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Les 9 questions que je me suis posées après avoir vu Premier Contact

Les 9 questions que je me suis posées après avoir vu Premier Contact

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Amy Adams dans Premier Contact (2016)

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Par Louis Lepron

Publié le

Alors que Premier Contact est sorti il y a deux semaines dans les salles, retour sur le dernier film de Denis Villeneuve à travers 9 questions.

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1. Qui est à l’origine de cette histoire ?

Ted Chiang. Retenez bien ce nom, car il risque de faire partie des scénaristes en devenir du côté d’Hollywood et des cinéastes indépendants de la trempe de Denis Villeneuve. À l’origine, donc, une nouvelle intitulée L’Histoire de ta vie qui, en France, fait partie d’un recueil, La Tour de Babylone. Cet écrivain américain, né en 1967, n’a publié que 15 nouvelles en… 25 ans. Le temps d’être récompensé de prix littéraires prestigieux dans le domaine de la science-fiction, entre les prix Nebula, Sidewise ou Hugo.

Et à propos de l’adaptation ciné de L’Histoire de ta vie, voici ce qu’il en disait dans une interview :

“Quand Dan Levine et Dan Cohen [les producteurs de Premier Contact, ndlr] m’ont contacté pour me proposer d’adapter ma nouvelle, ils m’ont envoyé le DVD du film de Denis Villeneuve Incendies (2010) pour me donner une idée de ce qu’ils avaient en tête. C’est l’une des raisons qui m’ont poussé à prendre leur offre au sérieux.

S’ils m’avaient envoyé un film de science-fiction hollywoodien conventionnel, je n’aurais probablement pas donné suite. Ce n’est que quelques années plus tard que Denis a définitivement été attaché au projet, mais c’était lui qu’ils voulaient depuis le début.”

La dernière nouvelle de Ted Chiang, The Great Silence, a eu l’honneur d’être sélectionnée cette année dans The Best American Short Stories, un prestigieux recueil annuel de petites histoires rédigées par les meilleurs écrivains américains du moment. Fait rare : très peu de romanciers spécialisés dans la science-fiction sont choisis pour y figurer.

2. “Kangourou” : ça veut dire quoi en fait ?

C’est l’une des scènes marquantes de Premier Contact. Louise Banks (Amy Adams), linguiste prestigieuse choisie par le gouvernement américain pour entrer en contact avec un vaisseau alien qui a atterri sur le sol des États-Unis, doit défendre sa manière de procéder pour communiquer avec les créatures. Face à elle, un représentant de l’armée, le colonel Weber, incarné par Forest Whitaker.

Pour lui expliquer qu’il faut avant tout décrypter le langage des aliens, elle choisit une référence qui sonne comme étant “historique” pour mieux la vendre. Soit l’histoire du terme “gangurru”. La situation prend place en 1770. À ma droite le capitaine James Cook, l’explorateur britannique et premier européen à avoir mis le pied sur la côte est de l’Australie. À ma gauche, un autochtone à qui il demande ce qu’est un kangourou gris qu’il désigne de la main. Selon la légende, l’interlocuteur lui aurait répondu “gangurru”, transcrit en “kangooroo” ou “kanguru”, et dont la signification serait alors : “Je ne te comprends pas.”

Une légende démythifiée dans les années 1970 par John B. Haviland, un linguiste qui faisait des recherches sur le peuple Guugu Yimidhirr, mais dont se sert le personnage d’Amy Adams pour convaincre l’armée du bienfait de sa démarche. Et de déclarer au physicien incarné par Jeremy Renner, dès que le colonel Weber a quitté la pièce : “C’est une histoire fausse.” Bref : le terme “kangourou”, dérivé de “gangurru”, désigne bien, dans la langue aborigène Guugu Yimidhirr, le kangourou géant.

3. Qui s’occupe de la musique ?

Jóhann Jóhannsson. Ça ne vous dit probablement rien, mais voilà un compositeur qui suit Denis Villeneuve depuis 2013 avec Prisoners, puis Sicario (2015), Premier Contact cette année, et travaillera aussi autour de la musique de la suite de Blade Runner, qui sera également réalisé par le cinéaste canadien.

Voilà donc un musicien, producteur et compositeur islandais qui a fondé Kitchen Motors, un label/think tank/organisation artistique et même un laboratoire de sons et d’idées. Pas étonnant qu’il ait été choisi. Denis Villeneuve lui a soumis une seule chose, celle d’avoir “carte blanche pour expérimenter”, comme le musicien l’affirme dans une interview donnée au Guardian.

