“Pour se révolter, il ne faut plus rien avoir à perdre” : Jean-Patrick Benes filme une France apocalyptique dans Arès

“Pour se révolter, il ne faut plus rien avoir à perdre” : Jean-Patrick Benes filme une France apocalyptique dans Arès

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( © Gaumont Distribution )

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Par Lucille Bion

Publié le

Nous avons rencontré Jean-Patrick Benes pour qu’il nous parle de son film Arès, qui sort en salles ce 23 novembre. Avec ce film de science-fiction, il se distingue des autres réalisateurs du cinéma français. 

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La France de 2035 est bien différente. L’Hexagone est devenu l’un des pays les plus pauvres du monde, dirigé par les banques et est désormais peuplé de quelque dix millions de chômeurs. Paris, la capitale du luxe est plongée dans la misère, la violence et la drogue, qui est devenue légale.

Pour oublier la misère qui se répand comme la peste, les Français s’attroupent devant des écrans géants qui diffusent des combats humains, leur seule distraction. Parmi eux, il y a Reda (Ola Rapace), un boxeur qui a pris sa retraite et sa nièce, Anouk (Eva Lallier), une adolescente aux cheveux roses, pleine de convictions et qui s’implique énormément dans les mouvements de contestation que son oncle essaye de faire taire, aux côtés de la police, car c’est son nouveau job. Un grand laboratoire pharmaceutique l’utilise aussi comme cobaye pour tester son nouveau produit mais lorsque sa sœur meurt, de manière douteuse, il est obligé de s’occuper de ses deux nièces. 

Telle est l’histoire d’Arès, le solide film d’action de Jean-Patrick Benes, à l’ambiance électrique, qui sort ce mercredi 23 novembre dans les salles. Au milieu de l’armée des Sith et des Dark Vador qui défilaient en octobre à la Comic-Con de Paris, le festival incontournable de la pop culture, on a rencontré ce cinéaste, qui a osé prendre des risques. 

On a donc pris le pouls du cinéma français, étonné par le revirement de carrière de Jean-Patrick Benes, qui avait fait accélérer celle de Marilou Berry avec sa comédie Vilaine, et propose maintenant un film à la croisée de Fight Club et des films de série B. Et puisque le cinéaste propose un regard aussi intéressant que curieux sur notre société, on a parlé de la jeunesse, une génération qui aura bien des choses injustes à affronter en 2035. 

Konbini | Ça n’a pas été trop compliqué de monter un film de genre en France ?

Jean-Patrick Benes | Si, on a eu pas mal de galères. On avait tous envie de faire le film mais c’était risqué parce qu’on ne fait pas beaucoup de films de genre en France et on ne sait donc pas s’il va y avoir un public. Ça signifiait qu’il fallait faire le film avec un budget réduit et on sait tous que faire un film d’anticipation ou d’action avec un petit budget, c’est possiblement faire un film cheap. Les gens sont habitués à voir des films américains à 100 millions de dollars, avec des effets spéciaux et des looks fabuleux, il fallait donc vendre quelque chose d’un petit peu neuf, avec une crédibilité esthétique.

Justement, proposer un film comme ça, qui ne correspond absolument pas au cinéma français typique, c’était une manière de sortir des cases ?

Je ne cherchais pas forcément à sortir des cases. J’aime ce type de cinéma et je cherchais à faire ce genre de films. En principe, c’est plus les histoires qui me trouvent et ensuite je me lance. C’était plutôt une envie qui m’a poussé à faire ce film. Je ne me suis pas dit que je voulais faire quelque chose de différent par rapport à ce que j’avais déjà fait ou de ce qui se fait déjà en France. Je voulais juste faire un film de science-fiction.

Et qu’est-ce qui vous a donné envie de réaliser ce film ?

Je voulais parler de ce qui se passe en Espagne, en Grèce. Et je m’interroge : qu’est-ce qu’il va se passer si un État s’effondre ? Et si on devient un pays pauvre ? Et si ce qui se passe en Grèce allait jusqu’au bout de sa logique : que les banques rachètent tout et deviennent propriétaires d’un pays, ça donnerait quoi ? Et puis, nous qui avons toujours un regard sur les populations immigrées, sur les gens qui ont des problèmes qui viennent chez nous parce qu’ils veulent chercher une sécurité, un confort ou de l’argent… si on se mettait un peu à leur place ? Et si demain c’était nous les pauvres ? Comment est-ce que l’on réagirait ? Quel type de vie on aurait ? Dans quel type de société on vit lorsqu’il n’y a pas d’argent ? C’est ça qui m’a intéressé et je savais que c’était un univers qui posait de bonnes questions.

Votre héros est mystérieux, violent. On dirait aussi que vous êtes fasciné par la part animale de l’homme.

Chez nous, il y a une part animale qui fait qu’on aime bien regarder la violence, les combats, les gens s’entretuer, ça aide certains à se constituer. Mon héros, c’est un animal qui réagit de manière instinctive, primaire, dont les valeurs sont axées sur la propriété, la possessivité, sur la survie et qui n’est pas du tout ouvert sur les autres. Et en fait, c’est un personnage qui évolue, qui s’humanise. 

On retrouve cette idée avec l’adolescente qui incarne la jeunesse guerrière. Comment voyez-vous la jeunesse de notre société ?

J’ai l’impression que la jeunesse participe. Elle est debout, elle est en révolte. Mais j’ai aussi l’impression que c’est compliqué d’être en révolte quand on appartient à un pays riche sur une planète pauvre. C’est-à-dire que c’est plus facile de se révolter quand on est pauvre que quand on est riche. Pour se révolter, il ne faut plus rien avoir à perdre. Donc, pour nous c’est encore un peu difficile de se révolter totalement. C’est pareil pour notre jeunesse, on est toujours plus révolté à 20 ans, parce qu’on a moins de choses que quand on en a 40, avec une femme, un enfant et un appartement.

Vous avez offert des rôles importants aux femmes dans Arès et surtout, loin des stéréotypes. Pensez-vous que les femmes sont assez exposées dans le cinéma français ?

C’est un monde assez macho le cinéma, c’est vrai qu’il n’y a pas beaucoup de femmes réalisatrices. Après c’est vrai que dans Arès, je me suis beaucoup amusé avec les codes. Ma “girl next door” par exemple, c’est un travesti. J’avais aussi envie de confronter mon personnage animal, masculin, rugueux à une ado et à une fille de quatre ans. C’est elles qui vont le faire évoluer, pas la femme fatale ni la supérieure hiérarchique.

Qu’est-ce qui vous paraît faire défaut dans le cinéma français ?

Je trouve qu’on manque de films d’horreur, de films de science-fiction, mais je trouve qu’on a de la chance en France, d’être bien financé : on produit 200 films français par an, là où en Italie ou en Allemagne, ils n’en produisent que 50. On a un système vertueux qui mise principalement sur des films d’auteurs et des comédies, mais ça marche. Il faudrait un peu plus de diversité, mais je suis ravi que l’on produise autant de films, que les gens puissent travailler très simplement et assez honnêtement. 

Et quels sont vos projets pour la suite ?

Une bande dessinée, un peu perchée. C’est un format qui me permet de faire ce que je ne peux pas faire au cinéma.