2021, l’année du sacre des femmes au cinéma

2021, l’année du sacre des femmes au cinéma

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Par Manon Marcillat

Publié le

Cow-boys, porno et voitures : en 2021, le septième art a décidé d’embrasser des réalités féminines plus variées.

La Mostra de Venise a envoyé un nouveau signal en décernant à l’unanimité son Lion d’or, la récompense la plus prestigieuse du palmarès, à la réalisatrice Audrey Diwan, pour L’Événement, adapté du récit autobiographique éponyme d’Annie Ernaux. C’est la seconde adaptation cette année de l’œuvre de l’immense romancière française puisque Danielle Arbid, réalisatrice française d’origine libanaise comme Audrey Diwan, a adapté plus tôt dans l’année Passion Simple, avec Lætitia Dosch, un roman sur le désir féminin et l’attente.

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Quatorze ans après la Palme d’Or au Roumain Cristian Mungiu pour 4 mois, 3 semaines, 2 jours, le droit à l’avortement est également au cœur de L’Événement, film cru et intimiste. Il montre le parcours d’une jeune étudiante, interprétée par la Franco-Roumaine Anamaria Vartolomei, tombée accidentellement enceinte dans la France du début des années 1960, où l’avortement clandestin est puni de prison pour celles qui le pratiquent comme pour ceux qui aident.

(Anamaria Vartolomei dans L’Événement, d’Audrey Diwan)

Malheureusement quand vous travaillez sur l’avortement, vous êtes toujours dans l’actualité“, a déclaré en recevant son prix la réalisatrice française de 41 ans, alors qu’une loi anti-avortement vient d’être votée au Texas. Face à l’héroïne, une société figée : médecins, amis, partenaire, professeur, elle ne trouvera personne pour l’aider. Cadré au plus près du personnage, avec un long plan-séquence durant lequel Anne tente de se faire avorter, le film est éprouvant, se voulant au plus près de la réalité et du calvaire enduré par les femmes qui devaient avorter clandestinement, au péril de leur vie. “Je voulais que ce soit une expérience, un voyage dans la peau de cette jeune femme”, a ajouté la lauréate. 

L’événement est seulement le deuxième film d’Audrey Diwan qui en 2018, avait adapté à l’écran un terrible fait divers dans l’excellent Mais vous êtes fous avec Céline Sallette et Pio Marmaï. Avec brio, elle mettait en images l’histoire vraie d’un père addict à la cocaïne, qui contaminait sa très jeune fille par simple contact et du combat d’une mère pour conserver la garde de ses enfants en préservant ce mari malade qu’elle aime malgré tout. La romancière et journaliste a également cosigné le scénario de plusieurs films dont Bac Nord ou La French de Cédric Jimenez.

“Dites-leur bien qu’on a choisi un film, pas une femme”

Avec ce prix, Audrey Diwan devient la quatrième réalisatrice à recevoir le Lion d’or à Venise depuis l’an 2000. Mais surtout, elle est la troisième femme et la deuxième Française à être récompensée de la plus haute distinction dans les cérémonies les plus prestigieuses du cinéma mondial. Elle succède ainsi à la Sino-Américaine Chloé Zhao, 39 ans, elle-même couronnée l’an dernier à Venise pour Nomadland avant son triomphe aux Oscars, et à la jeune réalisatrice française, Julia Ducournau, 37 ans, Palme d’Or à Cannes avec l’ovni Titane.

À ceux qui regretteraient une distinction purement symbolique,”dites-leur bien qu’on a choisi un film, pas une femme“, conseillait Chloé Zhao, membre du jury de la Mostra, à l’heureuse élue. Car quatre ans après l’affaire Weinstein et le début du grand examen de conscience du septième art, cette ouverture des palmarès les plus prestigieux aux réalisatrices n’est pas le fruit du hasard, ni simplement un symbole.

Au-delà d’embrasser, un peu tardivement, un mouvement féministe qui gagne toute la société, ces récompenses sont également le signal que l’industrie commence à changer à sa racine, et pas seulement en surface dans un simple souci de quota. Après la prise de conscience de la toute-puissance des hommes dans l’industrie du cinéma suite au séisme de l’affaire Weinstein et la libération progressive de la parole, plus d’opportunités et de moyens financiers semblent être donnés aux femmes pour réaliser leurs films, sur des sujets qui leur sont chers et selon leur propre sensibilité.

