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365 Dni : pourquoi le film érotique de Netflix est une honte

365 Dni : pourquoi le film érotique de Netflix est une honte

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Par Louis Lepron

Publié le

Le film fait l'apologie de la culture du viol.

Les bases factuelles : 365 Dni est un film polonais réalisé par Barbara Białowąs et Tomasz Mandes. C’est une adaptation du premier volet d’une trilogie de livres écrits par une romancière polonaise, Blanka Lipińska. En Pologne, la trilogie est un immense succès littéraire qui se compte en centaine de milliers de ventes. Le premier roman adapté à l’écran, 365 Dni, donne 1 heure et 54 minutes de calvaire qui ont trusté les top 10 de la plateforme Netflix, qui s’occupe de sa distribution dans le monde depuis juin.

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Les bases scénaristiques sont simples : elles voient se rencontrer deux personnages principaux aussi clichés que vides. À ma droite, Massimo (Michele Morrone), un membre de la mafia sicilienne. Il est grand, a toujours un regard “ténébreux”, le charisme d’une huître, des chemises blanches ouvertes, souvent rien sur le torse.

Il aime par-dessus tout que l’hôtesse de l’air de son avion privé lui procure quelques gâteries (non consenties) au cours de ses trajets – l’hôtesse, souriante, semble ravie d’un tel rapport de force sexuel, ce qui en dit long sur la vision des rapports hommes-femmes défendue par le film. “Les femmes sont un paradis pour les yeux et un enfer pour l’âme”, voilà une phrase que prononce le père de Massimo, juste avant de mourir. En d’autres mots, la femme est dangereuse, sophisme justifiant des agissements illégaux.

À ma gauche, la femme en question : Laura (Anna-Maria Sieklucka). Laura est “directrice des ventes” en Pologne. En introduction du film, elle assiste à des réunions de résolutions financières où des mecs en costards-cravates disent d’un air grave “Il faut avoir des couilles pour faire ce boulot”. On sait surtout que le couple de Laura est en train de sombrer, et qu’elle va tenter de le sauver lors d’un voyage en Sicile. Son mec du moment ? Martin. Il est (logiquement) chauve, apprécie la compagnie d’une bière devant Vikings et oublie d’emmener sa copine visiter l’Etna LE JOUR DE SON ANNIVERSAIRE. Forcément, Laura n’est pas ravie de son concubin. C’est à ce moment-là qu’elle va rencontrer Massimo.

Ce n’est pas une rencontre ordinaire, entre deux rayons d’un supermarché ou au détour d’un ascenseur. Ça se passe dans une rue sombre, et Laura n’a pas le temps de le voir arriver que ce dernier la kidnappe.

Scène du (premier) réveil

Résultat, Laura se réveille sur un lit. Elle n’a clairement pas l’air très angoissée à l’idée qu’elle s’est fait enlever. Sur son visage, pas de peur, seulement une question : “Oh, mais qui a bien pu m’enlever ?” Vous l’avez compris : l’actrice joue très bien. Tiens, la porte s’ouvre. Dans le salon, Laura fait face à un tableau… d’elle-même.

(Capture d’écran du film 365 Dni)

Massimo est là. Il lui propose un glaçon, histoire de dissiper les effets du sédatif. Wokay. Moment de grâce pour le scénariste. Mais Laura ne veut pas du glaçon, elle “n’est pas [sa] chose”. Bien envoyé. Massimo insiste : s’il l’a kidnappée, c’est parce qu’il l’avait croisée voilà cinq ans devant un aéroport sicilien. Depuis cette date, il n’a qu’elle en tête.

Pour sublimer ces souvenirs, les réalisateurs se prennent pour Terrence Malick qui aurait pris un coup de soleil : la lumière glisse sur le visage de Laura, écharpe le visage du spectateur, tandis que ses cheveux prennent l’air. Les violons s’arrêtent, mais elle n’en démord pas : “Tu peux pas débarquer comme ça et dire que je suis à toi.” Il acquiesce. Mais il dit qu’un jour, elle “tombera amoureuse de [lui]”. Il a l’air convaincu et enchaîne en lui tendant une enveloppe : dedans, une image de Martin en train de coucher avec une autre femme. C’est du propre.