Influencé par le morceau “Stimmung” de Karlheinz Stockhausen, Jóhann Jóhannsson procure à Premier Contact une immense caisse de résonance à la complexité de la communication, donnant une perception étrange de plusieurs voix s’entrechoquant mais se rejoignant finalement, comme pour mieux formuler un tout harmonique – le titre “Heptapod B” retranscrit cette idée. Et lorsque vient la découverte de l’autre, illustrée par un immense vaisseau plongé dans une brume médiévale, une corne vient résonner dans les oreilles du spectateur.

Le compositeur précise aussi au journaliste du quotidien britannique :

“Dans le cinéma populaire, il y a toujours trop de musique. Dans Premier Contact, l’utilisation de l’espace et du silence est très importante. Quand on a besoin de musique, elle est là et elle vient servir un propos.”

4. Quels sont les derniers mots de la femme du général Shang ?

Pendant la dernière partie de Premier Contact [SPOILERS], Louise Banks doit à tout prix empêcher que la Chine et les puissances qui l’ont suivie à travers un effet domino (du Pakistan à la Russie) ne s’attaquent aux vaisseaux, comprenant, en réalité, que les créatures sont là pour aider l’humanité dans un but d’autopréservation. Et si elle réussit à convaincre le haut gradé chinois au téléphone, le général Shang, c’est en lui sortant, soudainement, les derniers mots que lui avait dit sa femme avant de mourir. Si l’on comprend qu’ils sont importants, aucun sous-titre n’est là pour aider à la compréhension, étant énoncés en mandarin dans la scène du film. Les voici :

“La guerre ne crée pas de vainqueurs, uniquement des veuves.”

Une phrase symbolique, sinon prophétique, au regard de l’imminente probabilité de guerre mondiale qui se prépare.

5. Pourquoi les scientifiques amènent un oiseau lorsqu’ils sont dans le vaisseau ?

C’est l’une des questions, toute bête, que je me suis posées à la sortie de la séance. Okay pour la cage avec un oiseau, lorsque la communication n’a pas encore été amenée entre humains et heptapodes. Mais au fil du processus qui installe un dialogue entre les deux scientifiques et les créatures, l’oiseau, toujours coincé dans sa cage, continue d’être mis en scène.

En réalité, la réponse à cette présence est simple. Tout comme les mineurs amenaient auparavant avec eux des canaris au fond des mines (“Canary in a Coal Mine”, en anglais) pour prévenir d’une intoxication par les gaz toxiques (les canaris mouraient avant les mineurs), il semblerait que l’oiseau soit ici pour prévenir d’une possible mort par l’atmosphère créée par les aliens.

C’est pour cela qu’au bout d’une énième rencontre, Louise Banks décide, une bonne fois pour toutes, d’enlever sa combinaison – afin de faciliter la communication, à la fois visuelle mais surtout physique.

6. Bud Abbott et Lou Costello, c’est qui ? 

Lors des premières rencontres entre les heptapodes, Louise Banks et Ian Donnelly, ce dernier décide de nommer les aliens Bud Abbott et Lou Costello, plus connus en France sous le nom des “Deux nigauds”. Il s’agit en effet, à la manière de Laurel et Hardy, d’un duo de comiques américains des années 1940 et 1950 qui jouaient sous les noms de “Abbott et Costello”.

Ils sont notamment connus pour un sketch intitulé “Who’s on First”, métaphore comique de la difficulté à communiquer :

7. À quelle notion du temps le personnage de Louise Banks fait-il face ?

C’est ici la question qui, selon moi, est la plus intéressante. Avant de poursuivre votre lecture, histoire que vous soyez prévenus : [SPOILERS].

Dès les premières images du film, une voix aidant, le spectateur pense être dans le présent. Les images qui montrent une mère (Louise Banks) perdre sa fille (Hannah) restent dans la rétine. Quelques secondes plus tard, on retrouve Louise Banks en professeur de linguistique dans une université, et l’on pense, logiquement, qu’il s’agissait de flashback. En réalité, ce sont des flashforwards, dont le personnage va progressivement avoir connaissance, au fil du développement de sa compréhension de la langue des heptapodes.

Premier point :

Louise Banks réussit, non pas à voyager dans le temps (physiquement), ni à profiter de boucles temporelles ou de lignes temporelles multiples : elle maîtrise et contrôle le temps, ayant la capacité à se “souvenir” du futur, à y trouver autant des émotions que des informations qui lui sont propres.

Sa vie, devenue non linéaire, lui donne un accès à son existence, qu’elle soit passée mais surtout future. Elle sait ainsi qu’elle se mettra en couple avec son collègue de travail, Ian Donnelly, et qu’elle aura un enfant avec lui, Hannah, qui mourra d’une maladie dite “rare”. Et c’est grâce à la compréhension de la langue des heptapodes, elle aussi non linéaire, qu’elle y parvient.

