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À genoux les gars : il ne fallait pas les faire chanter

À genoux les gars : il ne fallait pas les faire chanter

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Par Mehdi Omaïs

Publié le

En salle le 20 juin prochain, À genoux les gars d’Antoine Desrosières a été présenté au Certain Regard, à Cannes. Une œuvre tour à tour déroutante et enlevée. Explications.

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On l’avait laissé en 2015 avec l’étonnant moyen-métrage Haramiste, qui était sorti en salle et qui avait été diffusé sur Arte. Antoine Desrosières y dressait le portrait de Rim et Yasmina, deux sœurs voilées aux prises avec une existence tissée d’interdits. Et cette question en ligne rouge : que faire quand le désir amoureux corrompt la bienséance ? Le cinéaste, révélé en 1993 par À la belle étoile, tendait sa toile entre la tradition inculquée à ses héroïnes et la modernité à laquelle elles aspiraient. Les dialogues étaient alertes et irrévérencieux, l’humour cinglant, et la tristesse toujours tapie sous les rires.

Trois ans plus tard, Antoine Desrosières a eu la bonne idée de convoquer les mêmes actrices, Inas Chanti et Souad Arsane, dans À genoux les gars. Cette fois, la frustration du précédent opus (de 40 minutes) a cédé sa place à la violence qu’elle engendre. En cela, on peut le considérer comme une suite indirecte, laquelle porte dans son sillage la même charge, virevoltante et urgente, à l’endroit d’une culture (trop) patriarcale.

Yasmina et Rim sont toujours sœurs. Elles ne portent plus le voile. Le point de départ (et de discorde) ? Quand la seconde s’absente, la première se retrouve seule dans un parking avec leurs petits amis respectifs. Par un surréaliste jeu de persuasion, les garçons convainquent Rim de leur faire une fellation. L’un d’eux filme la scène et, bientôt, la jeune fille se retrouve acculée et apeurée par un chantage horrible, ne sachant absolument pas comment sortir de l’infernale spirale qui l’enserre.

Les ingrédients sont les mêmes que dans Haramiste, et leur efficacité s’en trouve intacte. Konbini vous dit tout ce qu’il faut savoir de la méthode huilée et désarmante de son metteur en scène.

L’obsession du verbe

Inas Chanti et Souad Arsane ont largement contribué à l’écriture d’un scénario-fleuve, qui dépasse allégrement les 400 pages. Elles ont veillé – et c’était la volonté d’Antoine Desrosières – à adopter une frontalité orale de tous les instants, refusant d’atténuer ou d’aseptiser un langage qu’elles estiment riche, musical et représentatif d’une partie de la jeunesse. À tous les étages, les mots crus fusent dans une cacophonie ininterrompue. Pour exprimer une idée ou un désir simple, les circonvolutions s’opèrent, les digressions aussi, si bien que tout s’y dilue, le pire comme le beau, le graveleux comme l’humour.

Bien plus qu’assister à une partie de ping-pong, le spectateur aura l’impression de regarder un match de boxe survitaminé, les mots faisant figure de crochets, d’uppercuts et de directs. Une logorrhée à la fois enthousiasmante et crispante où l’on retrouve, cahin-caha, d’innombrables sujets de société, parmi lesquels le poids des traditions, l’homophobie et, bien sûr, le viol. Car c’est bien de ça dont il s’agit. Au gré de l’intrigue, les deux garçons vont graduellement comprendre que retourner le cerveau d’une fille pour obtenir une fellation, ce n’est pas un consentement. Mais une manipulation menant à une agression sexuelle.

L’équilibre humour/drame

Bien qu’il charrie des sujets difficiles, À genoux les gars joue à fond la carte du rire salutaire. La force du long-métrage siège justement dans sa capacité permanente à faire coexister, même dans ses instants les plus sordides, le drame et la légèreté. Et ce ton libre doit beaucoup aux personnages et à des interprètes au diapason, dispensant chacun une vraie bonne dose d’humour et de dérision.

Les prises, visiblement très longues (jusqu’à 40 minutes), ont sûrement permis à l’entreprise d’accéder à un tel niveau de spontanéité, de naturel, de lâcher-prise total. Par ailleurs, Antoine Desrosières avoue dans le dossier de presse du film :

“J’ai le sentiment que par la comédie, un public pouvant se reconnaître dans le reflet négatif montré par le film peut rire de lui-même. Sans relativiser la dureté des faits, le rire ouvre une brèche dans le cerveau, cela le rend plus perméable à ce qu’on veut raconter.”

C’est pourquoi il a tenu à épurer la mise en scène et à prendre son temps au montage (environ 7 mois) pour mettre en exergue les trouvailles verbales de ses comédiens – résultats d’importantes sessions d’improvisation et de répétition –, dont il loue volontiers la beauté, la poésie et la drôlerie.

L’émancipation des femmes

Les mélomanes le savent peut-être : “À genoux les gars” est en réalité le titre d’une chanson d’Anne-Marie Vincent, sortie dans les années 1960. À ce propos, plusieurs chansons 100 % yé-yé ponctuent le film d’Antoine Desrosières et permettent de dresser un parallèle entre les désirs, qui étaient souvent réprimés, des jeunes femmes de l’époque et ceux des femmes d’aujourd’hui, incarnées par Rim et Yasmina. Une manière aussi pour le réalisateur et scénariste de dire que rien n’a changé depuis la révolution sexuelle de la fin des sixties. Il est en tout cas question d’offrir une revanche à ses héroïnes, baladées et moquées par des garçons dépeints comme des imbéciles.

Le portrait qui est fait de la gent masculine est en effet très peu reluisant et pourra en faire tiquer certains. Mais telle est la méthode Desrosières : “Partir du cliché, qui est un dénominateur commun, pour en sortir le plus vite possible.” Les deux petits amis de Yasmina et Rim, dotés d’ego énormes, pensent à tort que le corps des femmes leur appartient, qu’ils peuvent en disposer à souhait. Sans dévoiler le plan d’attaque des frangines, lesquelles bénéficie entre autres de la gouaille hallucinante de Souad Arsane (rendez-vous aux César pour une nomination dans la catégorie de l’espoir féminin), le scénario va dès lors célébrer leur combativité et leur quête d’émancipation.