Scène de l’objectif des 365 jours

Massimo a des tatouages partout : sur la main, sur son corps qu’il aime montrer à chaque scène – donnant l’impression que la climatisation n’a pas fonctionné pendant le tournage. Massimo est surtout un personnage très con : il pelote Laura, mais lui précise quand même : “Je ne ferai rien tant que tu ne me diras rien”, alors qu’il a la main sur elle et qu’il vient tout juste de la kidnapper. C’est ce qu’on appelle une agression sexuelle, dès la 25e minute.

“Je ne ferai rien tant que tu ne me diras rien” : ah, comment te dire… (Capture d’écran du film <em>365 Dni</em>)

Il poursuit : “Tu as 365 jours pour tomber amoureuse de moi.” OK. L’avantage, c’est qu’on vient de comprendre le titre. L’inconvénient, en tant que spectateur, c’est qu’on se dit que le film va être aussi long que con. Laura résiste un peu. On est au premier tiers du long-métrage, et ça fait déjà trois fois qu’elle s’échappe à l’écran pour être mieux remise à sa place – dans 365 Dni, la place de la femme sous le joug de l’homme, ici Massimo.

On pense à toutes ces répétitions pendant lesquelles la réalisatrice a dû préparer son acteur principal :

“Et là, tu n’oublies pas : tu la prends bien fort par le bras, pour ensuite placer ta main au niveau de sous cou, et tu forces. On doit sentir le vrai homme, l’animal en toi, il faut qu’elle sente qu’elle n’a aucune chance, aucun pouvoir.”

Et si, dans cette scène, Laura trouve une arme, ça ne fonctionne pas très bien : il la reprend dans la seconde. Habile, Massimo. On est triste : ça aurait été marrant, et sacrément osé qu’elle le tue au beau milieu du film. Au même moment, alors que Laura a la tête plaquée contre le mur, la garde rapprochée de Massimo arrive en arrière-plan. On a connu meilleur endroit pour faire des présentations.

Scène de la douche

Séquence suivante : Laura prend une douche et le plan la distingue, parfaitement alignée, symétrique, au beau milieu de la salle de bain. On est à hauteur de la mise en scène d’un téléfilm C8 du dimanche soir. Bon, elle se lave, oui, mais a le toupet de prendre une décision à la barbe de son ravisseur : quitter cette fortification dans laquelle elle est enfermée. Quelle folie, le climax féministe du film.

(Capture d’écran du film 365 Dni)

Pas de chance : alors qu’elle marche, elle est alors témoin d’un meurtre au beau milieu du jardin. Et rebelote : nouveau sédatif, nouvelle posture dans un lit, nouveau réveil avec les yeux plissés. C’est plus un kidnapping, c’est un Edge of Tomorrow érotique polonais. Massimo arrive, il explique pourquoi il a tué : l’assassiné a fait du mal à des enfants et en plus il a menti à sa famille. Ça valait bien une balle. Laura accepte, c’est bien normal voyons, et puis on est en Italie, c’est ce qu’on fait tous les jours.

“Le seul endroit où je veux aller, c’est la Pologne.” C’est un peu ce qu’aurait pu dire Staline à une époque, à la différence qu’ici, on retrouve cette volonté dans la bouche de Laura. À nouveau, elle retrouve le chemin du lit, rapidement remise à sa place par son ravisseur. S’expriment alors, dans un nouvel échange, les différences culturelles entre l’Italie et la Pologne : en gros, “les Italiennes font pas chier les mecs”. Savoureux.

Massimo est en confiance : il se moque de la collection de chaussures que Laura a emportée pendant son voyage en Sicile. Cette dernière semble être plus outrée par cette remarque sexiste que par le fait qu’elle ait été kidnappée et agressée sexuellement. La scène prend fin, mais nous ne sommes qu’aux prémices du calvaire.

Scène des achats

Le lendemain, c’est Pretty Woman, mais 30 ans plus tard et sans la fougue de Julia Roberts, sans le regard malicieux de Richard Gere et sans l’intelligence et le tact de la mise en scène de Garry Marshall. Bref, sans rien. Laura est contente et semble avoir oublié qu’elle avait été kidnappée. Normal, me diraient les réalisateurs : elle est en train de vivre un rêve éveillé, puisqu’elle a le droit d’acheter (sans payer) toutes les fringues qu’elle veut.  

