraiment commencé à devenir populaire dans les années 1990, et elle est toujours aussi présente aujourd’hui. J’ai été dans les premières raves, ces espèces de fêtes infernales, hédonistes, jusqu’au-boutistes.

A contrario, devenir adulte aujourd’hui est radicalement différent par rapport à 1995. À l’époque, l’intime était dans la sphère privée, pas publique. Tout ce qui était intime et hors de la portée de ses parents, c’était dans sa chambre, c’était avec ses potes, c’était chez soi. Aujourd’hui, l’intime existe sur Internet, et les parents sont largués.

Qu’est-ce que vous pensez de cette évolution ? 

Eva | Je pense que chaque génération a son lot de merdes à gérer (rires). C’est pas facile. C’est pas simple de comprendre qui on est. Si, en plus, on le fait sur la place publique, putain ! (Rires) On ne traverse pas la vie comme des princesses et des princes sans blessures, en glissant sur les eaux. Ça n’existe pas. Chaque génération a son lot de drames ou de difficultés. Nous, on avait le sida.

La différence, c’est qu’à l’époque c’était une véritable épée de Damoclès. Quand tu faisais l’amour, tu te disais que peut-être tu allais mourir si tu faisais une connerie. Le rapport à l’acte sexuel est radicalement différent. C’est la génération Kids, le rapport à la mort. Aujourd’hui, le sida ne représente plus la même chose dans l’imaginaire collectif. Parce qu’on est passé à un stade ou l’on peut vivre avec, ça se gère.

Finnegan | Notre génération est soit beaucoup moins effrayée, soit beaucoup plus inconsciente. J’ai des centaines d’exemples de gens que je connais qui ne s’en préoccupent pas du tout. J’ai l’impression que la moitié des personnes mettent des capotes, que tout le monde s’en tape, que le sida n’existe plus. Il m’est déjà arrivé de dire à mon médecin : “J’ai pas un seul ami d’un ami qui a le sida.” Et il m’a répondu : “Détrompe-toi, parmi tous les gens que tu connais, il y en a forcément un qui l’a.” On a l’impression que c’est beaucoup plus léger. C’est une insouciance collective qui est bien retranscrite dans le film.