Mais la sortie d’un film est le fruit d’un long processus et aujourd’hui, ces films sont enfin montrés, sur nos écrans et dans les festivals de cinéma. Ainsi, ces différentes récompenses sont aussi la suite logique d’un processus engagé il y a plusieurs années. “J’ai l’impression que l’industrie a tendance à faire confiance à des femmes, et que c’est au début de cette histoire que le changement se produit. Quand on laisse des femmes faire des films, mathématiquement il y a des chances qu’elles gagnent des prix”, analysait Audrey Diwan à ce sujet ce matin sur France Inter au micro de Léa Salamé.

Des cow-boys, du porno et des voitures

Mais surtout, au-delà du simple genre des récompensé·e·s, ce sont au travers des sujets portés à l’écran que l’on perçoit un renouveau dans l’industrie du cinéma. Après Nomadland en 2020, le jury de la Mostra et son président Bong Joon-ho ont une nouvelle fois choisi de récompenser une expérience féminine et intime et dans le reste du palmarès, plusieurs films sont marqués eux aussi par ces questions. Mais cette année, les prix sont également venus récompenser des regards féminins portés sur des thématiques souvent réservées à la caméra des hommes.

C’est le cas du Pouvoir du Chien, de Jane Campion, qui a permis à la Néo-Zélandaise de remporter le prix de la Meilleure réalisation, 28 ans après sa Palme d’Or pour La Leçon de piano. Le film, huis clos étouffant dans un monde de cow-boys, avec Benedict Cumberbatch et Kirsten Dunst, aborde la question de la masculinité exacerbée et toxique. “Un mur de Berlin est en train de tomber”, a déclaré Jane Campion, à propos de la présence des femmes au palmarès.

Pendant ce temps au Festival du film américain de Deauville, plusieurs premiers films réalisés par des femmes étaient montrés au public tandis que le jury remettait un prix du jury à Pleasure de Ninja Thyberg, première fiction sur l’industrie du porno a être réalisée par une femme (ex-aequo avec Red Rocket de Sean Baker). Par ce film éprouvant et sans concession, la réalisatrice suédoise sonde, avec beaucoup de courage, une industrie plus complexe qu’on ne le croit au travers du portrait d’une jeune suédoise indépendante et ambitieuse qui veut devenir la nouvelle super porn star

(© The Jokers)

Cet été, Julia Ducournau fut récompensée à Cannes pour un film féministe qui dynamitait à sa façon les frontières entre les genres. En s’amusant de l’androgynie de son actrice, tantôt femme object et danseuse sexy dans les salons de tuning, tantôt apprenti pompier taiseux dans une caserne testostéronée, la réalisatrice questionnait ces corps modifiés par l’identité de genre. À Cannes toujours, c’est Renate Reinsve, devant la caméra de Joachim Trier, qui a reçu le prix d’interprétation féminine pour son anti-performance dans Julie (en 12 chapitres).

L’actrice norvégienne incarnait à la perfection une trentenaire en proie à des questionnements féminins divers et on ne peut plus actuels, comme l’angoisse de la maternité, le féminisme et la pratique de la fellation, les règles ou l’infidélité. Récompenser Renate Reinsve d’un prix aussi prestigieux, c’était reconnaître, outre son talent, l’importance de traiter de ces sujets en apparence anodins mais pourtant partagés par une majorité plus si silencieuse.

Pour couronner ce réjouissant tableau du cinéma de 2021, il y a six mois, le jury des Oscars sacrait Nomadland Meilleur film, Meilleur réalisateur et Meilleure actrice. Avec ce troisième film, Chloé Zhao proposait le portrait d’une sexagénaire vagabonde en marge de la société américaine, figure rarissime au cinéma américain et interprétée par Frances McDormand, l’actrice qui ne s’est jamais pliée aux injonctions d’une industrie âgiste. Son voyage était rythmé par des rencontres amicales, familiales, professionnelles mais jamais amoureuses et nous livrait en images une expérience féminine bien peu racontée. 

2021 semble l’avoir enfin compris : récompenser des réalisatrices n’est donc pas une simple question de parité, c’est surtout le moyen d’embrasser et de donner voix à des réalités plus variées, qu’elles soient des histoires de cow-boys, de porno ou de voiture. Pourvu que ça dure.