(Capture d’écran du film 365 Dni)

Les deux gorilles de Massimo sont contraints de prendre ses affaires, qui se comptent en une dizaine de paquets et de sacs. Belle définition des désirs les plus profonds d’une femme. Massimo est (toujours) occupé : en arrière-plan de cette séquence interminablement sexiste, il travaille, pendant que la femme qu’il a kidnappée se distingue par… ses achats en vêtements.

Scène d’un (autre) dîner

Laura veut encore partir et, décidément, doit à nouveau revenir par la force. “On doit forcer la chance quelques fois.” Massimo a toujours les bons mots. Et de préciser : “Je ne suis pas le monstre que tu crois.” Ce monsieur se fout de nous.

Le soir venu, en plus d’une séance maquillage sous le signe du syndrome de Stockholm, Laura a enfin un pouvoir : celui d’avoir choisi le menu du dîner (des pierogi, un plat typique polonais) et d’avoir une réplique qui continue à dresser le portrait de la femme moderne : elle annonce à Massimo qu’elle pourrait lui apprendre… à cuisiner les pierogi. On n’a pas les mots.

(Capture d’écran du film 365 Dni)

Lui, il fait du business. Il “possède un certain nombre d’entreprises”. C’est donc un entrepreneur. Il est PDG. Il ne peut donner plus de détails, car c’est “dangereux”. La question, elle est vite répondue. Laura réplique qu’elle a des “droits” au regard “de la déclaration d’un an” qui l’attend. Le scénariste a tout tenté, les conventions de Genève sont en sueur.

“Essaye juste de me faire confiance”, lui répond alors Massimo. Mais “dans quel monde de fous vit-on ?” aurait répliqué Benjamin Biolay. Massimo poursuit : “Je voudrais que tu m’apprennes à devenir plus gentil… avec toi.” Il la kidnappe, l’agresse sexuellement, et lui demande de le comprendre : normal.

La scène de l’avion

Trois jours après, la voilà déjà en confiance pour se mettre à poil devant le Poséidon psychopathe-pervers-agresseur. La scène se déroule (forcément) dans une douche. Laura fait des sourires en coin, mais lui fait comprendre que rien ne se passera. Elle résiste. Lui, il n’est pas ravi de cette démarche passive. La scène suivante ? Laura est amarrée aux épaules d’un des gorilles de Massimo, lui tapant allègrement sur le dos alors qu’elle est embarquée de force dans un jet. 

Alors qu’elle est attachée au siège de l’avion façon DiCaprio drogué aux Quaalude dans Le Loup de Wall-Street, Massimo va en profiter pour… la violer, avant de conclure par “Le plaisir, ça se mérite”, puis de retourner voir sa bande de potes mecs à l’arrière de l’avion. Plus problématique, tu meurs.

(Capture d’écran du film <em>365 Dni</em>)

Une voiture les emmène à Rome, et la voilà toute souriante. Dans 365 Dni, la seule façon pour qu’un personnage féminin soit identifié, actif, vivant, c’est à travers son corps. En témoigne cette scène ridicule où Laura, pour se venger de Massimo, va prendre un bain tout habillée dans une fontaine de Rome, juste après avoir mangé de manière risible une glace.

Dans un film érotique de ce (faible) calibre, on ne se douche pas, on se baigne dans une fontaine à Rome. On n’est pas kidnappée, on est emmenée dans un road trip romantique par un bel étalon dont le seul objectif est, et c’est bien normal, de faire de la femme son objet. On n’est pas violée, on est touchée en première classe d’un jet privé pour un “plaisir” garanti.

Scène de la boîte

Après qu’elle a été attachée à un lit histoire d’enfoncer le clou du pouvoir de Massimo sur elle (“J’ai accès à chaque partie de ton corps”), Laura doit s’habiller pour aller dans un de ses clubs. Et c’est parti pour une nouvelle séquence insupportable. À son arrivée dans le hall de l’hôtel, l’assistant de Massimo lui fait comprendre que sa jupe courte va la faire “tuer”.

Dans le club, Massimo la voit et lui annonce : “C’est quoi cette tenue ? Ne me provoque pas.” Et de préciser sa pensée : “Tu seras à moi et je pourrai faire tout ce que je voudrai à chaque fois que je le voudrais.” Quelques minutes plus tard, Laura est “désolée” d’avoir été une “pute” parce qu’elle s’est un peu trop rapprochée d’un autre homme – le tuant indirectement par la même occasion. Sa jupe courte qui a posé problème, c’est de sa faute, pas celle des hommes.