Deuxième point :

La graphie non linéaire de la langue utilisée par les heptapodes n’a rien à voir avec une langue comme le français. Par exemple, chaque phrase que j’écris dans cet article est compréhensible à mesure que vous lisez les mots qui en font partie. À la fin d’une de mes phrases, vous aurez la compréhension globale de ma pensée liée à cette même phrase.

Pour la langue des heptapodes, c’est le contraire, tout est déconstruit : leur manière de communiquer, retranscrite par des symboles émis à l’aide d’une sorte d’encre, dessine des “phrases” à travers des cercles qui n’ont ni point de départ ni point d’arrivée. En somme, la fin d’une phrase est connue dès le début, il n’y a pas d’ordre prédéfini, à l’image dont les créatures, et plus tard Louise Banks dans le film, envisagent le temps.

Troisième point :

L’explication la plus aisée pour comprendre les “pouvoirs” de Louise Banks est de se référer à l’hypothèse de Sapir-Whorf. Citée dans Premier Contact, cette théorie utilisée en linguistique et en anthropologie soutient que notre vision du monde dépend de notre langage. En somme, notre façon de penser appartient à la manière dont l’on échange.

En ce sens, parler plusieurs langues agrandirait notre capacité à comprendre différemment une seule situation. Louise Banks est donc l’incarnation de ce personnage qui apprend une langue, dans un processus d’hypothèse de Sapir-Whorf poussé à son paroxysme : en apprenant la langue des heptapodes, elle réussit, comme eux, à avoir la possibilité de négocier le temps, de l’embrasser de manière non linéaire.

8. Face au général Shang, pourquoi Louise Banks ne sait rien ?

Certains y voient une incohérence dans Premier Contact. Nous sommes dans les dernières minutes du film, l’un des moments les plus forts, scénaristiquement. Louise Banks doit absolument empêcher le général Shang d’ouvrir les hostilités. Problème : elle n’a aucune possibilité de le contacter.

Soudain, flashforward, des images lui viennent en tête. Nous sommes 18 mois plus tard, lors d’un congrès réunissant les nations ayant eu à faire aux créatures. Louise Banks est une invité d’honneur. Face à elle, le général Shang s’avance. Lui dit qu’il n’est venu que parce qu’elle était là. La linguiste est étonnée. Le dirigeant chinois lui communique alors son numéro de téléphone, relatant auprès d’elle la discussion qu’ils ont eu 18 mois plus tôt.

À l’écran, le personnage d’Amy Adams ne comprend pas. Comme si son futur, envisagé, n’avait encore aucun lien avec son présent immédiat, celui qui a eu besoin des informations qui vont lui permettre d’éviter le conflit qui se profile, en ayant connaissance de la fameuse phrase que la femme du général Shang lui a communiqué sur son lit de mort.

Si non linéarité du temps il y a, Premier Contact semble dire qu’il existe des possibilités de s’en détacher, de s’en libérer et surtout de jouer avec, sans avoir une connaissance précise de ce qu’il adviendra. Après tout, même en connaissant le destin tragique de sa fille, Louise Banks décide d’accepter l’idée d’avoir un enfant avec le scientifique Ian Donnelly. Ce dernier, d’ailleurs, n’accepte pas de rester auprès d’elle(s).

9. Et si des aliens débarquaient, comment on devrait réagir ?

C’était une question qu’on s’était posée lors de la sortie de La 5ème Vague. Et voilà ce que nous avait répondu Emmanuelle François, chef du pôle communication de la Direction de la sécurité civile et de la gestion des crises.

“Le système d’alerte et d’information des populations (SAIP) serait le signal privilégié pour prévenir les populations, si toutefois on devait faire face en France à une attaque extraterrestre. Dans la mesure où le signal national d’alerte est destiné ‘à alerter et informer en toutes circonstances la population soit d’une menace ou d’une agression, soit d’un accident, d’un sinistre ou d’une catastrophe.’

Dans le cadre d’une catastrophe de sécurité civile, c’est le maire, le préfet ou le Premier ministre qui déclenche l’alerte. Mais, en cas d’attaque aérienne, ce sont les centres de détection et de commandement du Centre national des opérations aériennes (CNOA) de l’armée de l’air qui s’en chargent. Ils reçoivent leurs instructions directement du Premier ministre.”

Et de conclure : “C’est pourquoi le réseau des sirènes assurant sa diffusion est géré par la Direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises du ministère de l’Intérieur, avec l’appui du service de l’alerte, composé d’officiers réservistes de l’armée de l’air.”