Álex de la Iglesia et ses sorcières bien-aimées

Álex de la Iglesia et ses sorcières bien-aimées

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Par Constance Bloch

Publié le

Une comédie excessive et délirante

Le film s’ouvre sur l’une des séquences de braquage les plus hilarantes qu’on ait pu voir au cinéma : un casse mené par un père divorcé accompagné de son jeune fils et de complices déguisés en statues vivantes. José (le héros) et ses compagnons de fortune attaquent un magasin de rachat d’or situé sur l’emblématique Puerta Del Sol à Madrid.
Après avoir volé des kilos de bijoux, deux des apprentis malfrats parviennent à s’enfuir à bord d’un taxi et se dirigent vers la France pour échapper aux autorités. Mais juste avant d’atteindre leur but, ils croisent la route d’une terrifiante famille de sorcières dans le célèbre village de Zugarramurdi, au Pays Basque.
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Après un brillant démarrage, le film s’essouffle par moments dans la deuxième partie. Le scénario et la réalisation sont pourtant bourrés d’originalité, de situations délirantes et de démesure. Comme les autres œuvres du cinéaste espagnol, ce nouveau long métrage mêle les genres : thriller, horreur et comédie, le tout porté par un casting impeccable avec une Carmen Maura (Graciana) en très grande forme, entourée de Hugo Silva (José), Mario Casas (Manuel) et de l’irrésistible Carolina Bang (Eva).
Si pendant toute la première partie le réalisateur espagnol nous fait découvrir un éventail de personnages masculins, la deuxième tourne autour des femmes. Et bien que l’on retrouve quasi exclusivement des personnages féminins très stéréotypés – qui peuvent parfois faire grincer des dents – taxer le résultat de misogyne serait un raccourci.

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Les sorcières, des femmes comme les autres ?

Dans les comédies, on voit fréquemment les femmes se réunir pour parler des hommes et se plaindre de la façon dont ils les traitent. Là, je voulais prendre le contre-pied et mettre les hommes dans cette position, que ce soient eux qui se sentent faibles et maltraités par les femmes. Ce sont finalement eux qui n’arrivent pas à combler leurs compagnes ni à être à leur hauteur.

Et le moins qu’on puisse dire, c’est que dans le film, ce sont les personnages masculins qui sont en position d’infériorité. A commencer par José, fraîchement divorcé, qui ne cesse de pester contre son ex-épouse, tout comme son complice Manuel, qui fréquente une avocate qu’il n’arrive pas à combler sexuellement.
Alex de la Iglesia explique : “Mario Casas est un acteur qui joue toujours les séducteurs, et dans le film je voulais lui donner un autre rôle. Celui d’un gars dominé par une femme – l’avocate – beaucoup plus intelligente que lui et qui lorsqu’elle rentre chez elle n’a envie que d’une chose, de sexe. Mais lui n’arrive pas la satisfaire…”. Les sorcières de Zugarramurdi est un film sur le pouvoir que les femmes exercent sur les hommes dont Alex de la Iglesia se moque ouvertement.
Un pouvoir qui évoque le matriarcat traditionnel du pays Basque dont le réalisateur est originaire. Il raconte d’ailleurs que ses sorcières ont un accent typique de là-bas :

Le caractère des héroïnes très maternel et très dominateur, est caractéristique du Pays Basque. Une de mes amies m’a appelé pour me dire qu’elle avait vu le film quatre fois et qu’elle avait beaucoup ri, car elle avait l’impression de connaître tous les personnages.

Comme il l’avait déjà fait dans son précédent long métrage Balade triste, De la Iglesia utilise avec ingéniosité et humour le générique du début du film. Pour Les sorcières de Zugarramurdi, il fait défiler des photos de sorcières de toutes les époques en les mélangeant avec des clichés de femmes célèbres.
Le réalisateur s’amuse : “Dès le générique je parle du pouvoir. Il y a donc des femmes qui m’attirent et me fascinent en raison du pouvoir qu’elles détiennent comme Frida Khalo, Simone de Beauvoir… je les trouve fascinantes car elles sont puissantes et charismatiques. A leur côté, il y a également Angela Merkel et Margaret Thatcher qui elles, me terrorisent”.
 A l’image de la Méduse, la femme semble donc fasciner Alex De la Iglesia autant qu’elle l’effraie :

En réalité, tout ce qui nous séduit nous effraie. Sinon, ce n’est pas intéressant. Il faut un équilibre parfait entre attirance et répulsion.

Le Tarantino espagnol

Né en 1965, Alex de la Iglesia appartient à une génération de cinéastes espagnols qui n’a pas vécu la guerre civile et a très peu connu la dictature franquiste. Ses références éclectiques comprennent aussi bien les films de Bergman que les séries télévisées, les jeux vidéo et les bandes dessinées. L’humour noir du réalisateur – dont le premier film a été produit par Almodovar – trouve ses racines dans l’Esperpento, un genre théâtral espagnol qui incorpore des éléments grotesques et absurdes.
Le cinéma post-moderne de Alex de la Iglesia exploite cette veine grotesque et recycle toutes ces influences dans un patchwork délirant entre satire et parodie. Il parvient à nous faire rire de l’horreur à l’image d’un Tarantino espagnol, un réalisateur dont il se sent d’ailleurs très proche. Ses héros, tels des personnages de comics ou de jeux vidéo, ont beau être maltraités ou être victimes des pires accidents, ils se relèvent toujours.
Au-delà de ce jeu avec les références, on retrouve dans Les sorcières de Zugarramurdi comme dans la plupart de ses autres réalisations – Le jour de la bête, Mes chers voisins, une dimension politique et sociale. En effet, la dramatique situation financière et économique du pays est à l’origine du braquage délirant qui ouvre le film, et la boutique qu’ils attaquent rachète les bijoux dont les Espagnols sont obligés de se défaire pour faire face à la crise.

Dieu est une femme

A l’image de la grande prêtresse des sorcières dans le film, Alex de la Iglesia est convaincu que Dieu est une femme, en raison de sa puissance créatrice. Selon le cinéaste, la mère nourricière génère la vie, contrôle le foyer et les récoltes depuis des temps ancestraux.
Même s’il affirme adorer collaborer avec des femmes “des techniciennes, des productrices… il y en a énormément dans le monde du cinéma, je n’ai aucun inconvénient à travailler avec elles, au contraire je préfère” et se défend d’être machiste, sa vision de la femme reste donc très stéréotypée.
Il se range du côté de la théorie de la différence génétique homme-femme et est convaincu qu’essayer de chercher une identité physique et psychique est absurde :

D’un point de vue neurologique, c’est comme ça. Il y a des études sur le sujet qui prouvent que l’on ne perçoit pas les choses de la même façon. On est différent mais c’est bien. Il faudrait arriver à savoir comment faire pour que les choses faites pour s’emboîter s’emboîtent. Après rien n’est définitif, bien sûr qu’il peut y avoir des hommes très intuitifs et sensibles et des femmes rationnelles et mathématiques.

Une femme intuitive, un homme rationnel… la vision du cinéaste est assez réductrice. Bien que son film soit selon lui une ode à la femme, certaines d’entre elles se reconnaîtront difficilement dans ses sorcières bien-aimées.

Bonus  : Álex de la Iglesia en Auto-Interview

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