Je lis en parallèle une interview de la réalisatrice de Bartek Cierlica dans IndieWire. Elle y affirme que le film met en valeur “une héroïne qui est bien plus forte et émancipée que les filles des anciens contes”, soulignant que 365 Dni est un film qui doit être vu comme… un conte adulte émancipateur à destination des femmes. On croit rêver, mais non.

(Capture d’écran du film <em>365 Dni</em>)

Un peu plus tard, Massimo et Laura font l’amour. Ça, c’est fait. Massimo la renvoie alors vers la Pologne. Il lui dit quand même “je t’aime” avant de partir. C’est apparemment réciproque. Le ridicule ne tue pas mais fait de très mauvais films, et 365 Dni en est le parfait exemple.

S’ensuivent des séquences vides, entre le retour de Laura chez sa copine (qui lui parle de son Massimo en ces termes : “Il est vraiment spécial. Imagine un mâle fort, qui sait ce qu’il veut”), une scène d’acte sexuel plagiée chez Steve McQueen (Shame) mais n’ajoutant absolument rien au scénario ; ou encore une scène dans laquelle Laura continue d’acheter des vêtements, jusqu’à une conclusion sortie de derrière les fagots.

365 Dni ou la culture du viol

1 heure et 54 minutes, c’est la durée de ce supplice cinématographique. Un supplice de mise en scène, de jeu, de dialogues hallucinants mais, surtout, d’un scénario réactionnaire, sexiste, machiste, faisant la part belle à une masculinité toxique et à des répliques du type : “Tu me demandes de le faire” (alors qu’elle ne demande absolument rien) ou “Je vais te baiser tellement fort qu’on va t’entendre jusqu’à Varsovie”. Si on savait, avant même d’avoir commencé, que ce film “érotique” ne ferait pas dans la nuance et qu’il n’approcherait jamais le petit orteil d’un Brian De Palma, les procédés scénaristiques sont (très) problématiques.

Dans 365 Dni, la femme n’a même pas la possibilité d’aimer l’homme en l’espace de 365 jours, elle est obligée de survivre à ses exactions, à ses désirs, à des agressions sexuelles, sans que jamais ses envies ne soient énoncées et encore moins acceptées. L’homme n’est qu’un animal morne et musclé, dont l’intelligence n’a pas lieu d’être tant son désir se résume à baiser et tuer. Les autres, et en particulier les femmes, à travers l’exemple de Laura, ne sont que des objets. On les tient à la main, la gorge au cou. On les attrape quand elles s’échappent. On les consomme sans demander, même si le personnage répète plusieurs fois son désaccord. La culture du viol dans toute sa splendeur.

En résulte un film rétrograde, purement conservateur, dangereux, soulignant les pires traits de la masculinité toxique, valorisant le viol à travers une vague odeur de romantisme et enchaînant les clichés sexistes. Car, au final, dans la pire des conclusions possibles pour un scénario d’un film sorti au beau milieu de 2020 : la femme, kidnappée, violée, torturée psychologiquement et agressée… tombe amoureuse de l’homme, le vrai. Un homme violent, narcissique, stupide, manipulateur. La femme, elle, n’est bonne qu’à “la fermer” et à “rester tranquille”, à “attendre” (des dialogues utilisés lors de son arrivée dans la boîte où elle daigne parler et danser avec un autre homme) et à se faire reluquer.

On peut aussi entendre Massimo dans le dernier tiers du film, sans que jamais sa posture ne soit remise en cause : “J’ai envie de te tuer” ; “Pourquoi tu m’écoutes jamais ?” ; “Sois un peu raisonnable” ou encore le fameux “Je ne peux pas te perdre”. Massimo est amoureux. Voilà ce qui est important selon les réalisateurs du film, pas sa relation avec Laura qui a la toxicité de Tchernobyl. Il a du cœur.

La morale de l’histoire selon 365 Dni ? Kidnapper et violer une femme pour qu’elle devienne amoureuse d’une personne, c’est une bonne stratégie. Être violent avec celle qu’on aime est une manière saine d’avoir une relation stable et amènera à une demande en mariage, et les deux réponses du personnage féminin qui iront avec seront “oui” et “allons vite dans des magasins pour que je m’achète des robes”. À noter pour notre plus grand désespoir : un deuxième volet est déjà en préparation.