Alexandre Desplat, l’inarrêtable compositeur cinéphile

Alexandre Desplat, l’inarrêtable compositeur cinéphile

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Par Lucille Bion

Publié le

Le plus grand compositeur français actuel fête aujourd’hui ses 60 ans.

Plus de 150 bandes originales composées, 11 nominations aux Oscars, une petite dizaine pour les César… Depuis qu’Alexandre Desplat a commencé par hasard sa carrière dans les années 1980 avec un spectacle de clown, il n’a jamais connu de pause. Du haut de ses 60 ans, qu’il fête ce lundi 23 août 2021, il est devenu le plus grand compositeur de cinéma français. Reconnaissable entre tous, avec ses costumes sombres et sa voix posée qu’il cultive, Alexandre Desplat nous invite, à travers chacun de ses films, dans un voyage mélodieux. 

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Inspiré par le cinéma américain et des compositeurs hollywoodiens, le Parisien fait ses armes au conservatoire municipal de Montrouge tout en fantasmant la Californie, où ont vécu ses parents – un père français et une mère grecque. Jeune mélomane maniant le tuba, la grosse caisse, le piano ou encore la trompette, il aspire à devenir flûtiste mais est obligé de revoir ses plans lorsqu’il est refusé au concours du Conservatoire de Paris, comme il l’explique au Monde

“J’étais professeur de flûte traversière au conservatoire de Montrouge, où j’avais remplacé mon vieux et aimé professeur. Je gagnais modestement ma vie et j’avais écrit la musique d’un spectacle de clown. L’un des comédiens de cette troupe a réalisé un court-métrage et m’en a confié la musique. Grâce à cette petite bande que j’ai écrite – “à la manière hollywoodienne” comme il me l’avait demandé –, j’ai rencontré Robin Katz, Frank Le Wita, puis Robert Guédiguian. Ce sont des petits cailloux blancs qui ont peu à peu été posés.”

Au milieu des années 1990, le compositeur en herbe fait une rencontre déterminante avec Jacques Audiard, un scénariste qui décide de passer derrière la caméra avec Regarde les hommes tomber (1994) pour signer une histoire de vengeance, sur fond de petites combines. Le duo s’impose immédiatement dans l’industrie qui leur déroule le tapis rouge et rempile main dans la main pour le film suivant du cinéaste.

Qu’il mette en musique une partition qui n’est pas la sienne dans De battre mon cœur s’est arrêté (2005) ou qu’il sublime les permissions de sorties de Tahar Rahim dans Un Prophète (2010), Alexandre Desplat plongera dans l’obscure clarté de l’œuvre de Jacques Audiard en lui restant fidèle jusqu’au très récent Les Olympiades (2021), rythmé cette fois par Rone.

Premiers pas à Hollywood

Si aujourd’hui Alexandre Desplat partage sa vie entre Los Angeles et Paris, c’est la musique de La jeune fille à la perle de Peter Webber qui lui vaut sa première reconnaissance internationale en 2003 avec des nominations aux Golden Globes, au BAFTA au Prix du cinéma européen du meilleur compositeur.

Dans ce classique inspiré du célèbre tableau de Johannes Vermeer, le compositeur parvient à magnifier les coups de pinceaux de Colin Firth et la fascination de Scarlett Johansson pour ce peintre renommé. 

Avec cette reconnaissance, il détient enfin les clés pour aller frapper à la porte des studios hollywoodiens. Là-bas, il tire son épingle du jeu en se targuant de pouvoir “orchestrer une musique, la distribuer pour 90 instruments, alors que d’autres ne savent pas”. Véritable cinéphile, Alexandre Desplat qui fréquentait assidûment la Cinémathèque dans son enfance est également capable de parler de cinéma avec le metteur en scène. Mais l’atout le plus puissant de son jeu de cartes reste son aptitude à travailler vite, comme le prouve son impressionnant CV qui traduit un agenda très rempli. 

“Je travaille seul, enfermé dans mon studio, avec un piano, deux ordinateurs, trois écrans, un clavier, du papier et un grand écran pour regarder l’image”, confit-il au Monde. C’est avec cette logistique XXL qu’Alexandre Desplat signe alors L’Étrange Histoire de Benjamin Button de David Fincher, Twilight chapitre II : Tentation, The Ghost Writer de Roman Polanski, The Tree of Life de Terrence Malick, Le Discours d’un Roi de Tom Hooper ou encore les mélodies iconiques d’Harry Potter.

De l’autre côté de l’océan Atlantique et notamment quand il a commencé à travailler sur la saga cinématographique de J.K Rowling, le compositeur a appris à travailler différemment sur ces grosses productions, comme il l’explique au Monde : 

“Je compose un enchaînement de dix minutes pour Harry Potter : scène intimiste, bataille, poursuite. Puis la scène intimiste est déplacée, la bataille est raccourcie. Plus rien ne fonctionne, je revois tout, et vite. Les nuits raccourcissent. Ce boulot, c’est dix-huit heures par jour.” 

Boulimique et acharné oui. Mais fidèle à lui-même, aussi. Le frenchy d’Hollywood très prisé a d’ailleurs écrit sa légende en abandonnant son poste sur un Star Wars Rogue One qui traînait, préférant le Valérian de Luc Besson qui concordait davantage avec son agenda et ses aspirations du moment. 

Compositeur versatile

Attirant les cinéastes avec sa musique comme des papillons vers la lumière, Alexandre Desplat signe des collaborations diverses et variées mais aussi enrichissantes. Comme il nous l’a révélé lors de son Vidéo Club : “les metteurs en scène successifs ont révélé qui j’étais.”

En se confrontant à des artistes singuliers qui défendent un style unique, Alexandre Desplat trouve un moyen de progresser et de se renouveler. Avec l’unique Wes Anderson, par exemple, il repousse les limites de sa créativité et de son cerveau synesthésique.

Oscillant entre mignonnerie et fantaisie dans la bande originale de Fantastic Mr. Fox, la musique du Français habillera constamment l’univers chiadé du cinéaste. Grâce à cette collaboration historique, le compositeur remportera ainsi son premier Oscar avec The Grand Budapest Hotel. Il deviendra le septième Français à obtenir cette prestigieuse distinction, après Maurice Jarre, Francis Lai, Michel Legrand, Georges Delerue, Gabriel Yared, Ludovic Bource.

Thrillers, films d’animation, d’action, drames, comédies romantiques… en refusant de s’engouffrer dans un genre particulier, Alexandre Desplat écoule sa pile de scénarios et ne se refuse rien. La dernière fois qu’il a fait parler de lui, c’est pour Minuit dans l’univers (2020), le dernier film Netflix de son pote George Clooney. 

À cause du Covid-19, Alexandre Desplat ne pouvait pas se rendre à Londres pour enregistrer et diriger l’orchestre. Le compositeur a dû travailler depuis son studio à Paris en vidéo avec le studio Abbey Road, l’orchestre symphonique de Londres et George Clooney qui se levait aux aurores depuis Los Angeles. L’un de ses plus grands challenges, comme il l’a raconté à Variety.

Bientôt, vous pourrez entendre ses nouvelles partitions dans les deux prochains films de Guillermo del Toro, Pinocchio et Nightmare Alley. Un duo gagnant puisque là encore, Alexandre Desplat a trouvé l’occasion de repartir avec son deuxième Oscar avec La Forme de l’eau en 2018. L’inarrêtable compositeur cinéphile pourrait vite revenir sur nos écrans.